L’Administration ne voulait pas en parler mais Accès Libre vient de sortir de sa version Béta (bien que son URL le mentionne toujours) et serait désormais opérationnel. Créée par une start-up d’État, cette cartographie d’établissements recevant du public (ERP) est pilotée par la Délégation Ministérielle à l’Accessibilité (DMA), et répond à une commande politique : l’accessibilité n’étant pas universelle, faute de volonté des gouvernements successifs et de l’administration centrale depuis 2007, un répertoire des lieux accessibles demeure utile et même nécessaire. Sauf que l’État a débarqué avec sa puissance de frappe effarouchant les acteurs historiques, tout en affichant un discours fédérateur. « On veut développer des partenariats avec tous ceux qui peuvent mobiliser sur le terrain, justifiait en novembre dernier la Déléguée Ministérielle à l’Accessibilité, Brigitte Thorin, retraitée depuis. La tâche est immense en visant l’exhaustivité sur un territoire à taille humaine pour apporter un plus en terme de service, aller chercher les bonnes volontés et les prestataires qui en ont fait un business. »

La DMA s’appuie sur le travail collaboratif des propriétaires, exploitants et usagers qui créent des fiches d’ERP, et le transfert de données de cartographies existantes : elle a signé quelques conventions et collaborations. Toutefois, outre une interface aussi désuète que rebutante pour l’utilisateur final, Accès Libre demeure indigent. Son moteur de recherche renvoie les occurrences du mot, ce qui fait que si Paris donne 136 résultats, cela ne concerne que 39 lieux parisiens (dont plusieurs doublons telle la Maison Victor Hugo qui apparaît 4 fois), le reste étant situé un peu partout en France. Seconde ville du pays, Marseille en retourne 26 (dont un lieu à Apt dans le Vaucluse…) avec plusieurs doublons, et quand on retire les centres de vaccinations il ne reste que 9 ERP dont un qui n’existe pas : n’importe qui peut créer une fiche et inscrire ce qu’il veut.

Les données n’existent pas

Là où l’État et son bras armé la DMA pourrait faire la différence, c’est sur le chantier de la donnée ou data : elle pilote l’élaboration de la norme NeTEx du transport collectif adaptée aux ERP. A cet égard, les collectivités locales Autorités Organisatrices de Mobilité (AOM) sont théoriquement obligées par la loi d’orientation des mobilités de collecter ces données concernant les points d’arrêts et les cheminements piétons sur un rayon de 200 mètres pour les mettre à la disposition des gestionnaires de systèmes d’information du public, qu’ils soient gratuits ou payants. Si le projet de décret d’application a reçu l’avis favorable du Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées (CNCPH) le 24 septembre 2020, il n’est toujours pas publié. C’est sur ce chantier que travaille Andyamo, créé en 2017 par Marco Petitto, tétraplégique depuis un accident de ski. Pour améliorer sa mobilité, il a créé un générateur d’itinéraires touristiques accessibles encore très peu utilisé, avec étapes testées et reliées entre elles. L’entreprise développe également des activités commerciales : « On a travaillé sur Clermont-Ferrand et Grenoble pour la mobilité de tous les jours, précise Sébastien Guillon, président cofondateur. Ça concerne le handicap moteur et les poussettes, et les autres handicaps pour notre travail en Auvergne-Rhône-Alpes en 2021 et 2022. On repositionne trottoirs, passages piétons et arrêts de transports sur des images satellite fournies par Airbus, avec une précision de 0,5m ». Andyamo vient d’ailleurs d’être sélectionné par le ministère des Transports et son agence France Mobilités pour déployer sa solution sur les lieux des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024.

Un des itinéraires grenoblois Andyamo

Les cartes numériques intègrent les données collectées par le syndicat mixte des transports de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme) et de Grenoble (Isère) qui ont répertorié l’accessibilité de l’environnement des points d’arrêt : « On travaille en synergie. Ça nécessite quand même un quart de vérifications de terrain. » Sébastien Guillon s’interroge sur la généralisation d’une telle démarche : « Qui va faire la collecte alors que les AOM n’ont pas les moyens et les équipes nécessaires, et mettre à jour les infos en temps réel, inclure les habitants pour faire remonter les obstacles ? La base de données des travaux et chantiers est généralement tenue par l’agglomération qui n’informe pas forcément les villes et les opérateurs. » Autant de bémols à la production de données d’accessibilité intégrables dans des cartographies numériques.

