Jean Massieu est de ces hommes illustres que l’on cite parfois sans connaître grand chose de leur vie. Né sourd en 1772 dans une famille nombreuse, il devint professeur et compta notamment parmi ses élèves Laurent Clerc, cofondateur avec le pasteur américain Thomas Hopkins Gallaudet de l’American School for the Deaf devenue la première et plus importante université pour étudiants et professeurs sourds au monde. Il n’existait sur Jean Massieu, en dehors d’un fiche Wikipédia sommaire, qu’une brève autobiographie non éditée, des articles biographiques succincts et des citations dans des ouvrages historiques. Une lacune réparée par un autre Girondin, l’historien Christian Dumaître dans son ouvrage « Jean Massieu – Un girondin de Semens, 1er pédagogue sourd-muet », qu’il autoédite en souscription. Spécialiste du monde vigneron, Christian Dumaître ne connaissait pourtant pas celui des Sourds, d’où cette question : comment passe-t-on de la vigne à Jean Massieu ?

Christian Dumaître : 
J’ai aperçu ce personnage parce qu’il est originaire d’un milieu vigneron de l’Entre-deux-Mers. Il est impressionnant, c’est un véritable personnage de roman. Comment, d’une famille de onze enfants, peut-on arriver à avoir une dimension internationale ? Pédagogue sourd-muet, c’est quelque chose qui m’a étonné. J’ai travaillé pendant deux ans pour le connaître, je m’y suis attaché parce que je me suis rendu compte que son parcours était exceptionnel.

Question : 
Comment résumer l’importance de Jean Massieu ?

Christian Dumaître :
 Il était un enfant d’une famille nombreuse, né sourd dans une famille qui l’assumait, c’est fondamental. Le handicap, c’est quelque chose de difficile au XVIIIe siècle, et aujourd’hui encore. Il a fait une rencontre majeure, Monsieur Puymaurin, qui lui a mis le pied à l’étrier en le faisant scolariser à l’école des sourds-muets de Bordeaux. Jean Massieu avait une intelligence hors du commun, il rêvait d’être scolarisé mais s’était cassé les dents sur l’école du village. Son parcours, à Bordeaux puis à Paris, l’a fait devenir le premier enseignant sourd de France. Après la mort en 1789 de l’abbé de l’Épée, l’abbé Sicard a pris sa succession à l’école de Paris et a embarqué Jean Massieu dans ses bagages. La vie parisienne lui a permis de faire d’autres rencontres importantes jusqu’à la fin de vie de Sicard. Il s’est alors installé à Rodez pour enseigner dans son école des sourds-muets. En fin de carrière, il a été appelé à Lille pour créer une école, c’était sa consécration. Et il est tombé dans l’oubli jusqu’en 1967, quand son autobiographie a été retrouvée.

Question : À cette époque, l’éducation des jeunes sourds est similaire à celle des jeunes aveugles…

Christian Dumaître : 
On est dans une période où la bataille pédagogique se mène avec des démonstrations publiques. On inventait tout à l’époque et on avait besoin d’argent, les démonstrations dans la haute société permettaient d’en obtenir. Ces batailles cherchaient à démontrer les possibilités des méthodes pédagogiques. Ce qui amène des garçons comme Jean Massieu à rencontrer les grands de ce monde. C’est d’ailleurs à la demande de bourgeois lillois qu’il avait croisés lors de démonstrations qu’il a été appelé à Lille pour créer une école.

Question : 
Qu’est-ce qui caractérise l’enseignement et la pédagogie de Jean Massieu ?

Christian Dumaître : 
Il a démontré de façon très opérationnelle que les sourds-muets étaient capables de réflexion théorique, d’abstraction. On ne reconnaissait pas aux gens qui n’avaient pas la parole la capacité d’être des individus normaux. Il est le premier Sourd d’élite, il a démontré que les Sourds pouvaient avoir une vie intellectuelle normale. Et il a ouvert la voie aux élites sourdes qui ont suivi, par son rayonnement intellectuel et pédagogique. Il n’était pas un théoricien mais un praticien. C’est ce qui fait sa force.


Propos recueillis par Laurent Lejard, juin 2019.


« Jean Massieu – Un girondin de Semens, 1er pédagogue sourd-muet », par Christian Dumaître, autoédition, 15€ chez l’auteur, et en souscription jusqu’à la fin du mois de juin 2019 (10€ + frais d’envoi). L’ouvrage illustré de 150 pages est complété de biographies des contemporains de Jean Massieu qui ont oeuvré à l’éducation des sourds, dont l’abbé de l’Epée, Jean Saint-Sernin, l’abbé Sicard, Laurent Clerc, de l’autobiographie de Jean Massieu qui évoque les péripéties de la Révolution et des régimes successifs, de repères chronologiques sur la surdité dans le monde, de documents d’archives et d’une bibliographie.

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