En Afrique, les femmes handicapées sont confrontées à la stigmatisation, l’isolement, elles sont ignorées, punies et généralement victimes des attitudes négatives de la part de la société. Comme dans la plupart des pays en voie de développement, les femmes sont considérées au Cameroun comme un groupe marginalisé et celles qui vivent avec un handicap le sont encore plus. Limitées par leur déficience physique, elles doivent surmonter des attitudes de rejet et une myriade d’obstacles naturels dans la société.

Pour la plupart, ces Camerounaises sont sous-scolarisées. Et pour cause : les parents estiment qu’éduquer une fille, qui plus est handicapée, est une perte de temps et de ressources et, dans certains cas, les longues distances qu’elles doivent parcourir pour aller à l’école sont un obstacle. Signalons aussi le cas de celles qui doivent abandonner les études pour suivre de longs traitements dans les hôpitaux et les centres de rééducation. Par conséquent, la majorité des femmes handicapées n’ont pas d’emploi et doivent entièrement dépendre des autres pour subvenir à leurs besoins, même les plus élémentaires.

Celles qui ont un emploi sont généralement enseignantes, boutiquières et gérantes de boutiques téléphoniques couramment appelées Call box. La grande majorité exerce des métiers excessivement contraignants et à faibles revenus, notamment la broderie, la couture, la vannerie, l’artisanat et le petit commerce. Tel est le cas de Ngwa Margaret Neh, mère de trois enfants, et de Rose Lum, qui a un enfant. Margaret, a perdu une jambe suite à une injection de Quinimax (un médicament antipaludéen) qu’elle a reçue encore toute petite, et Rose, quant à elle, a perdu la vue il y a de cela quelques années. Elles vivent toutes deux à Ntabang, une localité rurale située a la périphérie de Bamenda, chef lieu de la Région du Nord-Ouest du Cameroun. Malgré son handicap, Margaret déclare : « Je n’ai pas d’autres choix que de mener plusieurs activités pour soutenir ma famille. Je fais de l’agriculture et du petit commerce. Cela me permet de nourrir et d’envoyer mes enfants à l’école ». Toutefois, son plus grand souci est de mettre ses enfants à l’abri de la mendicité. « Qu’ils ne finissent pas comme moi » ajoute-t-elle.

Un proverbe Bantou dit que « l’enfant est la canne du vieillard ». Ainsi, au Cameroun, les parents fournissent tous les efforts pour la réussite de leur progéniture afin que celle-ci puisse les soutenir plus tard dans leur vieillesse. C’est dans cette logique que Rose Lum élève son fils Vanel. « Il a dix ans et il est celui qui m’aide à tout faire. Il est mes yeux et mon guide. Sans son aide je ne serais pas capable de faire mon petit commerce », explique-t-elle.

Evelyn Afumbong fait aussi partie de ces femmes. Venue au monde avec une déficience sévère il y a de cela 25 ans, elle a été rejetée par sa famille et a fini par se retrouver au Centre National de Réhabilitation des Handicapés de Yaoundé. Elle y a trouvé un abri, quoique dépendante toujours des bonnes volontés pour chacun de ses besoins élémentaires. Cependant, lors d’une récente restructuration du Centre, elle a été mise à la porte, abandonnée à elle-même. Au milieu des ces défis, Evelyn fait montre d’une foi solide et une profonde confiance pour le futur. Elle affirme : « Au cours de ma vie, j’ai toujours été soutenue de toute part. Je crois que Dieu va continuer de mettre des gens sur mon chemin afin qu’ils m’aident ». Les cas des femmes, comme Rose, Margaret et Evelyn, qui ont appris à survivre avec leur handicap abondent au Cameroun.

L’expérience démontre que ces femmes se mettent généralement en association aux fins de partager leur savoir-faire, se soutenir les unes les autres, apprendre de nouveaux métiers et rechercher des fonds pour réaliser leurs projets sociaux. Le Centre de Ressource Sociale Pour Les Handicapés et les Marginalisés (Community Resource Centre For the Disabled and the Disadvantaged – CRCDD) fondé par Florence Limen, elle-même victime d’une injection de Quinimax et paralysée d’un bras et des deux membres inférieurs depuis l’enfance, peut être cité parmi ces associations. Apres avoir réussi à surmonter les obstacles et vaincu son handicap, Florence oeuvre aujourd’hui pour « éclairer les autres femmes à travers des paroles et des actes; plus précisément les femmes handicapées des zones rurales ». Elle déplore néanmoins le manque de fonds pour la réalisation de projets, parmi lesquels la mise sur pied d’une structure de micro-crédit dans le but de répondre à l’un des plus grands besoins des femmes handicapées : l’accès au crédit et à la micro-finance.

Le secteur de la santé est l’un des domaines qui mérite qu’on y jette un regard particulier. Les études montrent en effet que près de la moitié des femmes ne connaissent pas les causes de leur déficience. C’est un fait très troublant pour le docteur Michael Agbor de l’Hôpital Baptiste de Mbingo, étant donné qu’il n’existe presque pas de structures pour le suivi de procréation et de grossesse des femmes handicapées. Certaines femmes apprennent le jour de l’accouchement qu’elles doivent subir une césarienne. Le docteur Agbor constate également qu’elles ne soient pas impliquées dans la plupart des campagnes de santé publique. Il propose que plus d’attention soit accordée au traitement préventif et à la réhabilitation afin de briser « le cycle de l’analphabétisme, de la pauvreté et de l’ignorance ».

Le mariage et la procréation sont deux faits culturels qui occupent une place de choix en Afrique. Dans ce contexte où la dignité d’une femme est déterminée par ces valeurs, les femmes handicapées sont souvent mises au ban de la société et considérées comme incapables de se marier et faire des enfants. Il importe aussi de relever le cas particulier de femmes handicapées mentales qui, parfois, sont ignorantes des répercussions héréditaires que leur déficience mentale peut causer à leurs enfants. Ceci n’est qu’un aspect de la chose. Considérant l’autre aspect, on constate que ces femmes ont peur de s’engager dans une relation sérieuse et durable. Toutefois, pour certaines d’entre elles, le choix réside entre rester célibataire ou s’engager dans des foyers polygamiques avec des hommes qui, dans la plupart des cas, sont beaucoup plus âgés qu’elles. Confrontée à ces deux options, Grace Tamungong a penché pour la deuxième. Aujourd’hui mère de plusieurs enfants, dont quelques-uns déjà bien grands, elle peut témoigner : « Je suis certaine d’avoir fait le bon choix car j’ai une grande famille et tout le soutien dont j’ai besoin ».

Bien que faisant face à de grands défis, les femmes handicapées du Cameroun sont persévérantes et optimistes. A travers le ministère des Affaires Sociales et celui de la Promotion de la Femme et de la Famille, le Gouvernement élabore davantage de programmes et de politiques en faveur des filles et femmes handicapées. De plus en plus de familles prennent conscience, reconnaissent et exploitent les potentialités de leur fille handicapée et des femmes conjuguent leurs efforts pour travailler ensemble. En conséquence, l’on est en droit d’espérer que les prochaines générations des femmes camerounaises handicapées n’auront plus à faire face à autant de difficultés. Ainsi, le cycle de la pauvreté sera brisé.


Muluh Hilda Bih, juin 2010.

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