Marika s’est éveillée prématurément à la vie. Dans le creux d’une couveuse, une petite fille bien plus fragile qu’un roseau, tentait de survivre. Dans les mois qui suivirent, sa mère découvre la spasticité de Marika, signant une évidente infirmité motrice cérébrale (IMC). Le neurologue lui expliqua alors que Marika ressemblerait certainement à un légume… Voilà donc Marika et sa maman, toutes deux profondément blessées mais forcées de vivre, d’affronter les obstacles un à un. Elles plient sous l’effet des paroles médicales péremptoires et dévastatrices. A l’âge de quatre ans, alors que Marika sait déjà lire, on explique à sa mère qu’elle a un Quotient Intellectuel bien faible. Or, on sait bien que ces tests de QI s’attachent justement et précisément aux notions logico- mathématiques qui sont si problématiques pour les enfants infirmes moteur cérébraux. Mais pourquoi donc ne choisit- on pas une autre technique de test ? Marika et sa mère plient encore une fois sous ce diagnostic indigeste. Elles volent de centres de rééducation en centres de consultations. Puis elles sont accueillies à Garches où Marika est enfin reconnue pour ce qu’elle est. Les bourrasques laissent enfin place à une douce brise…

Quelques années plus tard, juste après les épreuves de bac, nouvelle tempête: Marika tente de s’inscrire en classe préparatoire littéraire au lycée public de sa ville. Elle est refoulée par une représentante de l’Éducation Nationale qui, dans l’exercice de ses fonctions, l’empêche d’entrer dans le bureau des inscriptions et déclare sans la regarder : « Il n’y a pas de place ici pour ces gens- là! ». Marika en reste le bec cloué. Aujourd’hui, c’est sûr, elle porterait plainte. Mais à l’époque… Restée sidérée par ces mots sans appel, elle se tourne naturellement vers l’Université de Nanterre et plonge immédiatement dans le droit. Avait- elle des comptes à régler? Son premier livre d’enfance contait l’histoire de Martin Luther King. Et gamine, quand les enfants du quartier jouaient et couraient dans les bois, elle, clouée sur son fauteuil roulant, écoutait la radio pendant des heures, bercée par la voix de Noël Mamère, « Résistances », « Les voix du silence », puis « Le Bien commun ».

Aujourd’hui, sa motivation réside dans la lutte contre toutes les discriminations qui perdurent à la surface de cette terre comme autant de chênes trop fiers et odieusement condescendants. On retrouve Marika planchant sur les questions d’accessibilité, sur l’accueil des gens du voyage (elle fait d’ailleurs un intéressant rapprochement entre les enfants du voyage et les enfants handicapés : atypiques chacun à leur façon). On la retrouve militant contre les mines antipersonnel, pour le respect des droits de l’Homme en Tunisie, en Algérie. Et tout cela, avec la foi nécessaire mais aussi le professionnalisme et la rigueur d’une juriste, additionnés d’une pointe d’humour et d’une pincée d’acidité. Elle anime et actualise régulièrement ses deux sites Internet : le premier créé en 1997 concerne les droits de l’Homme. Bien des internautes ont eu l’occasion d’apprécier la richesse de « Citoyenneté Agitée« . Marika a créé le second récemment, pour traiter de la lutte contre les discriminations: Aequalitas.

Mais Marika ne se contente pas de cela.
 Elle assure quotidiennement l’information des acteurs des secteurs concernés, elle transmet les actualités glanées ici ou là des uns vers les autres, en parfaite et discrète assistante. Bien sûr, sa thèse n’avance pas très vite, et il lui reste du pain sur la planche pour que la justice brille, mais cela ne trouble pas Marika. C’est là toute l’insolence du roseau.

Marika reconnaît volontiers que l’engagement associatif et humanitaire, la lutte pour les droits de l’Homme sont autant d’alternatives à une vie plus facile de jeune femme sans difficultés. Elle sait bien que la militance est un moyen de digérer, d’assumer le handicap. Et cette sincérité l’honore. Quand on demande à Marika comment handicap et féminité peuvent se décliner, alors Marika ne cache pas son désarroi. Elle dit combien c’est difficile, elle n’ose pas trop y penser. « L’avenir est problématique, pour toute personne handicapée » explique- t-elle. « Que puis-je espérer ? Comment penser à la femme que je pourrais être ?« .

Véronique Gaudeul, février 2001.

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