Après le cas particulier de Toulouse et de la Haute-Garonne, qui montre que la compensation du handicap d’élus locaux peut être un enjeu politicien, deux conseillers municipaux et un conseiller départemental déficients visuels relatent leur expérience.

38 ans d’expérience, mais interdit de tenue d’urne.

Pier Carlo Businelli

Réélu en juin dernier à Saint-Martin du Tertre, une commune du Val d’Oise comptant 2.800 habitants, dans la majorité municipale cette fois, Pier-Carlo Businelli est très malvoyant, proche de la cécité. « J’ai repris ma fonction de Premier adjoint au maire depuis le 4 juillet 2020. Je participe également à trois commissions municipales, trois syndicats intercommunaux et au Centre Communal d’Action Sociale. Comme dans mes précédents mandats, mes collègues m’accompagnent et m’aident à me déplacer dans les différentes instances. L’aide du Directeur Général des Services et de personnels des différents services compense mon handicap en matière de lecture et de description des documents. Le personnel a entièrement intégré mon handicap, ainsi que tous les membres des différentes commissions ou syndicats. » Mais c’est avec son matériel informatique et son smartphone qu’il exerce son mandat : « Tous les documents me sont transmis en numérique pour être lus par NVDA et sa reconnaissance de caractères, qu’ils proviennent de la mairie ou d’organismes extérieurs qui l’ont tous accepté. Il était prévu l’acquisition par la municipalité de l’achat d’une caméra Orcam pour la lecture des documents, ainsi qu’un scanner pour la reconnaissance de caractères des documents. » L’acquisition de ces équipements est suspendue au résultat d’un nouveau scrutin du fait de l’annulation de celui de juin dernier par le Tribunal Administratif. « Pour ma participation aux conseils municipaux, reprend Pier-Carlo Businelli, je n’ai pas de problème, ce sont surtout des interventions orales sur des dossiers étudiés en amont. De plus, grâce à mes 38 ans d’expérience de la chose publique, je peux assumer mes fonctions sans grandes difficultés. Peut être même qu’aux prochaines élections je tiendrai l’urne, bien sûr si personne s’y oppose [lire l’actualité du 23 décembre 2019]. Il serait temps que les personnes atteintes d’un handicap puissent exécuter les même fonctions que les valides, avec la même reconnaissance et les mêmes droits. »

Un assistant personnel nécessaire.

Samuel Landier

Samuel Landier est l’un des rares conseillers départementaux aveugles, peut-être le seul en France. « Mon handicap est bien pris en compte par le Conseil Départemental de Loire-Atlantique, autant sur le plan technique que la formation. Là où c’est plus compliqué, c’est pour l’aide humaine. Par exemple, je vais assister à un salon professionnel lors duquel je présenterai nos objectifs et les appels d’offres ; dès l’arrivée, je dois pouvoir me positionner, repérer la salle, j’ai besoin d’être accueilli dans les lieux que je ne connais pas. » De même, il avoue avoir vécu de « grands moments de solitude » lors des après où les participants à un séminaire ou un événement échangent des propos, des idées, boivent un verre, ces moments de convivialité qui participent de la vie politique et sont parfois plus essentiels que les réunions de travail. « Des gens viennent vers moi, mais c’est très imprévisible. Ces rencontres nécessitent d’être préparées, avec l’aide d’un assistant. On dispose de chargés de mission dans les groupes politiques ce qui règle 80% des problèmes. » Il est en effet très difficile pour un aveugle de trouver dans une foule la personne à laquelle il veut parler, et le recours à un aidant, à un tiers, nécessite qu’il connaisse ou puisse identifier cet interlocuteur : Samuel Landier ressent le besoin de disposer d’un assistant personnel préparé pour assurer ce contact relationnel. Concernant les documents, Samuel Landier les reçoit en format numérique, ou les étudie avec un chef de service ou un agent : « Si la collectivité ne veut pas le faire, elle ne le fait pas. Dans la Loire-Atlantique, l’accompagnement est exemplaire, calé, prévu. »

Le numérique à la rescousse.

Pascale Isel

C’est dans le Val-de-Marne à Boissy-Saint-Léger (16.000 habitants) que Pascale Isel a été élue pour la première fois, en juin dernier. Aveugle de naissance, elle est connue pour son engagement au sein de l’Association Valentin Haüy (elle en rédige le magazine Le Louis Braille) et exerce en libéral comme formatrice en informatique adaptée. « Depuis les élections municipales de juin dernier, je suis élue dans ma ville sur la liste d’opposition ‘Boissy C’Est Vous’ et membre du groupe d’élus ‘Boissy Écologie et Solidarité’. » Son expérience est limitée, à ce jour, à la participation aux conseils municipaux, à des commissions municipales ainsi qu’au Conseil d’Administration du Centre Communal d’Action Sociale, sans avoir eu à se déplacer ou intervenir de Boissy : « Dès le conseil municipal d’installation, la question de l’accessibilité des documents m’a été posée par la Direction Générale des Services (DGS), à la demande du maire. Nous avons convenu que les documents devraient me parvenir sous format électronique avant les réunions, afin que je puisse en prendre connaissance ; je tiens à signaler que cette procédure est celle qui est employée pour tous les membres du conseil. » La ville envisage d’ailleurs d’équiper les élus d’une tablette numérique pour faciliter l’accès aux documents et la communication entre conseillers et services municipaux : « J’ai été contactée par la DGS pour indiquer les critères techniques à prendre en compte. J’ai fourni au service informatique les informations nécessaires, et ai indiqué que le plus efficace est que je puisse tester avec eux le matériel retenu. Cependant, il est arrivé que des documents papier, rédigés ou modifiés au dernier moment, soient distribués sur table sans que je puisse en disposer dans un format accessible pour moi. Je l’ai signalé, en précisant que je suis équipée et peux récupérer des documents sur clé USB ou par courriel pendant les réunions. Je pense qu’il y a une réelle prise en compte de cette question de la part des services et que tout va se mettre en place au fur et à mesure. La consultation des documents graphiques tels que plans et autres diagrammes reste un problème que la technique ne peut pas résoudre, nous les étudions avec mes collègues du groupe au cours de nos réunions de préparation. » Côté votes à bulletin secret, Pascale Isel est tributaire d’un collègue de son groupe : « Je note mes votes au cours de la réunion et en fin de séance, un collègue de mon groupe remplit les cases. » Pour ses déplacements, Pascale Isel estime ne pas avoir besoin d’aide : « Je peux me déplacer seule et les salles de réunion sont accessibles à pied. Je n’ai donc pas rencontré de difficultés sur ce point. S’il y a des réunions plus éloignées, soit je pourrai y aller en transports en commun, soit je trouverai un covoiturage, je ne pense pas que cela pose de problème. Pour l’instant, je dirai que mes besoins spécifiques ont été spontanément pris en compte et que je rencontre auprès des agents, attention et bonne volonté. Je resterai néanmoins vigilante sur le sujet car si un peu de temps est nécessaire pour mettre en place des procédures efficaces, on sait aussi que du ‘relâchement’ peut intervenir au fil du temps, parfois simplement parce qu’un agent a été muté et que son successeur n’a pas été sensibilisé et averti. »

Laurent Lejard, novembre 2020.

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