Autre acteur de terrain, Handimap est présent sur Lorient (Morbihan) et Rennes (Ille-et-Vilaine) essentiellement, Montpellier se désengageant alors que l’Hérault est très actif pour valoriser ses territoires labellisés Destination pour tous au sein de l’appli mobile Hérault Mobility. « On a le projet de s’étendre sur 15 territoires, précise Bertrand Gervais, cofondateur d’Handimap. On est spécialiste en cartographie numérique. Au départ, elle était représentée sous l’angle de l’accès routier, sans notion de trottoir ni de passages piétons, de largeur, de revêtements, de pente. C’est ce qu’on a introduit à Rennes avec des données en open data. La donnée, c’est le nerf de la guerre, très peu de territoires en produisent. Notre sujet, c’est d’aider les villes à le faire. » Il participe à un groupe de travail du Conseil national de l’information géographique (CNIG) sur la normalisation de la data ERP, et travaille pour d’importantes sociétés, dont Via Michelin et le Centre national d’études spatiales : « On est développeurs, on fabrique des outils de production de données, des sites. Pour Handimap on travaille sur la marchabilité, composante forte de l’accessibilité, avec des points communs. Faire des relevés de terrain dépend d’appels d’offres qui produisent de date à date, et il faut procéder par croisement avec les collectivités pour la mise à jour des jeux de données. » Bertrand Gervais constate que tous les projets collaboratifs nécessitent une communauté active pour modérer : « Sur Rennes, on avait élaboré un crowdata que la collectivité n’a pu organiser. On ne peut pas tout miser sur le collaboratif. » Dans le même temps, il estime qu’aucune métropole est préparée à collecter la donnée des points d’arrêt de transport sur 200 m de rayon : « En 11 ans, je n’ai pas réussi à convaincre les grandes villes de France, c’est un sujet au long cours. »

Applis et sites plus ou moins performants

Cartographie d'un quartier de Marseille sur Jaccede

Acteur historique, Jaccede a été créé en 2006 et revendique actuellement 160.000 fiches à fin 2020, précise son délégué général Sylvain Paillette : « Notre travail de terrain a été moins important en 2020 du fait de la pandémie. Pendant cette période, on a constaté 800.000 vues sur le site. » Il convient toutefois de pondérer : sur le site web, de nombreuses fiches ne comportent pas de mentions sur l’accessibilité, les infos qualifiées sont sur l’appli mobile. Et l’affichage des lieux sur cette dernière est aléatoire hors géolocalisation : la recherche renvoie des paquets de fiches mais le déplacement sur la carte n’affiche pas les lieux du quartier voisin : peu pratique pour préparer un déplacement. Pour alimenter la cartographie, Jaccede compte sur les utilisateurs et organise également des opérations de collecte par des bénévoles : « Sur les 25.000 lieux inscrits en 2020, on a collecté peu et ce sont nos membres qui ont apporté des informations. » L’association participe aux réunions d’élaboration de la data ERP, constatant des points de vue parfois divergents : « L’État et le groupe de travail peuvent trancher et poser un référentiel. Il va falloir que nous adaptions nos données. On a d’ailleurs signé une convention avec Accès Libre pour avancer sur l’open data. On est le premier opérateur historique, et celui qui répertorie le plus de lieux, on souhaite s’orienter sur un socle commun de référentiel. » Restent les moyens financiers nécessaires à cette évolution : « La DMA devait nous aider à en trouver mais ce n’est pas fait. Jaccede est dans une situation un peu complexe en ce moment, notre engagement dépend de ces moyens. On pourrait imaginer que des sociétés mettent du budget. » Sylvain Paillette s’interroge toutefois sur le fait que l’État crée une start-up d’État tout en finançant Jaccede.

