Des handicapés soldats au Royaume-Uni. L’avantage avec les militaires, c’est qu’ils n’y vont pas par quatre chemins; l’ancien chef de l’armée britannique, aujourd’hui à la retraite, a déclaré « l’armée a accepté les femmes, les homosexuels et les minorités ethniques ; mais les handicapés, c’est la ligne rouge qu’elle ne franchira pas ». Faut- il accepter les handicapés dans l’armée? Ce débat agite certains milieux anglais depuis quelques mois. « L’Europe va nous obliger à incorporer des personnes handicapées », disent les militaires. « Pourquoi pas? »répondent les militants de la cause de l’intégration, « un des as de la Royal Air Force en 1940 était cul de jatte et Nelson, la gloire de l’amirauté, était handicapé lui- aussi ».

Disons tout de suite que dans cette affaire, l’Europe a bon dos: la directive du Conseil des ministres européens du 27 novembre (publiée dans le Journal Officiel Européen du 2 décembre 2000) portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, prévoit explicitement qu’on ne peut astreindre les forces armées et les services de police, pénitentiaires ou de secours à embaucher ou à maintenir dans l’emploi des personnes ne possédant pas les capacités requises pour emplir les fonctions. Le débat sur l’armée britannique est donc surtout induit par le DDA (Disability Discrimination Act), une loi britannique qui, secteur par secteur, entre en vigueur depuis plusieurs années. Actuellement, seules la Grande Bretagne, la Suède et, dans une certaine mesure l’Irlande et la France, ont déjà une législation anti- discrimination en matière d’emploi.

La réglementation européenne doit s’imposer aux États membres. La Directive européenne sur la non discrimination en matière d’emploi doit maintenant être transposée dans les lois nationales : cela prendra encore trois à six ans selon les pays. Ce sont aussi les mentalités qui doivent évoluer : le principe de la directive, c’est de ne pas considérer les handicapés comme inaptes a priori. Mais cela ne signifie évidemment pas que la personne handicapée est systématiquement apte à tout. Chaque employeur ou profession peut définir des conditions d’embauche, y compris physiques : c’est le cas pour l’armée ou les pompiers.

La directive européenne permet en principe d’éviter tout amalgame. Les critères de recrutement doivent être vraiment adaptés à la fonction. Pourquoi exiger d’un employé de bureau de répondre à des critères physiques olympiques ? L’enseignement est un secteur délicat : les personnes handicapées physiques, y compris des aveugles, peuvent très bien avoir les capacités intellectuelles et pédagogiques nécessaires. Mais on attend souvent d’un enseignant bien d’autres choses : surveillance, intervention en cas de bobo ou d’urgence, etc. Il y a quelques mois, un cas précis s’est posé au Royaume- Uni : une enseignante aveugle exerçait sa profession depuis plusieurs années, avec l’aide d’une assistante. Pour raisons budgétaires, le temps de présence de cette assistante a été réduit. Trop stressée, l’enseignante a dû démissionner. Ayant finalement porté plainte pour discrimination, elle a obtenu un dédommagement financier conséquent, mais elle n’a pas réintégré son poste.

Qui doit s’adapter ? C’est là qu’intervient la notion d’adaptation raisonnable : les employeurs sont priés d’adapter les lieux et conditions de travail aux besoins spécifiques des personnes handicapées. La question est de savoir ce qu’on entend par « raisonnable ». Payer un assistant supplémentaire peut être excessif pour de petites structures professionnelles.

Avec notamment cette directive européenne, les personnes handicapées disposent progressivement d’une batterie de textes légaux ou juridiques qui leur permettent d’attaquer en justice lorsqu’elles s’estiment victimes d’une discrimination. Mais on s’attend à ce que beaucoup d’employeurs préfèrent payer des indemnités plutôt que de réellement modifier leurs attitudes et habitudes. Et tous les handicapés n’auront pas nécessairement le courage ou les moyens d’engager un procès. Les lois devront donc être accompagnées de mesures concrètes des pouvoirs publics, mais aussi d’une nette évolution des mentalités. Le prix décerné par la Commission européenne à une petite entreprise bruxelloise à l’occasion de la Journée européenne des personnes handicapées en décembre dernier est à cet égard très symbolique. Le patron de cette entreprise d’une vingtaine de personnes a recruté trois personnes sourdes : lui- même et la quasi totalité de son personnel ont appris la langue des signes. Voilà un exemple d’une adaptation raisonnable qui permet à trois personnes handicapées de gagner leur vie normalement…

Yves Dricot, Tamarico, février 2001.

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