Sophie Froger réside à Bourges (Cher); elle exerçait au Barreau au sein d’un cabinet d’avocats pour lequel elle traitait essentiellement des affaires civiles, de droit des familles. Jusqu’à ce qu’elle se retrouve brusquement sans jambes ni vision, emportés par une brutale poussée de sclérose en plaques. Un diagnostic qu’elle a arraché à des médecins qui n’osaient pas l’annoncer. Lentement, elle a récupéré la marche et la vue, mais d’autres poussées, aussi imprévisibles que la première, lui ont fait comprendre qu’elle ne pourrait plus travailler au service de ses clients, ne pouvant leur assurer une défense fiable du fait de sa maladie. Son âge (43 ans en 2000) ne lui ouvrait guère de possibilités de reclassement salarié, en tant que conseillère juridique par exemple : quelle entreprise aurait embauché une femme que la maladie pouvait terrasser sans prévenir ?

Alors, dès que son état s’est stabilisé, Sophie Froger a décidé de continuer de travailler au service des autres : elle a d’abord rejoint la Ligue française contre la sclérose en plaques (L.F.S.E.P) dont elle a été la correspondante pour la région Centre de 2001 à 2005, et intégré l’association Visite des malades en établissements hospitaliers (V.M.E.H). Durant quatre ans, elle a visité aussi régulièrement qu’elle le pouvait des personnes hospitalisées. Essentiellement très âgées, au crépuscule douloureux de leur vie, auxquelles elle apportait une présence, un dialogue, un réconfort, un accompagnement. Cette période de sa vie, Sophie Froger la raconte dans un récit poétique qui vient de paraître aux Editions de l’Harmattan : « Le chant de l’arc en ciel ». Elle y conte ces rencontres avec les femmes et les hommes hospitalisés, certains délaissés par leur famille, seuls, ou dans l’attente de la visite du conjoint dont les médecins tardent à avouer que, depuis quelques jours, il est installé quelques lits plus loin… Sophie Froger parle à tous et prodigue des caresses à des êtres pour qui la tendresse n’est plus qu’un souvenir : « J’aime les toucher, poser ma main sur une épaule, un bras, une main. Caresser leur visage, leurs cheveux. Doucement, tout doucement, comme on berce un enfant pour le calmer. Les calmer, quelques instants. Les calmer de cette frayeur de devoir vivre encore ».

Depuis peu, Sophie Froger a suspendu ses visites hospitalières; elle a créé, en février 2005, une association locale (Asep 18) parce qu’elle croit davantage en l’efficacité de l’aide de proximité qu’en l’action des grandes associations nationales. Elle aide les autres à l’aune de son propre parcours du combattant : « La chance que j’ai eu, c’est que je connaissais le Droit. Mais ça a quand même été épouvantable »… Exerçant une profession libérale, elle a dû se battre pour obtenir une pension et des moyens décents d’existence. « Il faut en rajouter pour obtenir ses droits, certaines séquelles ne se voient pas, tels les problèmes urinaires. Les expertises demandées par la Sécurité Sociale pour attribuer une pension ne sont pas effectuées par des médecins spécialisés. Des organismes profitent de la faiblesse des gens; j’ai récemment assisté une femme dont la mutuelle refusait d’exécuter le contrat, prétextant une nullité qui n’existait pas ».

Sophie Froger s’est également occupée de son foyer, sans guère de soutien, tout juste quelques heures hebdomadaires d’aide à domicile. Mais elle ne se plaint pas de l’évolution de son train de vie : sportive, elle vivait confortablement, avait une employée de maison. « Ma vie quotidienne n’est rien par rapport à celles des autres. Par mon travail, je me suis constitué un patrimoine qui m’a permis de reconstruire une vie décente ». Elle prend soin de sa fille, son fils a quitté le foyer familial, il poursuit des études de Droit. « Au début, il s’est inquiété du caractère mortel de ma maladie. Je lui ai expliqué, ainsi qu’à sa petite soeur, ils ont compris. Mais ils ont trinqué quand même, côté stress… Mon fils assume parfaitement ma maladie, et il vit au contact de jeunes handicapés. Il fait du tennis de table avec des handisportifs, assiste à des matches de basket fauteuil roulant. Je pense que, quelque part, il continuera mon travail d’accompagnement; il souhaite intégrer l’école des cadres de santé ». D’ici là, Sophie Froger aura encore dispensé beaucoup d’aide et de réconfort autour d’elle, et elle a beaucoup à donner.

Laurent Lejard, décembre 2005.


Sophie Froger signe, sous les noms de ses parents (Poilane-Benhaïm) « Le chant de l’arc en ciel » aux Editions L’Harmattan, 15,50€, en librairies.

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