Hewlett-Packard (H-P), seconde compagnie informatique au monde, emploie 4.000 personnes en France dont plus de la moitié à Grenoble. L’activité locale de H-P porte essentiellement sur la recherche, l’élaboration de solutions et le support grands comptes. Ce centre de compétences international comporte divers départements (impression, télécommunications, service software, etc). Vus de l’extérieur, les locaux de la compagnie à Eybens, dans la banlieue de Grenoble, ne paient pas de mine mais, une fois à l’intérieur, on est surpris de croiser un fauteuil roulant, puis deux, trois, quatre… et de multiples portes automatiques dont la base est marquée d’une bande jaune et noire. Les locaux de travail en open space sont constitués de vastes plateaux reliés par ascenseurs, les couloirs entre les postes de travail sont suffisants pour circuler en fauteuil tout en croisant des piétons. Certes, l’entreprise n’atteint pas le quota légal de 6% de travailleurs handicapés mais elle en emploie à hauteur de 2% (quota calculé selon les modalités antérieures à la réforme de 2005) et réalise de multiples actions en faveur de ses salariés dans le cadre d’un accord d’entreprise agréé par la Direction Départementale du Travail, de l’Emploi et de la Formation Professionnelle. La contribution au fonds d’insertion professionnelle des personnes handicapées n’est plus versée à l’organisme collecteur et gestionnaire, l’Agefiph, mais sert à financer les actions opérationnelles prévues par l’accord. Au terme de l’année comptable, les éventuelles sommes non consommées sont alors versées à l’Agefiph. Chez H-P, deux chargées de mission le mettent en oeuvre au quotidien; elles travaillent à temps partiel et leur salaire est financé sur le budget de l’accord. Elles organisent ou coordonnent des actions d’information, de sensibilisation interne ou externe à l’embauche, d’adaptation du poste de travail, de maintien dans l’emploi, etc. H-P sous-traite également quelques activités à une quinzaine d’ouvriers de l’établissement et service d’aide par le travail Act’Isère.

Rachida travaille au support hardware et service. Originaire de Marseille, elle a effectué ses études à Saint-Hilaire du Touvet (Isère), vaste établissement de rééducation fonctionnelle qui assure également un internat scolaire. Elle est entrée chez H-P en 1987 comme stagiaire avec un B.T.S informatique; le critère handicap a été déterminant, elle a été la première salariée handicapée de l’entreprise. « A l’époque, raconte-t-elle, un prêtre qui officiait au centre de Saint-Hilaire du Touvet se battait pour faire embaucher des travailleurs handicapés, il organisait des journées d’échange entre personnes handicapées et entreprises. Un de ses neveux travaillait chez Hewlett-Packard, il a servi d’intermédiaire ». H-P a par la suite conclu en 1989 son premier accord d’entreprise, dès la mise en place de la loi du 10 juillet 1987 en faveur de l’emploi des personnes handicapées, accord plusieurs fois renouvelé depuis.

Depuis son embauche, Rachida a acquis en cours du soir une qualification d’ingénieur en 2002. Elle se sent en « porte à faux » du fait de sa boiterie, elle marche mais se fatigue vite, reste debout mais pas longtemps, beaucoup de gens ne perçoivent pas sa nécessité de raccourcir ses trajets et de s’asseoir rapidement. Et sur le plan professionnel, elle ironise avec une spontanéité toute méridionale : « Ça ne travaille pas un handicapé, ça profite de la société, les gens ont des préjugés ! ».

Chez H-P, l’existence d’un accord d’entreprise en faveur de l’emploi de travailleurs handicapés apporte un bien-être particulier aux salariés concernés. Par exemple, ceux qui partent en mission à l’étranger peuvent voyager en classe Affaires ce qui est très apprécié lorsque la destination est l’Australie ou les U.S.A et réduit le risque de problèmes de santé liés à un long voyage lorsque l’on est handicapé moteur, le surcoût par rapport à la classe Economique étant financé par l’accord d’entreprise. « Cela évite une imputation sur les résultats du manager », explique Rachida, pour que le service ne voit pas sa profitabilité réduite et que cet avantage consenti ne se retourne pas contre l’emploi de nouveaux collaborateurs handicapés; pour éviter ce poids financier, les dépenses liées au handicap d’un salarié sont couvertes par le budget de l’accord d’entreprise. Le soutien va même jusqu’au financement de travaux et d’aménagement du domicile d’un employé qui travaille chez lui une partie de son temps.

