Une opération chirurgicale lourde a été l’élément déclencheur de la vocation de Fabienne Levasseur. Elle en est sortie avec une dépression nerveuse et s’est orientée vers les études de Droit: « Juste après le baccalauréat, j’ai tout claqué ! Mes études de Droit ont bien marché, je le dois aussi à un professeur passionnant ». Avant, la très germanophile Fabienne voulait étudier l’Allemand: « Mes parents m’en ont dissuadé. J’ai suivi leur conseil, je me suis d’abord inscrite en BTS puis en Deug Droit à la faculté d’Assas (Paris). Suivre les cours était difficile; je bénéficiais heureusement d’un emploi du temps aménagé qui venait compenser ma fatigabilité ». Fabienne est en effet née avec une infirmité motrice cérébrale qui lui a laissé de nombreuses séquelles anatomiques. Elle a commencé à marcher à l’âge de sept ans, les genoux en dedans: « Il a fallu imposer la marche à mon cerveau, par la répétition des gestes. Je fais partie de la génération pour laquelle la recherche médicale s’est intéressée aux IMC. Ma grande taille (1,72 mètres) ne facilite pas les choses, elle occasionne des douleurs, je marche avec les épaules et la colonne vertébrale de travers, le subis une usure osseuse phénoménale ». Cela a conduit Fabienne sur la table des chirurgiens à neuf reprises en onze ans, « toujours durant les vacances scolaires pour ne pas gêner mes études. A chaque fois que l’équilibre est perturbé, il faut le réapprendre au cerveau ». Depuis peu, elle alterne la marche avec béquilles (« bientôt, je pourrais me contenter d’une seule ») et les déplacements en fauteuil roulant.

« J’ai des parents barjots ! s’exclame Fabienne. Même entièrement plâtrée, ils m’emmenaient au cinéma. Ils ont voulu que je vive comme toutes les fillettes, au milieu des autres. J’ai commencé ma scolarité dans un hôpital du Kremlin- Bicêtre dans un service accueillant des IMC. Au bout de six ans, les médecins ont estimé que je devais suivre la scolarité ordinaire que mes moyens intellectuels me permettaient de faire. Je suis entré en CM1 dans l’école de mon quartier, ça s’est très bien passé. Le collège qui a suivi était pourri, le Censeur voulait m’expédier en BEP ‘pour que je ne ralentisse pas la classe au lycée’ ! En fait, je n’ai jamais redoublé malgré mon faible niveau en maths. On m’a pourtant mis zéro en gymnastique, ce qui m’éliminait du Brevet des Collèges et m’empêchait d’entrer au lycée. Mon père a fait un scandale pour faire rectifier la note. J’ai été très soutenue par mes parents, ma mère ne travaillait pas jusqu’à mes 14 ans, mon père avait des horaires aménagés. C’est grâce à eux que j’en suis là, je leur dis merci ».

Il a pourtant fallu que Fabienne fasse un gros travail sur elle- même: « J’ai longtemps refusé de fréquenter d’autres personnes handicapées. Une dépression en 1998 et la rencontre d’un psychologue m’ont fait évoluer. Je m’accepte comme je suis et j’accepte les autres ». De là date encore l’entrée en militantisme de Fabienne, au sein de la délégation parisienne de l’Association des Paralysés de France. « A la fac, j’aide ceux de mes camarades qui travaillent; j’ai la chance d’avoir une mémoire d’éléphant, ça m’aide beaucoup ». Ce cheminement personnel n’est guère éloigné de la vocation de Fabienne: la magistrature, elle l’envisage plutôt comme défenseur des intérêts de l’Etat. Elle s’oriente vers le droit public et c’est lors du concours de sortie de l’école de la magistrature qu’elle choisira la place qu’elle souhaite occuper dans un prétoire. « Ta résistance, c’est le handicap, me disait mon grand- père. Il avait combattu dans la Résistance lors de l’occupation allemande durant la deuxième guerre mondiale. Accéder à la magistrature, c’est une vengeance positive sur les brimades et les vexations. Quant à l’intégration, elle passe par l’acceptation des meurtrissures du corps. Aujourd’hui, j’ai une vie de femme même si j’ai eu du mal à accepter mon corps. Et on se retourne aussi sur mon passage, pour mon sourire »…

Laurent Lejard, août 2003.

Partagez !