Malgré la loi du 11 février 2005 qui prône la citoyenneté des personnes handicapées, la surdité engendre encore des difficultés presque insurmontables pour s’engager dans l’action politique et la vie publique. La faute en incombe aux lacunes d’accessibilité qui constituent une barrière de communication entre Sourds et entendants, barrière que Raphaël Bouton, qui a été diagnostiqué avec 90% de surdité à l’âge de trois ans, veut faire disparaître. Et c’est d’abord au sein du Parti Socialiste, dans lequel il milite, qu’il entend établir cette égalité indispensable de traitement entre sourds et entendants en mobilisant sa commission handicap.

« La secrétaire nationale déléguée nommée en 2009, Charlotte Brun, a décidé de prendre la question du handicap à bras le corps. La discussion d’une Charte d’accessibilité est lancée. Un interprète en Langue des Signes Française participe aux réunions de la commission. Les dirigeants du parti sont d’accord pour qu’un interprète soit près d’eux lors des meetings, alors qu’il est souvent au pied de la tribune ». La faute aux journalistes qui demandent que l’interprète soit le plus éloigné possible de l’orateur ! « En tant que socialiste, reprend Raphaël Bouton, je pense qu’on doit vivre dans une société qui donne accès à l’éducation, à l’emploi, aux services publics. Avoir accès au téléphone, aux films, à un enseignement bilingue, revendiquer ce droit d’accès c’est un combat dans lequel je veux m’investir. »

Si son parcours scolaire a été plutôt chaotique, écartelé qu’il était entre une oralisation choisie et la découverte du monde des Sourds, Raphaël Bouton a finalement trouvé son équilibre. Sa première rencontre avec une langue des signes encore interdite date de 1982, alors qu’il était élève au Cours Morvan, à Paris : « Ça a été une renaissance, après des alternances entre établissements spécialisés et intégration scolaire. J’y ai eu des vrais amis, des échanges avec les jeunes sourds ». Après moult péripéties qui l’ont conduit du Perreux-sur-Marne à Nevers, il a obtenu son baccalauréat, a dû renoncer à des études d’ingénieur faute d’école acceptant un jeune sourd, et a poursuivi des études supérieures sur photocopies de cours et en travaillant dans la bibliothèque universitaire grâce au soutien de ses camarades. A l’époque, en 1992, il fut l’un des fondateurs de l’association des étudiants sourds et malentendants, à la direction de laquelle il participa pendant trois ans.

A maintenant 40 ans, il travaille à la gestion administrative et à la maitrise d’ouvrage à la direction des parcs et jardins de la communauté Plaine Commune, en Seine-Saint-Denis. C’est à une quinzaine de kilomètres qu’il réside, à Rosny-sous-Bois dans le département si décrié du « 9-3 », et milite au sein de la section du Parti Socialiste. Mais il participe également aux activités d’une structure qui semble unique en France, une section qui rassemble les militants sourds et malentendants et qui dispose de son site web. « Il est très difficile pour un seul sourd d’être organisé au sein d’une section, parce qu’elle n’a pas les moyens de payer un interprète, explique Raphaël Bouton. C’est pour cela que la section sourds et malentendants a été créée en juin 2010, pour combler l’accessibilité défaillante ». Elle succédait à une organisation informelle sous la forme d’un collectif de militants sourds qui a été formé en octobre 2006. Une première section sourds et malentendants de Paris avait été créée en 1999, puis victime d’une désaffectation de ses membres alors que l’organisation du parti en contestait l’existence.

Directeur de campagne.

Comment diriger une campagne électorale lorsque l’on est sourd dans la France mal accessible de 2011 ? « J’avais soif d’apprendre en arrivant dans la section de Rosny-sous-Bois, poursuit Raphaël Bouton. On ne se construit pas seul, mais avec les autres. La section m’a donné confiance, accompagné, j’avais du mal à m’exprimer. »

« Cette relation a été bénéfique pour tous les militants, complète Philippe Vachieri, qui dirige la section. Raphaël nous a aidé à être plus discipliné dans les débats, à maitriser les temps de parole ». Dans les réunions, il est placé de manière à voir chaque participant, pour comprendre ce qu’ils disent. Et c’est sa maitrise de la gestion administrative ainsi que de l’Internet qui lui a valu d’être choisi comme directeur de la campagne électorale de Philippe Vachieri pour l’élection cantonale des 20 et 27 mars 2011 : « On m’a choisi parce que j’ai la compétence, et la confiance de mes camarades, affirme Raphaël Bouton. Le fait que j’oralise m’aide, même si je traite beaucoup de choses par messagerie électronique. Maintenant, on vit dans une société où la communication orale est importante. Alors, je compte sur la complicité humaine, et les militants m’aident ». Son objectif est d’intégrer le handicap dans le programme du Parti Socialiste, et Philippe Vachieri reconnaît que certaines propositions de Raphaël Bouton ont été acceptées : « C’était le cas en étant candidat aux élections municipales de 2008, pas pour courir après un siège, mais agir pour mes convictions. Et être reconnu pour mon travail et mon action, en ayant des relais au sein du parti. Le fait d’être là change les choses, et l’intégration se fait ».

Propos recueillis par Laurent Lejard, janvier 2011.

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