Tout n’est pourtant pas acquis dans l’entreprise : « La mission handicap a dû faire des rappels à l’ordre pour le respect des places de stationnement, dont certaines sont couvertes ». L’un des parkings dispose d’ailleurs d’un contrôle d’accès pour les usagers handicapés. Autre problème, le temps passé à attendre les ascenseurs très fréquentés par des valides… qui vont faire leur sport quotidien !

Connu du grand public, le tennisman de table Vincent Boury, tétraplégique, est entré en 1997 chez H-P, en tant qu’ingénieur qualité dans la division Réseaux. « J’ai obtenu un équivalent diplôme d’ingénieur à l’Institut National Polytechnique de Grenoble, incluant l’intelligence artificielle et les réseaux neuronaux. J’avais fait un choix lors de l’année des Jeux Paralympiques d’Atlanta et privilégié le sport en abandonnant les études pour entrer chez H-P ». Depuis, il s’est spécialisé dans la sécurité informatique, virus et intrusions à haut niveau, une fonction critique depuis quelques années. Il fait partie des quelques ingénieurs qui interviennent en première ligne dès qu’une alerte est lancée, et assure des astreintes régulières. Dès son embauche, il a bénéficié d’une décharge en temps de travail rémunéré au titre de son activité sportive de haut-niveau; diverses péripéties administratives et financières ont émaillé ce contrat que H-P a réintégré, pour simplifier, et dont elle assume le coût : Vincent Boury travaille à 60% de temps effectif tout en étant payé à 100%, l’accord d’entreprise payant sur son budget les 40% de différence. En pratique, il travaille 123 jours et consacre les autres au tennis de table; il prépare activement les prochains Jeux Paralympiques de Pékin 2008. L’entreprise sponsorise également les frais générés par l’activité sportive : entrainement, déplacements, matériel, etc. « Je suis assez chanceux entre mon boulot et le sport, je m’éclate dans les deux. L’accord d’entreprise m’apporte un soutien en matière de salaire, frais, matériel, déplacements. En plus, il y a une grosse écoute des besoins dans l’entreprise, et je l’utilise pour compléter le financement d’un fauteuil roulant, les voyages en Business, l’intervention de personnels soignants lors des déplacements, leurs surcouts ». Vincent Boury profite également de Grenoble, une ville qu’il estime agréable.

Malgré un contexte a priori favorable, l’emploi de travailleurs handicapés chez H-P ne semble pas évoluer positivement. L’entreprise a été secouée, à partir de 2001, par deux plans sociaux consécutifs à sa fusion avec Compaq, fusion dont le piètre résultat financier a entrainé la chute boursière de l’action H-P et le « licenciement » en 2005 de la présidente Carleton Fiorina, partie avec une consolante de… 21 millions de dollars. Dans l’intervalle, 17.000 des 145.000 salariés avaient quitté plus ou moins volontairement l’entreprise au niveau mondial. En France, aucun travailleur handicapé n’a été licencié affirme Pascale Collard, chargée de mission handicap pour l’ensemble des sites français : « L’entreprise a incité au départ volontaire et a élaboré un plan de départ anticipé à la retraite dont les travailleurs handicapés ont profité ». Davantage que prévu, d’ailleurs, ce qui a réduit le quota d’emploi et contraint l’entreprise à privilégier le recrutement de nouveaux travailleurs handicapés très qualifiés (Bac + 5 minimum) qui sont rares sur le marché du travail. « On profite du recrutement de 100 salariés pour embaucher des travailleurs handicapés qu’on veut intégrer. On réalise des sessions de théâtre pour sensibiliser les managers et les personnels ». Tout en subissant la concurrence des grandes entreprises du secteur, telles Steria, Capgemini, France Télécom, qui « piquent » des ingénieurs sous le nez de Hewlett-Packard. L’entreprise attend beaucoup du programme Handimanagement qu’elle sponsorise avec d’autres, et qui vise à sensibiliser dans les Grandes Ecoles les futurs cadres qui seront confrontés au recrutement de travailleurs handicapés. Et dans l’intervalle, elle multiplie les journées Portes Ouvertes, poursuit une politique de fidélisation d’étudiants en vue de leur recrutement ultérieur, et une démarche de citoyenneté et de participation.

Laurent Lejard, février 2007.

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