Si « le déploiement des services publics numériques de qualité pour les démarches administratives courantes des Français est une priorité du Gouvernement », ce discours maintes fois affirmé demeure sans suite pour les usagers handicapés. Et pour cause : les codeurs et intégrateurs informatiques ne sont toujours pas sensibilisés aux besoins des usagers handicapés, et encore moins formés, dix-huit ans après le premier rapport au Gouvernement constatant cette nécessité. Malgré la loi du 11 février 2005 et sa modification par celle du 7 septembre 2018, l’accessibilité numérique n’est pas intégrée aux programmes de formations diplômantes, qu’elles soient initiales ou continues.

Peu de professionnels formés à l’accessibilité

Pour meubler quelque peu ce désert, la société O’Clock lance en septembre prochain une formation longue et diplômante de développeur web accessible, de niveau 5 (bac+2, anciennement niveau III), qui se déroulera en télé-présentiel. « L’école O’Clock a été créée en 2017 avec l’idée de rendre la formation accessible à distance, explique son cofondateur, Dario Spagnolo. La notion d’accessibilité au sens « handicap » est venue au fil de notre histoire, on s’y est intéressé au début en 2019, en montant Intégra11y avec Tanaguru, l’Association Valentin Haüy et l’Agefiph. On constate un manque de prise en considération du sujet malgré l’extension de l’obligation d’accessibilité aux grandes entreprises ; la réglementation aide mais il y a un déficit de compétences des professionnels qui codent et programment, alors on s’attaque à ce déficit tout en rendant nos formations accessibles aux professionnels handicapés. »

O'Clock formation devant écran

Développeuse web indépendante, Julie Leroy participe pour O’Clock à l’élaboration du programme de cette formation. « J’ai été très tôt sensibilisée à l’accessibilité numérique, et sensible à l’ergonomie. En 2005 les projets web n’étaient pas suffisamment matures pour que l’accessibilité soit prise en compte, les équipes se préoccupaient uniquement de la fonctionnalité technique, pas de l’usage et des utilisateurs finaux. » Elle a travaillé sur des projets et réalisations de la DILA (Direction de l’information légale et administrative) visant l’accessibilité par sa priorisation dans service-public.fr et les démarches en ligne. Ainsi que pour l’un des commandos UX déployés par la Direction interministérielle du numérique de l’État (DINUM) : « On était une quinzaine de personnes réparties pendant 4 mois sur plusieurs démarches administratives numériques, seules ou en binôme. Chacun travaillait un critère à la fois pour chaque formalité, un travail très difficile quand il faut repasser derrière. » L’accessibilité est en effet bien plus aisée à réaliser dès le début d’un projet numérique plutôt qu’en correction des problèmes, comme en témoignent l’expérience récente des nouvelles plateformes numériques de Radio-France et de la SNCF.

« J’ai rencontré O’Clock au printemps 2021, ils m’ont abordé sur une problématique de montage d’une formation à destination de futurs intégrateurs déficients visuels, avec la création de pages web intégrant l’accessibilité, le référencement, les scripts, les feuilles de style CSS, etc. J’ai été assez étonnée parce que c’était une approche particulière, après une interrogation sur mes capacités. J’ai dû vaincre un syndrome d’imposteur : après avoir été formée par des usagers aveugles, je vais former des personnes déficientes visuelles ! En fait, c’est fantastique de communiquer sur ces approches avec des personnes concernées. » Elle participe au programme de la formation sur le volet accessibilité, pour former les formateurs, tester les interfaces et les sites web de référence, tout créer en travaillant avec des formateurs O’Clock qui ont suivi des formations, y compris concernant la surdité. Et elle déplore l’absence désormais totale de certification de l’accessibilité numérique : l’État a abandonné au bout de 5 ans le label e-accessible lancé le 25 juin 2015, et Accessiweb disparaît avec la récente liquidation judiciaire de l’association Braillenet qui le portait.

Des décideurs informés mais inactifs

Dario Spagnolo

Si l’initiative d’O’Clock est à saluer, ce n’est pas la vingtaine de diplômés prévus pour juillet 2023 qui renversera la table, même si la société espère multiplier les sessions en obtenant des financements publics. « On a présenté nos actions à Sophie Cluzel, secrétaire d’État aux Personnes handicapées, et au niveau régional à Pierre Deniziot [conseiller régional Île-de-France chargé du handicap], reprend Dario Spagnolo. Ils font le même constat sur l’inertie des décideurs mais restent dans l’attente d’une génération spontanée des acteurs économiques. Dès qu’on présente des propositions, il faut se battre, notamment pour faire financer des formations. Il faut mettre de nombreux acteurs autour de la table, chacun avec sa vision qui n’est pas celle du voisin. On sort d’une expérimentation en prenant notre courage à deux mains pour intégrer dans nos formations des personnes handicapées à titre gratuit, en espérant que des financeurs couvriront le coût qu’elles ne paieront pas. » Une société privée qui fait le job des pouvoirs publics, en quelque sorte…

« Cette formation est un début, pour plusieurs dizaines de personnes par an, conclut Dario Spagnolo. On va commencer en septembre, avec une session pour 20 personnes et l’objectif d’au moins deux sessions par an à partir de 2023 s’il y a du financement. On doit communiquer sur l’existence de cette formation, le sourcing n’est pas évident et on doit redoubler d’efforts pour trouver des candidats. On s’attendait à trouver davantage de relais alors que les besoins sont énormes. »

Laurent Lejard, mai 2022.

La formation O’Clock Développeur Web et Web Mobile débutera en septembre 2022 pour un public mixte handis-valides :

  • session à distance en téléprésentiel ;
  • les candidats titulaires d’une Reconnaissance de la Qualité de Travailleur Handicapé seront privilégiés ;
  • aucun diplôme ou formation initiale requis, mais une appétence pour les métiers du numérique avec expérience ou pas ;
  • durée 11 mois à temps-plein (30 heures par semaine), incluant un stage en entreprise d’au moins deux mois ;
  • diplôme inscrit au Répertoire national des certifications professionnelles ;
  • le statut des candidats peut ouvrir droit à une rémunération par Pôle Emploi ou le Conseil Régional du lieu de résidence ;
  • coût de 8.500€ pour le financeur, comprenant le passage de l’examen pour la certification de la formation par le ministère ;
  • compte personnel de formation (CPF) mobilisable au cas par cas.
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