Avec 76.000 habitants, la Lozère est un département paradoxal : il est le moins peuplé et compte le plus d’établissements pour personnes handicapées ou âgées dépendantes, 76, soit un pour mille habitants. Ce secteur médico-social d’un poids économique important résulte de la volonté de religieux et d’un politicien influent, Jacques Blanc. Président de l’Association Lozérienne de Lutte contre les Fléaux Sociaux (ALLFS), il fut à la fois Conseiller Général, député rapporteur de la loi d’orientation en faveur des personnes handicapées du 30 juin 1975 et président du Conseil Régional Languedoc-Roussillon, un an secrétaire d’Etat à l’agriculture, et acheva sa carrière politique nationale au Sénat en 2011. Il a su mobiliser les moyens nécessaires à la création de 47 établissements pour personnes handicapés qui n’entrent plus dans le cadre de la « société inclusive » que veulent la secrétaire d’Etat Sophie Cluzel et le Gouvernement. Unique député de la Lozère, Pierre Morel-À-L’Huissier (UDI) s’est lancé dans la défense de la vocation sanitaire et sociale de son département.

Question : En décembre 2018, vous avez interrogé la secrétaire d’Etat aux personnes handicapées au sujet du devenir des établissements médico-sociaux de Lozère, neuf mois après une grande manifestation de personnels, professionnels et parents. Que se passe-t-il dans votre département ?

Pierre Morel-À-L’Huissier : 
Ce qui se passe au niveau national ! Nous avons une secrétaire d’Etat, Madame Cluzel, qui a une fille handicapée, mais avec un handicap je dirais « léger » [Trisomie 21 NDLR], qui lui permet de vivre dans la société. Et elle se met dans l’idée, avec le Gouvernement, que toute personne quel que soit son niveau de handicap est susceptible d’intégrer tous les pans de la société, ce qu’on appelle l’inclusion intégrale. C’est un gentil concept mais la réalité est tout autre et on répond à Madame Cluzel : « venez en Lozère, venez visiter les 47 centres pour personnes en situation de handicap, et notamment des Maisons d’Accueil Spécialisé, et vous constaterez que certaines personnes en situation de handicap sont insusceptibles d’être désinstitutionnalisées. » D’autre part, le Gouvernement avec l’Agence Régionale de Santé ont tendance à nous dire « vous avez tant de lits, ce nombre est exorbitant par rapport à la population ». Donc ils font un ratio lits/population sans tenir compte qu’il y a 60 ans nous avons été le seul département à se positionner sur l’accueil de personnes handicapées à une époque où le « débile profond », le handicap mental était rejeté, surtout il ne fallait pas en parler. C’est sous l’impulsion du jeune abbé Oziol et de congrégations religieuses qu’on a décidé de s’occuper d’handicapés du berceau jusqu’à la tombe. D’où la multiplication des structures, foyers de vie, Etablissements et Services d’Aide par le Travail, MAS, et aujourd’hui on a un panel de structures adaptées ultra-modernisées, plus un corpus de professionnels totalement adaptés à toutes les problématiques de handicap. Donc il y a un combat, administratif et sociétal : qu’est-ce qu’on veut faire aujourd’hui ? Si on me disait « dans certaines structures, vous n’avez pas de lits occupés », on pourrait dire qu’on n’est pas en adéquation avec la demande. Mais aujourd’hui on nous demande des intégrations de personnes en situation de handicap partout en Lozère. Des familles arrivent exténuées par la non-réponse de la société et nous supplient de prendre leur parent.

Question : Est-ce qu’il y a une liste d’attente ?

Pierre Morel-À-L’Huissier : 
Partout ! Vous avez tous les jours, toutes les semaines, tous les mois des demandes récurrentes. Elles ne sont pas centralisées, elles sont gérées centre par centre. A tel point qu’on a créé à côté de Marvejols un centre d’accueil temporaire en attendant de les aiguiller.

Question : Quelle est l’attitude de l’ARS Occitanie ? Elle contingente, elle veut des suppressions ?

Pierre Morel-À-L’Huissier : Elle veut redistribuer les lits. Elle dit à des directeurs d’établissements en Lozère « nous avons les besoins, vous avez les lits ». Et à chaque fois que ces directeurs remontent en Lozère, ils disent « on s’est fait insulter, à Montpellier, à Toulouse [bureaux et siège de cette ARS NDLR] parce qu’on aurait trop de lits aux dépens d’autres ».

