Bientôt, des personnes étrangères gravement malades pourraient tomber dans une situation dangereuse et absurde. Dangereuse car elles risquent de se retrouver sans titre de séjour et sans garantie de prise en charge médico-sociale du jour au lendemain. Non à la faveur de leur guérison, mais à cause d’un article de loi – un seul, l’article 17ter du projet de loi sur l’immigration – qui tente de supprimer le dispositif vital dont elles bénéficient, le droit au séjour pour raison médicale.

Absurde car les virus, les incapacités, les pathologies ne font pas de distinction entre nationaux et étrangers. Quant aux flux migratoires, c’est la même chose, ils ne séparent pas malades et bien portants, personnes frappées d’un handicap moteur et valides. Jusqu’alors, la santé publique non plus. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, les Etats ont l’obligation de garantir à tous ceux qui vivent sur leur sol le meilleur état de santé possible et ce, sans discrimination. Une obligation « positive » au sens où elle ne consiste pas seulement à veiller à « une absence de maladie ou d’infirmité », mais bien à promouvoir chez la personne un « état de complet bien-être physique, mental et social ». Une approche globale de la santé qui inclut des conditions de vie quotidienne dignes, un statut administratif.

En consacrant la notion de « maladie invalidante », la loi du 11 février 2005 a fait entrer des pathologies chroniques dans le champ du handicap. La société reconnaît alors qu’une personne séropositive, atteinte du VIH, ou d’un diabète, peut être limitée ou restreinte dans sa vie en société et son environnement quotidien, au même titre qu’une personne affectée par un handicap moteur, sensoriel, cognitif. Si les incapacités ne sont pas les mêmes, les besoins, eux, sont identiques.

En introduisant une discrimination insidieuse au nom d’une politique anti-migratoire qui, elle, n’en fait plus, le gouvernement a bien décidé de s’attaquer à ce droit à la santé globale. Sur le papier, le droit au séjour pour raisons médicales ne va pas disparaître, mais il est sérieusement édulcoré. Aujourd’hui, une personne étrangère résidant en France atteinte d’une pathologie d’une « exceptionnelle gravité » (cancers, VIH, diabète, hépatites…) qui ne peut « effectivement bénéficier d’un traitement approprié dans son pays d’origine » peut accéder à une prise en charge médicale. Par cette notion « d’accès effectif », on cherche à savoir si la personne rencontre des entraves à la prise en charge « globale » de ses problèmes de santé dans son pays d’origine. En pratique, on vérifie non seulement la disponibilité d’une prise en charge mais aussi son accès effectif.

Des conditions déjà strictes, mais apparemment pas suffisantes pour le gouvernement. Car celui-ci a décidé de remplacer la notion « d’accès effectif » par celle de « disponibilité » de la prise en charge. Or, la simple disponibilité n’implique ni que la personne en bénéficie réellement, ni qu’elle dispose d’un suivi médical digne de ce nom dans son pays d’origine. D’une part, on sait que dans la plupart des Etats d’Afrique sub-saharienne, par exemple, seule l’élite bénéficie des traitements pour des pathologies graves ; et quand bien même ce serait le cas, les conditions concrètes de la prise en charge médicale, souvent défaillante, ne sont généralement pas remplies. Plus brutalement, cela signifie qu’on se lave les mains de savoir dans quel état sont les structures sanitaires du pays, si la quantité, la qualité et la continuité de la prise en charge sont garanties, combien de structures et de professionnels sont en capacité d’assurer le suivi requis et dans quelle mesure les possibilités d’accès à une protection sociale sont réelles. On coupera les traitements – comme on ferme le robinet d’eau -, et on expulsera. 28.000 étrangers gravement malades sont concernés.

C’est une mauvaise nouvelle pour tout le monde. Bien sûr, du point de vue de la population générale, le non recours aux soins et la prise en charge tardive auront pour conséquence des complications inévitables, en contradiction totale avec toute logique de santé publique. Mais en s’attaquant ainsi au droit à la santé d’une partie d’entre nous, de nationalité étrangère, ce projet de loi valide la hiérarchisation des pris en charge, considère que certains sont plus « légitimes » que d’autres à être soignés. Et après les étrangers, qui sera écarté ? La compensation des incapacités ne reposerait dès lors plus sur la solidarité mais sur des considérations individuelles et de gestion des flux migratoires. Cette loi instaurerait un mur sanitaire entre français et non-français. Si cet article de loi était amené à passer, cela entrainerait un recul général pas simplement pour les étrangers, mais pour toutes les personnes frappées d’une incapacité. Cela donnerait le signal malheureux qu’un retour en arrière est possible, et qu’il est possible de revenir, sous prétexte d’économie budgétaire (nullement avérée par ailleurs), à une protection sociale « du pauvre » limitée au seul accès aux médicaments, et située à mille lieux de la prise en charge globale.

A l’heure où le projet de loi sur l’immigration va faire l’objet d’un nouvel examen au Sénat et en Commission Mixte Paritaire début mai, il est encore temps de se mobiliser et de crier notre indignation auprès de nos décideurs, notamment en signant notre pétition. Il en va de la survie d’une partie d’entre nous, et au-delà de la pérennité de l’approche globale de santé.

Bruno Spire, Président de AIDES, avril 2011.

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