Handi, sois content et tais-toi : on peut te faire manger, te laver le cul, t’empêcher de t’étouffer si besoin, mais ne demande pas que la cuillère soit pleine ni que le linge utilisé soit propre ! Handicapés au pays de Kafka et de Diogène !

Une personne handicapée qui veut vivre de manière autonome dans un logement indépendant mais ne peut réaliser sans aide les tâches ménagères de base, a donc le droit d’être lavée, « torchée » avec du linge sale, habillée avec des vêtements de même, et alimentée avec un repas préparé par l’opération du Saint-Esprit, faute d’avoir le droit de lui faire les courses et préparer le repas, selon la Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie et les Maisons Départementales des Personnes Handicapées. Le reste du temps, elle reste chez elle à regarder passer les heures !

Pourtant, la loi de 2005 nous promettait une compensation du handicap à la hauteur des besoins pour une vie autonome avec « des aides de toute nature à la personne ou aux institutions pour vivre en milieu ordinaire ou adapté. Las, la haute administration est vite passée par là, fixant un cadre réglementaire restrictif avec l’annexe 2-5 du Code l’Action Sociale et des Familles qui constitue le référentiel de la Prestation de Compensation du Handicap. Heureusement, et au début en tout cas, ce cadre fut appliqué avec un zeste d’humanité et surtout beaucoup d’hypocrisie. Peu d’élus pour cette prestation, peu d’heures mais du mieux pour les personnes les plus lourdement handicapées.

Mais c’était déjà trop ! Comme les gouvernements successifs n’ont eu de cesse de piller les fonds de la CNSA et que les départements préfèrent trop souvent consacrer leurs moyens à des champs de compétence autres que la solidarité, gouvernement, haute administration et conseils départementaux ont décidé de transformer les personnes handicapées en variable d’ajustement. Pour rappel, le guide de la CNSA « Appui aux pratiques des équipes pluridisciplinaires de MDPH – guide PCH Aide humaine » sorti fin 2013, et présenté comme une version test soumise à une dizaine de MDPH, a donné lieu de fait à application dans d’autres départements, ce qui a conduit à diminuer parfois considérablement le nombre d’heures d’aide humaine allouées aux personnes handicapées. Avec d’autres, j’ai alerté sur cette dérive, en interne au sein de l’Association des Paralysés de France et relayé nationalement, tout ceci sans que cela ne produise d’effet – sauf mon exclusion de ladite APF !

Heureusement, en 2016, après avoir constaté la mise en application du guide dans certains départements, la Coordination Handicap Autonomie (CHA) interpellait la CNSA, exigeait une rencontre sur le sujet puis lançait une campagne médiatique et de pétition autour, notamment, d’un des aspects les plus révoltants de ce guide. Elle a abouti en janvier dernier au retrait du calculateur Excel de minutage des actes essentiels, précis à la seconde, particulièrement déshumanisant. Parallèlement, le Collectif InterAssociatif Handicaps 31 (CIAH 31 dont fait partie Handi-Social) adressait une lettre recommandée en date du 7 février 2017 à la MDPH de Haute-Garonne, avec copie adressée à la CNSA, au ministère et aux Comités d’Entente national et régionaux. Lettre défendant la légitimité de la prise en charge des activités ménagères et de la préparation des repas au titre de la PCH aide humaine, en se basant sur l’impossibilité d’accéder à l’aide sociale personnes handicapées. Cela contrairement aux assertions des MDPH et de la CNSA.

Rappelons que la CNSA dans son guide prétendait que les activités ménagères et la préparation des repas étaient exclues du périmètre de la PCH, oubliant curieusement que l’annexe 2-5 du CASF, seule référence réglementaire, ne disait pas cela, mais « Il ne comprend pas le portage des repas ni le temps pour la préparation du repas lorsque ce temps est déjà pris en charge ou peut l’être à un autre titre que la compensation du handicap » et « Ce temps exclut les besoins d’aide humaine qui peuvent être pris en charge à un autre titre, notamment ceux liés à l’activité professionnelle, à des fonctions électives, à des activités ménagères, etc. » Ce qui veut dire que lorsque le temps d’aide pour le portage et la préparation des repas ne peut être pris en charge à un autre titre que la compensation du handicap, il doit l’être dans le temps quotidien d’aide à l’alimentation prévue dans le cadre de la PCH. Il en est de même des besoins d’aide humaine liés à des activités ménagères lorsqu’ils ne peuvent être pris en charge à un autre titre.