Question : Redistribuer, ça veut dire quoi ?

Pierre Morel-À-L’Huissier : Nous enlever des lits, les redistribuer dans les départements de la région Occitanie.

Question : Ce pôle médico-social est le premier employeur du département; c’est aussi ce qui vous motive, la crainte de perdre des emplois ?

Pierre Morel-À-L’Huissier : 
Non. On est d’accord pour une réadaptation globale de ce qu’on nous demande. Si on nous dit, et qu’on arrive à l’établir, « vous avez des structures qui sont inadaptées », on est prêt à s’adapter. Sauf que ces structures sont pleines à craquer. J’ai demandé au Directeur Général de la Cohésion Sociale, Monsieur Vinquant, « faites un audit de ce que nous savons faire en Lozère, auditez les besoins en Languedoc-Roussillon Occitanie et en Auvergne Rhône-Alpes, et regardez si la Lozère peut être une réponse supplémentaire à une problématique que vous ne savez pas régler ». Pourquoi aujourd’hui il y a 6.000 autistes qui s’en vont en Belgique ? Comment la France, société moderne, n’arrive pas à garder ces autistes chez elle ? On ne nous répond pas.

Question : Est-ce qu’on vous demande de faire de l’inclusif, ou qu’on vous refuse même de monter des projets inclusifs ? Des présidents d’associations jugent que le tout-inclusif à la française est un aller sans retour, qu’une personne qui sort d’un établissement pour une vie indépendante n’a pas droit à l’échec.

Pierre Morel-À-L’Huissier : Nous on répond, l’institutionnalisation chez nous, c’est de l’inclusif. On met l’handicapé dans des structures en milieu rural qui sont partie intégrante de la vie du village. A tel point que quand quelqu’un décède, tout le milieu handicapé qui vit dans ce village va à l’enterrement. La vie tourne autour de l’institution, on y fait venir des instituteurs. On a créé à Montrodat le premier centre européen de loisirs sportifs handicap. On est le premier département en France et en Europe à offrir un village de vacances totalement adapté aux handicaps, avec des activités sportives. Il y a des handicapés qui me disent « surtout ne fermez pas l’institution, surtout gardez-moi ! » Face à ce côté humain, l’ARS est déshumanisée, c’est un machin administratif avec des ratios.

Question : Pour vous, la doctrine actuelle est purement idéologique ou pragmatique ?

Pierre Morel-À-L’Huissier : 
Je pense qu’elle est à la fois idéologique et sous-tendue par des soucis budgétaires et d’économies financières.

Question : L’inclusif se ferait avec des économies de moyens ?

Pierre Morel-À-L’Huissier : Oui, parce qu’ils estiment que peut-être l’institutionnalisation coûte cher. On nous a même dit « en Lozère vous faites du handicap une industrie », ce qui est l’injure la plus crasse que l’on puisse entendre lorsque l’on voit comment on a fabriqué tout l’accompagnement des personnes ! On nous dit « vous ne pouvez pas répondre à la proximité handicapé-famille », alors qu’on se met en capacité au moins tous les 15 jours d’amener l’handicapé dans sa famille. Tous les centres essaient d’avoir cette réponse sur leur budget, si la famille ou le handicapé le souhaitent. Il y a un combat, et comme je suis l’unique député de la Lozère, j’ai demandé au Premier ministre d’arbitrer une vision plus large : comment la Lozère pourrait s’intégrer dans une démarche plus globale et est-ce que la société, l’Etat, a besoin d’une réponse à laquelle on ne pense pas ? Dites-nous ce que vous voulez, on se mettra en capacité de faire. Et toutes les équipes médicales et paramédicales demandent qu’ils nous disent ce qu’ils veulent. On peut faire de l’accueil du handicap rare, des pathologies particulières dont on peut développer l’accueil dans notre département.

Question : Et depuis combien de mois attendez-vous une réponse ?

Pierre Morel-À-L’Huissier : 
On a fait une manifestation le 5 mars 2018. On a été reçus au ministère et à Matignon en juin, les audits devaient commencer au mois de septembre. J’ai rappelé Monsieur Vinquant, ça traine, ça traine parce que lorsqu’on heurte l’administration centrale, elle se bloque. On a un poids très étatique dans le système de santé, très administratif. Les administrations n’aiment pas être bousculées, et moi j’adore bousculer les administrations…


Propos recueillis par Laurent Lejard, mars 2019.

Partagez !