La Fédération Nationale des Accidentés du Travail et des Handicapés célébrait le 6 mai 2001 ses 80 ans au cours d’une journée de rencontres et de manifestations à travers le pays. Son secrétaire général, Marcel Royez, revient pour nous sur ces « éclats de vie, éclats de rire » et présente les revendications de ce quasi-syndicat.

Question : La FNATH est une organisation qui a 80 ans mais elle est paradoxalement moins connue du grand public que l’Association des Paralysés de France ou l’Association Valentin Haüy. Comment expliquez- vous ce décalage ?

Marcel Royez : Notre association est connue dans sa sphère d’intervention mais elle est moins médiatique. Cela tient sans doute à ses modes d’expression et de fonctionnement. La FNATH est la plus ancienne, la plus importante numériquement avec 250.000 adhérents, présente dans toute la France grâce à ses 86 antennes départementales et ses 1.650 associations locales. Nous menons des actions de lobbying auprès des pouvoirs publics et des parlementaires depuis de nombreuses années en faveur des personnes handicapées et accidentées.

Q : La FNATH est une association de défense, elle ne gère pas…

MR : Cela répond aussi à la première question… C’est vrai que, par exemple, nos amis de l’APF qui gèrent des structures de loisirs, de vacances, de travail protégé, etc., sont plus connus de ce point de vue- là. Nous sommes une association qui historiquement fonctionne davantage comme un syndicat, qui défend les intérêts des personnes handicapées et les conseille.

Q : Vous avez voulu donner un certain éclat au 80e anniversaire de votre fédération à travers la journée « éclats de vie, éclats de rire ». Quel bilan en dressez- vous ?

MR : « Éclats de vie, éclats de rire » n’est pas directement lié à cet anniversaire, mais nous nous sommes dit que nous pourrions à cette occasion montrer un visage de notre association que l’opinion publique ne connaît pas suffisamment. Nous avons choisi de réaliser notre première journée nationale autour d’un thème fédérateur qui a l’avantage de montrer que les personnes handicapées aspirent à être considérées comme les autres, que ce sont des personnes heureuses de vivre malgré leurs difficultés sociales et leurs souffrances. Nous avons organisé une centaine d’événements à travers la France : des personnes handicapées sont allées à la rencontre du public sur des marchés, dans des spectacles ou des représentations théâtrales. Au cours de cette journée, en sortant du discours un peu sérieux même s’il faut se battre sur des sujets difficiles, les gens ont passé de bons moments ensemble.

Q : Cette journée connaîtra-t-elle des suites plus revendicatives, en mobilisant la population lors de manifestions de rues ?

MR : Absolument ! Lors de notre première journée nationale, nous avons réaffirmé notre combativité sur la question de l’indemnisation des victimes du travail – dont nous constatons, bien que le Parlement ait voté le principe de la réparation intégrale des victimes de l’amiante en décembre 2000, que la loi n’est pas appliquée faute de décrets d’application – mais également sur la question de l’emploi alors que 37% des entreprises n’occupent toujours pas de travailleurs handicapés et que les fonctions publiques sont défaillantes, la question du montant insuffisant des allocations versées aux personnes handicapées, de la mise en place des sites « vie autonome »… Je pense notamment à l’impatience des victimes de l’amiante et des autres victimes du travail qui attendent encore que justice leur soit rendue.

Q : Avant de quitter le gouvernement, Dominique Gillot avait pris l’initiative de lancer la réforme de la loi d’orientation de 1975. Comment abordez- vous cette réforme et plus particulièrement ce qui concerne les allocations adultes handicapés et compensatrices ?

MR : Cela fait des années que l’on considère qu’il faut aménager, retoucher cette loi qui a plus d’un quart de siècle. Sur ce dossier, la FNATH a souvent été en avance sur les autres associations qui ne considéraient pas nécessaire de toucher à un texte qu’elles considèrent comme fondamental, à juste titre d’ailleurs. Mais l’ensemble de la réglementation a pris des rides. On attend de cette réforme qu’elle restitue la législation dans le contexte contemporain : si la loi de 75 a constitué un réel progrès en instituant les allocations aux enfants et adultes handicapés, ces allocations sont aujourd’hui remises en question par l’évolution. Par exemple, la nouvelle Aide Personnalisée à l’Autonomie votée par l’Assemblée Nationale en faveur des personnes âgées est plus avantageuse que l’allocation compensatrice. Pour la FNATH, il n’y a pas lieu de traiter plus favorablement, selon l’âge qu’elles ont, les personnes qui vivent dans des conditions de dépendance. Et en ce qui concerne l’allocation adulte handicapé, nous pensons qu’il faudra dissocier l’aspect « minimum social » de celui qui est lié à la compensation des surcoûts du handicap : si l’AAH est une allocation de subsistance, nous disons que l’on ne peut pas vivre en France avec une allocation qui représente 54% du SMIC. L’AAH ne répond pas non plus aux besoins de compensation des surcoûts liés au handicap. Il faut trancher cette question.

Q : La France, à la différence de nombreux pays développés, n’a pas mis en place une véritable politique de vie autonome des personnes dépendantes…

MR : Nous avons un retard considérable, et sur cette question la FNATH considère, avec d’autres associations, qu’il faut faire un réel effort en matière de maintien dans le cadre de vie ordinaire et de vie autonome. Les personnes dépendantes devraient pouvoir pleinement exercer leur citoyenneté à l’école, dans les établissements de formation, dans les lieux de loisirs, aller et venir sans obstacle et utiliser les transports en commun comme tout le monde : c’est notre conception d’une réelle intégration. Il est nécessaire de faire des efforts pour prendre en charge et former du personnel qualifié pour accompagner les personnes dépendantes dans les différents actes de leur vie quotidienne.

Q : Le quota d’emploi des travailleurs handicapés stagne aux alentours de 4% depuis plusieurs années. Préconisez- vous une politique de relance de l’embauche ?

MR : Nous avions alerté la précédente ministre de l’Emploi et de la Solidarité, Martine Aubry, sur le fait que de nombreuses entreprises atteignent le quota de 6% grâce à leurs propres accidentés du travail ! Cette population de travailleurs vieillit, commence à partir massivement à la retraite. Nous proposons de mettre en place une gestion prévisionnelle des emplois, de faciliter les départs en préretraite moyennant l’embauche de travailleurs handicapés plus jeunes. Cette proposition n’a pas été retenue et on peut s’attendre à ce que rapidement les entreprises ne remplissent plus leur obligation d’emploi autrement qu’en s’acquittant d’une contribution à l’Agefiph…

Q : Agefiph qui vient justement d’annoncer la réduction des primes à l’emploi…

MR : La réduction d’un certain nombre d’aides versées par l’Agefiph est la conséquence du désengagement de l’État. Lors de la dernière réunion du Conseil du reclassement professionnel, ses représentants ont proposé la suppression de certaines dispositions du Code du Travail parce que l’Agefiph finance ! Pour la FNATH, l’État doit rester le garant du dispositif d’insertion professionnelle. Il y a un énorme effort à faire en faveur de la formation des travailleurs handicapés. Et il faut être plus sévère à l’égard des entreprises mais aussi des fonctions publiques qui n’emploient pas leur quota de travailleurs handicapés. On ne peut pas accepter que depuis plus d’une décennie 37% des entreprises n’emploient pas un seul travailleur handicapé, c’est une discrimination intolérable !


Propos recueillis en mai 2001 par Laurent Lejard.

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