Or, du fait du plafond de l’aide sociale devenu inférieur à celui de l’Allocation aux Adultes Handicapés, l’aide sociale départementale pour les services ménagers ne peut être octroyée à ses allocataires alors même qu’ils sont censés en être les bénéficiaires ! En conséquence, et faute d’autres possibilités de prise en charge, l’absence d’accès à l’aide sociale entraine de fait l’élargissement des actes pris en compte au titre de la PCH. Les personnes qui percevaient la majoration vie autonome ou le complément de ressources de l’AAH étaient déjà, depuis un certain temps, exclues du bénéfice de cette aide sociale pour dépassement du plafond.

Cette analyse juridique de la situation et du périmètre de la PCH a été reprise par la Coordination Handicap Autonomie dans la contribution qu’elle a adressée à la CNSA le 10 février, concernant la nouvelle version du guide présentée aux associations le 27 janvier dernier. Malheureusement, l’APF, assistée d’une autre association, adressait aussi le 10 février à la CNSA la contribution rédigée au nom du Comité d’Entente, mais sans que soient sollicitées et prises en compte les contributions des associations dudit Comité, et notamment celle de la CHA. Curieusement, cette contribution ne reprend pas l’ensemble des critiques qu’il était possible de faire sur ce texte. Et elle ne défend pas la prise en charge des activités ménagères et de la préparation des repas par la PCH.

Quelles solutions restent-elles aux personnes handicapées pour se maintenir en milieu de vie ordinaire et dans leur logement en bénéficiant des aides nécessaires pour cela ? Alors qu’une personne en difficulté pour s’alimenter aura vraisemblablement les mêmes difficultés pour faire ses courses ou préparer son repas. Comment « Accompagner vers plus d’autonomie », comment comme le proclament fièrement certains départements prétendre « Faciliter le quotidien des personnes handicapées, priorité du Conseil départemental qui pilote un dispositif d’aides financières et matérielles [telles] favoriser l’autonomie, l’accès aux droits, le maintien à domicile et l’aide sociale pour les personnes à faibles ressources » ?

L’analyse développée par le CIAH et par la CHA n’a été à ce jour contredite par personne. Faudra-t-il que les personnes concernées soient obligées de passer par la voie judiciaire pour obtenir gain de cause sur ce point, alors qu’on connaît les lenteurs de la justice ? La CNSA s’était engagée lors de la réunion du 27 janvier 2017 à soumettre la nouvelle version du guide PCH aide humaine aux associations pour avis avant toute validation, pour finalement leur annoncer ce 14 mars qu’elle « sera mise en ligne cette semaine sur le site de la CNSA et diffusée aux MDPH ». Que vaut la parole des hauts fonctionnaires et de nos gouvernants ? Rien !

Cette façon d’agir, totalement irrespectueuse des interlocuteurs, notamment de ceux qui représentent effectivement les intérêts de ceux dont leurs dispositifs prétendent régenter la vie, n’est pas acceptable. Alors que les dégâts occasionnés pour les personnes concernées par la version 1 de ce guide, prétendument en test, sont bien une réalité et sont de plus en plus contestés devant les Tribunaux du Contentieux de l’Invalidité qui condamnent les MDPH incriminées.

C’est pourquoi nous comptons sur les associations nationales, grandes et petites, pour une réaction rapide et appropriée d’opposition à cet outil et à ces pratiques. Avec une demande urgente d’un nouveau délai pour une analyse plus détaillée de cette nouvelle version pour arriver à une version consensuelle entre associations et CNSA. Cette affaire sera clairement l’occasion de constater qui défend vraiment les personnes, et qui se soucie davantage de gérer des établissements médico-sociaux. Au risque de se voir reprocher par les bénéficiaires de la PCH de s’être fait les complices de pratiques déshumanisantes et nuisibles à une vie autonome que nous sommes tous censés défendre.


Odile Maurin, Présidente d’Handi-Social, Administratrice de la Coordination Handicap Autonomie – vie autonome, mars 2017.

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