Âgée de 38 ans, Virginie Delalande vit dans la quiétude savoyarde. Conférencière, elle a fondé Handicapower, société de coaching de personnes handicapées. « Je l’ai créée pour les aider à s’épanouir et à révéler leur handicapower ! », proclame-t-elle en prélude à cette interview…

Question : Vous êtes née sourde. Avez-vous reçu une éducation classique au milieu de tous les enfants ?

Virginie Delalande : 
Oui et non. J’ai eu une éducation classique en milieu ordinaire sauf du CM1 à la 4e où j’ai bénéficié d’un codeur en Langage Parlé Complété [LPC], c’est-à-dire une aide humaine à la lecture labiale qui se plaçait à côté du professeur et « traduisait » les matières les plus importantes. Il y avait deux sourds par classe, nous étions donc en intégration mais adaptée pour nous. C’était entre 1989 et 1993. Cela m’a permis de suivre beaucoup plus facilement les cours. A partir de la 3e, je suis retournée vers un enseignement classique.

Question : 
C’était juste dans la période où la langue des signes française, que vous ne pratiquez pas je crois, a été reconnue comme langue d’enseignement ?

Virginie Delalande : 
Je la pratique mais ce n’est pas ma langue maternelle. La langue des signes a été reconnue officiellement par la France le 1er septembre 2005 mais il existait déjà des écoles spécialisées qui permettaient à des Sourds signeurs de bénéficier d’un enseignement adapté depuis de nombreuses années. Mes parents souhaitaient l’intégration donc je n’en ai pas bénéficié, tout simplement.

Question : Votre parcours vous a conduite à devenir juriste et avocate. Comment a été reçu dans votre famille et parmi vos professeurs le choix de vous diriger vers l’avocariat ?

Virginie Delalande : 
Ce choix a été bien accueilli par mes parents. Ils étaient très optimistes de nature. Cela a été moins bien perçu par les professeurs de Terminale, notamment par le professeur principal qui nous accompagnait sur nos choix d’orientation. