La fibromyalgie touche essentiellement les femmes. Ses formes diverses et diffuses la font encore considérer comme une maladie mentale par des médecins et professeurs ignorant la classification établie depuis 1992 par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Pourtant, ses séquelles invalidantes altèrent et parfois détruisent la vie des personnes atteintes, comme l’explique Laetitia Descamps, qui a fondé et préside une association de Défense des Malades atteints de fibromyalgie, Névralgie Pudendale et Douleurs Neuropathiques du périnée. Ellle s’exprime quelques semaines après la création d’une commission d’enquête parlementaire et le lancement d’une étude par l’Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (Inserm).

Question : Comment vit une personne atteinte de fibromyalgie ?

Laetitia Descamps : Le parcours d’une personne atteinte de fibromyalgie, c’est qu’un jour des maladies diverses et diffuses apparaissent sur le corps des gens. On leur fait d’abord penser qu’ils peuvent être en somatisation, voire d’autres choses un peu plus incorrectes pour la personne malade. Un jour on leur met un diagnostic, fibromyalgie, et avec ça ils ne sont pas plus avancés, parce que la maladie n’est pas reconnue par la Sécurité Sociale ni la Maison Départementale des Personnes Handicapées, et les gens se retrouvent dans des situations dramatiques sur le plan financier et humain, puisque la famille, les amis s’éloignent du malade qui n’a pas de reconnaissance. La problématique de la fibromyalgie, c’est finalement sa reconnaissance.

Question : C’est une situation que vous avez connue ?

Laetitia Descamps : Oui, tout à fait. En fait, je suis une maman tout à fait banale comme il en existe beaucoup. En général, elles sont gentilles, aimables, et voilà, j’ai eu quatre enfants, de très bonne famille, une très belle vie pendant plus de 23 ans. Mais avec la maladie qui est là, un jour vous devez subir une opération plus importante, et la famille s’étiole parce que le mari en a marre, parce que les enfants sont ados et voient leur maman malade, la famille se sépare, divorce, et vous vous retrouvez seule après avoir vécu 23 ans d’une vie heureuse dans une famille. Et puis vous vous suicidez, puisque vous voulez que je parle de moi, parce que j’en avais marre… La maladie n’est pas reconnue, y compris par les amis, l’entourage, vous perdez tout par la maladie, il faut le savoir. Vous vous suicidez, on vous réanime, et après vous rentrez quelques temps en psychiatrie, et puis là il faut repartir… Mais les maladies sont toujours là, le combat est le même, voire pire parce que vous êtes seule. Et vous vous reconstruisez, et vous recommencez à connaître un homme, depuis cinq ans je suis à nouveau avec quelqu’un et la vie faisant, vous repartez, quoi ! Le moral est à nouveau là, j’ai décidé de me battre en tant que présidente d’association et de ne plus rien laisser passer.

Question : Votre association ne comporte que des personnes atteintes de fibromyalgie ?

Laetitia Descamps : Les quinze membres adhérents sont tous atteints de fibromyalgie ou de névralgie pudendale. Ce sont des gens avec lesquels je suis amie depuis pratiquement une vingtaine d’années, puisque dans la vie en maladie on conserve des amis. Nous avons des milliers de malades en France qui suivent nos actualités, et qui ne peuvent adhérer parce qu’ils ne croient plus aux associations. Aujourd’hui, je dirige peut-être la cinquième association de malades de la fibromyalgie, j’ai précédemment participé à d’autres associations. Connaissant très bien le monde associatif de la maladie j’ai dit « aujourd’hui c’est moi qui prend les rênes et basta ! », comme cela j’irai droit au but pour mener des actions déterminantes, jusqu’à prendre bientôt un avocat d’association pour défendre nos droits qui sont normalement acquis puisque les lois existent. Ce qui manque, ce sont les décrets d’application. Voilà pourquoi vient d’être créé à l’Assemblée Nationale une commission d’enquête sur la fibromyalgie. J’ai élaboré et remis un dossier important à deux députés du Nord, dont Francis Vercamer qui est vice-président de cette commission.

Question : Quel est le problème que vous évoquez ?

Laetitia Descamps : Dans la loi Santé, il est dit que toute maladie qui amène au fait que la personne ne peut accéder à son travail est reconnue handicapée et relève des droits de la MDPH et de l’Allocation aux Adultes Handicapés. Aujourd’hui, toutes les personnes souffrant de fibromyalgie ou de névralgie pudendale n’ont pas de reconnaissance MDPH, donc n’ont pas d’AAH, beaucoup vivent avec le RSA, le minimum vital. Aujourd’hui, ces maladies sont considérées orphelines, donc les malades ne sont pas pris en charge. C’est là une défense phare de l’association. La deuxième défense, c’est que je veux que ces revenus ne soient pas liés aux revenus du conjoint ou compagnon, je trouve cela abominable. Quand on travaille à deux, les deux revenus sont joints et on paye des impôts. Pourquoi faut-il que quand il y a un handicapé dans une famille il ne touche pas un revenu de solidarité minimal qui ne soit pas lié au conjoint ? Je ne vois pas pourquoi un handicapé aujourd’hui devrait aussi être pauvre. La troisième défense de l’association, c’est que les décrets soient appliqués quand ils seront établis. Malheureusement, la Sécurité Sociale et les MDPH ne se sentent pas forcément obligées de respecter les règles d’État.

Question : Vous pouvez préciser ?

Laetitia Descamps : Les MDPH et la Sécurité Sociale ont des barèmes précis, qui référencent les maladies. Dans certaines régions, des malades sont rentrés dans le cursus Sécurité Sociale et touchent une pension d’invalidité, ce qui est mon cas. Il a fallu que je me batte en 2002 en contentieux Sécurité Sociale. J’avais aussi gagné cette reconnaissance auprès de la COTOREP [prédécesseur des commissions des MDPH NDLR] en 2002, mais il y a neuf mois, la MDPH décide que les critères ont changé et m’enlève mes droits, comme à d’autres malades. Je trouve tout à fait anormal qu’une maladie qui touche près de trois millions d’individus en France ne soit pas reconnue et soit toujours diabolisée, éventuellement en psychiatrie. Je ne peux pas le supporter, alors que l’Organisation Mondiale de la Santé reconnaît la fibromyalgie depuis 1994. Et malgré cela, les médecins fibro-sceptiques prétendent que la maladie devrait encore aujourd’hui être psychiatrisée, dans les fonctions de la somatisation d’hystérie. C’est aberrant !

Propos recueillis par Laurent Lejard, juin 2016.

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