Le coronavirus Covid-19 pourrait avoir une victime qu’aucun média n’aura évoquée : la vie associative. Non, en matière de handicap, la vie associative n’est pas un loisir dominical, aussi plaisant que futile : c’est à elle, et aux personnes issues d’elle, que nous devons à peu près tout ce qui existe en matière de handicap en France.

Aussi, beaucoup ont fêté l’arrivée au pouvoir de Sophie Cluzel, attendu qu’elle était issue elle-même du monde associatif. Nul ne se doutait alors que le fil conducteur de sa politique allait être celui de l’étranglement des associations. Le premier plan d’attaque, formulé dès les premières semaines de son pouvoir, avait été celui de la mise à l’écart des associations au profit de figures choisies, les fameux auto-représentants ou AR. Initialement, et au demeurant Sophie Cluzel ne s’en cachait pas, son plan était de supprimer toute représentation associative des organismes de concertation, du Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées à la Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie, au profit de ces AR. Le plan se heurta à des difficultés pratiques, depuis la difficulté à trouver en nombre des courtisans parfaitement dociles, jusqu’aux querelles entre parvenus, sans oublier la fronde croissante des grandes associations. Suite à l’intervention des plus hauts niveaux de l’État, le front s’embourba et on en resta à une solution bâtarde dans les instances représentatives. Passons les détails.

Beaucoup d’associations pensaient la guerre terminée. C’était se méprendre sur le deuxième plan d’attaque contre la vie associative, celui de la nationalisation des associations, ou plutôt de la création d’instances officielles dépendant directement du ministère et destinées à se substituer aux associations. La mise en œuvre du projet fut facilitée par la présence d’éléments ayant connu des échecs personnels dans leurs carrières associatives respectives, ainsi que par l’appât du lucre de grandes entreprises ou fondations. Ainsi furent imposés des services nationaux tels qu’Autisme Info Service à la place des lignes de contact des grandes associations, puis un organisme fermement tenu en main par le ministère tel que le Groupement National des Centres de Ressources Autisme (GNCRA) qui dorénavant tient lieu d’association nationale officielle. Si l’autisme aura été pionnier, d’autres secteurs du handicap suivent : des responsables associatifs ayant des décennies d’illustres services ont ainsi reçu de véritables ultimatums les sommant de se soumettre au pouvoir central, fait sans précédent de mémoire humaine, laissant les intéressés sans voix.

Il serait bien simple de balayer ces observations en les assimilant à des réactions d’egos frustrés ou des réflexes corporatistes. Qu’il soit redit que l’auteur de ces lignes ne fait nullement partie d’une quelconque association significative, n’en a jamais fait partie, ni même n’y est lié à titre personnel ou familial. Mieux encore, la situation a dérapé à tel point que Nicolas Sarkozy en personne a téléphoné en début d’année à son successeur actuellement en poste [Emmanuel Macron NDLR] pour le supplier d’arrêter les plans de la secrétaire d’État au handicap, chose à peu près sans précédent dans l’histoire, d’où un recadrage pendant lequel le mot « stalinien » est tombé. Plus qu’en raison de tel ou tel détail historique, c’est du fait des caractéristiques mêmes des organismes nationaux de substitution aux associations qu’il nous faut frémir.

Premièrement, le recrutement de ces organismes nationaux est étroitement contrôlé par le ministère ; en particulier,  un soin extrême est apporté à la nomination, dans chaque organisme, d’au moins un « oeil de Moscou« , dont la mission est, pour reprendre les mots exacts de Mylène Girard [Secrétaire générale à la Délégation interministérielle à la stratégie autisme et neuro-développement NDLR] lors des entretiens de recrutement, d’assurer la « réélection d’Emmanuel » – le plus cocasse étant que le président de la République lui-même, interrogé par une amie commune, ne soit nullement au fait de ces missions étranges, ni ne les cautionne. Il est probable que le mouvement de décentralisation, dans lequel s’inscrivait la création des Maisons Départementales des Personnes Handicapées, Centres Ressources Autisme et autres Agences Régionales de Santé, appartienne désormais à l’Histoire.

Deuxièmement, ces organismes officiels nationaux de substitution ignorent tout des préceptes les plus élémentaires de bon fonctionnement. Ainsi, les immenses bases de données nominatives, que la crise virale actuelle alimente encore du fait de la fermeture des autres associations, sont non seulement consultées par le ministère, mais également par des personnes « de confiance » au statut indéfini. En outre, plusieurs de ces dernières détiennent des intérêts financiers et commerciaux majeurs, y compris dans le champ exact de leur mission administrative nationale. Corollaire à peu près inévitable de ce type de configuration, des réseaux clientélistes peu à peu se mettent en place : les personnes connues pour être proches des hauts bureaucrates ou se présentant comme telles sont courtisées par tous les porteurs de projet en attente d’un « coup de pouce » des décideurs, avec un système de potlatch, où l’entraide administrative est compensée par divers arrangements, y compris des contrats de travail à teneur douteuse, tant pour l’intermédiaire que pour des membres de sa famille.

Troisièmement, un véritable noeud coulant a été constitué pour les associations. En effet, incitées à coopérer pour ne pas être accusées de rompre, pour reprendre l’expression de Sophie Cluzel, le « consensus historique » autour de sa politique, à chaque projet ou cas individuel qu’elles évoquent, croyant bien faire, elles creusent leur tombe, étant donné que tous les projets seront repris avec le label de l’administration. Egalement, qui sait lire les communiqués officiels y verra la simple juxtaposition des cas soumis, cités comme preuve de vigilance et d’action, non point des associations, mais de la haute technostructure. Sans surprise, il n’est pas de réunion parisienne sans que les responsables ne rappellent l’impérieuse nécessité de la « remontée d’informations ». Un verbe qui évoque plus qu’explicitement la fameuse verticalité du pouvoir, chère à qui l’on sait.

Enfin, et c’est un point plus critique qu’il n’y paraît, c’est dans la communication que l’actuel pouvoir excelle. Y compris sur les médias nouveaux, comme par exemple Wikipédia, où les services du gouvernement et leurs contractuels sont particulièrement actifs pour harceler et censurer les wikipédiens bénévoles, dont beaucoup sont au demeurant autistes, traquant et modifiant la moindre information hostile, y compris les photographies jugées peu flatteuses. Les journalistes, dont le rôle dans le champ du handicap oscille traditionnellement entre la simple reprise, à la manière de feu l’ORTF, des communiqués officiels et entre, d’autre part, des témoignages larmoyants, n’y verront que du feu. Avec l’épisode épidémique en cours, le silence imposé aux associations pourrait bien être celui de la mort.

C’est donc une période bien funeste qui s’ouvre pour les associations et les personnes handicapées. Efforçons-nous que cet étouffement n’ouvre pas la voie à l’euthanasie pure et simple.

Josef Schovanec, avril 2020.

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