Adoptée le 7 mai dernier par l’Assemblée Nationale, la proposition de loi de sa présidente de la commission des affaires sociales, la macroniste ex-socialiste Brigitte Bourguignon, devait régler un sujet sensible : la sortie sans solution à l’âge butoir de 18 ans de milliers de jeunes pris en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE), Assistance Publique de jadis. Qu’ils soient accueillis en établissements ou familles d’accueil, leur parcours est rarement linéaire et apaisé, et nombre de ces jeunes femmes et hommes se retrouvent à 18 ans sans toit, profession ni revenus.

Parmi eux, environ 20% sont handicapés, essentiellement par des troubles intellectuels ou psychiques non diagnostiqués. Les personnels de l’ASE sont insuffisamment formés à la détection des troubles psychiques mis sur le compte d’un caractère ou d’un comportement difficile, avec un risque de maltraitance à terme. La faute en revient au cloisonnement administratif très franco-français : si la tutelle de l’ASE et de la Maison Départementale des Personnes Handicapées est la même, le département, ces services s’ignorent mutuellement dans la plupart des territoires. La seule exception recensée concerne les Pays de Loire où le Plan Régional de Santé compte un volet Accompagnement des Jeunes en situation de handicap relevant d’une mesure au titre de la protection de l’enfance (Aide Sociale à l’Enfance – Protection Judicaire de la Jeunesse). Un phénomène clairement identifié par la Mission d’information de l’Assemblée Nationale sur l’aide sociale à l’enfance lors de son audition du 9 mai dernier.

Une solution mise à mal

Trois organismes ont cosigné une alerte publique au sujet d’une restriction introduite, à la demande du Gouvernement, dans la proposition de loi Bourguignon : le texte transformait en droit l’actuel contrat « jeune majeur » de six mois que des départements estiment facultatifs, en créant un contrat d’accès à l’autonomie garantissant un accompagnement social pouvant durer plusieurs années pour ceux qui sont considérés « vulnérables », dont les jeunes handicapés. « Au-delà de la souffrance individuelle des jeunes concernés, proclame l’exposé des motifs de la loi, il s’agit de lutter contre le gâchis économique et social et le non-sens éducatif qui en résulte, en termes d’insertion et de perte potentielle de motivation pour ces jeunes mais aussi pour les professionnels qui les accompagnent. » En clair, la France te protège et t’éduque jusqu’à l’âge de 18 ans, et après débrouille-toi ! 23% de ces jeunes finissent à la rue…

Le Gouvernement a pourtant fait adopter un amendement réservant ce contrat aux seuls jeunes qui auront été pris en charge au moins 18 mois dans les 24 mois précédant leur majorité, et seulement s’ils en font la demande. Une restriction contradictoire avec l’annonce, le 13 septembre 2018 par le Président de la République, Emmanuel Macron, de sa stratégie de lutte contre la pauvreté : « Nous allons créer l’obligation, avec l’aide sociale à l’enfance, de trouver une solution de logement, de formation, d’emploi aux jeunes dont elle a la charge, le cas échéant, elle devra obligatoirement prendre en charge les jeunes concernés jusqu’à leurs 21 ans, et non pas jusqu’à leurs 18 ans. » Une restriction qui vise également les jeunes migrants et ne tient pas compte des réalités : « Les accueils tardifs de jeunes âgés de plus de 15 ans sont de plus en plus nombreux, relève Marie Aboussa, directrice du pôle gestion organisations de Nexem. Et avec une importance plus grande des troubles psychiques pour un public identifié comme ne relevant pas du champ du handicap. » La conséquence du cloisonnement évoqué plus haut.

« L’amendement est contestable parce qu’il pose des conditions qui ne sont pas réalistes en regard du parcours des jeunes, souvent chaotique et complexe, appuie Dominique Halnaut, administrateur de Nexem. Ce qui pose problème, ce n’est pas tant les enfants handicapés, ce sont les adolescents en difficulté dans leur relation aux autres et qui nécessitent le rapprochement des deux champs de prise en charge. » Une étude effectuée dans les Pays de Loire montre que 25 % des enfants pris en charge par l’ASE deviennent invalides à l’âge adulte.

Le débat n’est pas clos

« La plupart des mineurs non accompagnés sont des adolescents qui entrent en conflit avec leur famille, et ils sont nombreux, » note Fabienne Quiriau, directrice générale de la Fédération des Associations de Protection de l’Enfant (CNAPE) cosignataire de l’alerte publique. Elle fait également le même constat sur le cloisonnement administratif et la négation des troubles psychiques mis sur le compte du passage à l’adolescence : « Est-ce que c’est la protection de l’enfance qui doit être plus attentive ? Alors que pour nombre de jeunes devenus majeurs on va saisir la MDPH. La question des jeunes majeurs est une politique publique qui n’était pas nommée. Ce qui nous apparait important, c’est qu’elle soit inscrite dans la loi, constituant l’amorce d’une politique publique. Cela ne fonctionnera qu’en partant du jeune majeur et de ses besoins pour une réponse adaptée, qu’il soit handicapé ou pas. »

Après avoir fait lanterner pendant un an la proposition de loi Bourguignon, le Gouvernement a décidé le 9 avril dernier d’enclencher la procédure accélérée afin de réduire les débats à un seul examen par chambre parlementaire. La parole revient maintenant au Sénat : quel choix fera-t-il, entre la volonté gouvernementale et l’avenir des jeunes majeurs de l’ASE ?

Laurent Lejard, juin 2019.

Partagez !