L’affaire Bobillier, du nom de cette famille du Nord en butte à des voisins qui lui contestent la transformation d’un garage en chambre pour leur fille handicapée, a fait de nouveau, cet été, la Une des grands médias. Deux ministres se sont mobilisés pour l’occasion : celle en charge du logement, Christine Boutin, a annoncé le 28 juillet dernier des dispositions censées améliorer la situation via une nouvelle loi; celle de la solidarité, Valérie Létard, est allée, deux jours plus tard, visiter la famille Bobillier pour « enfoncer le clou ». Certes, la Valenciennoise Valérie Létard s’y est rendue en voisine, les Bobillier habitant Marcq-en-Baroeul, dans le Nord, terre d’élection de la ministre, une terre qu’elle ne manque jamais de soigner, lui réservant une grande partie de ses déplacements. En politicienne déjà expérimentée, Valérie Létard n’oublie pas que son portefeuille de Secrétaire d’Etat est temporaire et prépare en permanence son retour devant les électeurs pour retrouver un mandat électif au cas où…

Mais cette considération nous éloigne du sujet sensible du logement des personnes handicapées… Alors cette fois, c’est juré, craché, elles pourront faire modifier un logement dans ses dimensions sans que les contraintes du règlement d’urbanisme s’y opposent. Pour cela, une nouvelle loi sera présentée au Parlement pour accorder des dérogations « au cas par cas ». Voici déjà une restriction d’importance : le bénéficiaire devra prouver auprès de la commission communale d’accessibilité que son handicap nécessite d’agrandir, et le Maire lui accordera éventuellement ce droit, au terme d’une formalité qui s’ajoutera à la demande de permis de construire. Pour cela, encore faudra-t-il que la personne handicapée ou sa famille ait les moyens financiers de devenir propriétaire, sachant que le surcoût des mètres carrés supplémentaires indispensables ne fait l’objet d’aucune aide : seuls sont subventionnés par la Prestation de Compensation du Handicap (et partiellement) les aménagements tels une salle de bains ou un élévateur. D’autre part, la Ministre du logement vient d’ailleurs de répondre à la question écrite d’un député, le 22 juillet, que l’intervention de l’Agence Nationale de l’Habitat se limitait à une « unité de vie » (c’est à dire 20 m² : une pièce de 4 mètres sur 5 comportant chambre, cuisine, salle de bains et W-C… sans salon ni séjour !) pour aménager un logement mitoyen destiné à un enfant ou parent handicapé ou âgé. Et on doit en être heureux : rappelons que lors de l’élaboration de la loi du 11 février 2005, la haute administration et les politiques avaient décidé que l’octroi de 5 m² supplémentaires était suffisant pour qu’un logement soit estimé adapté !

Certes, la future loi Boutin-Létard rendra probablement service à quelques personnes, si elle est votée et que son décret d’application est publié. Le décret, cette arme aux mains d’une Administration qui joue fréquemment l’inertie, et de dirigeants politiques qui ne veulent pas mettre en place une loi voulue par un autre gouvernement, une arme utilisée dans l’affaire qui nous intéresse : en effet, la dérogation au règlement d’urbanisme en faveur des personnes handicapées existe depuis le… 13 décembre 2000, avec la loi Solidarité et Renouvellement Urbain. Hélas, le décret d’application de son « exception handicap » est resté dans les tiroirs, la majorité gouvernementale ayant changé seize mois plus tard (ce qui n’a toutefois pas empêché la ville de Lyon de l’appliquer). Un esprit rationnel penserait plus efficace de l’en sortir, pour régler le problème, mais Mesdames Boutin et Létard ont préféré faire plus compliqué, plus long, et plus médiatique bien sûr…

Laurent Lejard, août 2008.

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