La décision du Comité européen des droits sociaux (CEDS) du Conseil de l’Europe a secoué la torpeur estivale qui commençait à s’imposer en Belgique : le pays est condamné par l’instance européenne pour violation de la Charte sociale européenne en matière de droits des personnes handicapées, au motif qu’il ne propose pas les places nécessaires et adaptées en établissements et structures spécialisés. Cette carence de l’Etat belge et de ses trois régions (Flandre, Bruxelles et Wallonie) est dénoncée depuis plus de 15 ans par des associations de personnes handicapées, dont une vingtaine soutenue par la Fédération internationale des Ligues de droits de l’homme (FIDH) a saisi le CEDS. Si la décision de cet organe judiciaire du Conseil de l’Europe n’entraine pas de pénalités immédiates pour la Belgique, il ouvre la voie aux personnes qui s’estiment lésées et aux associations d’engager des actions juridiques contre l’Etat et les Régions, pour les contraindre financièrement et politiquement à agir.

Ce n’est pourtant pas l’opprobre jeté sur nos voisins d’outre-Quiévrain qui retient particulièrement l’attention, mais un paradoxe persistant : la Belgique n’offre pas à tous ses résidents handicapés la prise en charge éducative, sanitaire et sociale dont ils ont besoin, alors qu’elle accueille, traite et héberge (convenablement semble-t-il) plus de 5.000 Français, pour la plupart handicapés intellectuels. Cet accueil occupe 3.000 salariés en Wallonie selon la ministre de la santé, Eliane Tilleux, et est d’ailleurs devenu une opportunité économique, la France finançant la totalité des dépenses. Et c’est effectivement une bonne affaire pour le budget de l’État et des Conseils Généraux « exileurs » : en Wallonie, le prix de journée était, en 2011, de 150€ par personne alors qu’il fallait compter près du double en France. L’une des raisons de cet écart résulte d’un encadrement moitié moindre : 0,5 salarié pour une personne handicapée en Wallonie contre 1 pour 1 en France.

Selon les récentes déclarations des ministres française et wallonne concernées, les activités sont distinctes et l’accueil des exilés français ne se ferait pas au détriment des Belges handicapés. Mais aucune étude d’impact n’évoque l’attrait économique de ces exilés chez les investisseurs, les éducateurs et auxiliaires de vie diplômés ou pas. Ce véritable business a en effet de longs jours devant lui, le Parlement Wallon ayant ratifié en avril dernier l’accord Franco-Belge de décembre 2011 qui régit l’exil des français handicapés, le Sénat français l’ayant approuvé le 25 juillet, l’Assemblée Nationale devant se prononcer à la rentrée par un vote qui ne fait aucun doute. Négocié par le précédent Gouvernement, l’un des arguments avancés en décembre 2011 pour le justifier par la Secrétaire d’État française chargée des personnes handicapées, Marie-Anne Montchamp, était l’aboutissement en 2015 du plan de création de 51.000 places en établissements médico-sociaux. Hélas, ce plan a été suspendu dès les premières semaines du Gouvernement Ayrault alors que moins des deux-tiers des places avaient été financées.

Outre que ce gel, qui semble définitif, ne permettra pas aux exilés de revenir en France près de leurs familles, la carence en prise en charge adaptée ne pourra que croitre dans notre pays. Les associations belges viennent de montrer aux associations nationales de personnes handicapées une nouvelle voie d’action pour contraindre l’État et les collectivités locales à agir, à cesser de discriminer, de laisser les plus vulnérables à la charge de familles qui n’en peuvent plus : sauront-elles l’emprunter, ou continueront-elles à pratiquer cette forme de cogestion de la pénurie qui fait des ravages depuis des décennies ?

Laurent Lejard, août 2013.

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