Versailles sur Accessible.net

Créé en 2013 par la société Kernix sous le nom Handistrict, Accessible.net est l’un des plus anciens handi-cartographes. « On continue de faire évoluer la solution fonctionnelle en la faisant évoluer en fonction des partenaires, explique son directeur, François-Xavier Bois. En termes de développement, notre objectif est de tisser des partenariats avec essentiellement des organismes publics qui peuvent recenser leur accessibilité. » Le site contient 10.000 fiches (dont beaucoup de bureaux de poste) comportant des infos complètes et précises : là, on sait ce qu’est le lieu, ce qu’il propose, ses heures d’ouverture et infos pratiques, une présentation très pro mais un peu austère. « On n’a pas les moyens de faire de l’affichage et de contacter les commerçants et exploitants un par un. On est peu connus, 30.000 à 35.000 utilisateurs par mois. Notre enjeu, c’est d’avoir une base de données plus complète, on est pauvre dans les grandes villes. » Kernix n’a pas trouvé le partenaire qui mettrait des moyens, sa dotation initiale d’État étant épuisée depuis longtemps. « A Paris, on a conclu un partenariat avec le Comité Régional de Tourisme Île-de-France qui avait fait le pari de fonctionner avec nous, on a profité de leur notoriété, mais cela n’a pas amené d’autres partenaires locaux. Mis à part un ou deux contrats, on travaille à perte. Je mise sur le fait que cette initiative a du sens, je tiens à ce projet-là. J’ai connu des dizaines d’initiatives de gens qui ne parvenaient pas à tenir. » François-Xavier Bois s’interroge sur la pertinence d’Accès Libre qui lui a proposé de faire don de ses données sans contrepartie : « J’ai participé à l’élaboration d’un format de données d’accessibilité, ils [Accès Libre] sont allés à un niveau de précision qui va démobiliser. Il ne s’agit pas de créer une plate-forme, mais de la faire vivre sur le long terme. Il faut mettre des moyens tout le temps. » La tendance actuelle des start-up d’État à créer des plateformes est-elle durable ?

Carte des activités répertoriées par Activhandi

Plus spécialisé, Activhandi travaille sur la mise en relation avec des organisateurs d’événements sportifs et de loisirs. « On va référencer les 1.400 clubs handisports, explique sa cofondatrice, Angélina Pergod. On a commencé par le sport, parce que mon compagnon a pratiqué le para-canoë, en constatant qu’il n’existait pas d’appli mobile référençant les activités sportives accessibles. » Actuellement, la cartographie web couvre essentiellement l’Auvergne-Rhône-Alpes, le Languedoc et la Provence, situant 150 activités de plein-air, sentiers et randonnées. « On prépare l’élaboration de séjours touristiques en Savoie et Haute-Savoie, pour des loisirs, du bien-être ou du répit. » La partie commerciale ne fait pas recette, avec deux partenaires seulement : « On contacte les organisateurs pour qu’ils s’abonnent et présentent leurs activités, on se rend sur place pour vérifier accessibilité et accueil. » Pas impliqué dans Accès Libre, Activehandi est toutefois retenu par le ministère de la Santé pour le volet handicap du futur carnet de santé numérique e-santé : de quoi s’interroger à nouveau sur l’action de l’État, ses ministères étant incapables de se parler pour mettre leurs actions en cohérence.

Cartographie erronée de Vierzon, comportant des établissements situés en Angleterre

Terminons ce tour d’horizon non exhaustif par un acteur commercial particulièrement actif, Picto Access ex Picto Travel. « On s’est éloigné du concept de cartographie et d’appli mobile, désormais abandonnée », précise Caroline Isadora Fraenkel. Elle fait bien, tant la cartographie toujours consultable en ligne comporte d’erreurs, allant jusqu’à situer rue de l’Unité à Vierzon (Cher) une flopée de pubs et bed & breakfast anglais ! Cette société vend désormais du diagnostic d’accessibilité pour la classer sur une échelle spécifique, à charge pour les clients de la rendre visible sur leurs sites webs, applis et documents de communication. « On répertorie 150 critères sur huit déficiences et situations de handicap pour qualifier l’accessibilité de l’établissement. » Orienté business et professionnels, Picto Access ne vous sera d’aucune aide pour préparer vos prochains séjours de vacances…

Laurent Lejard, mai 2021.

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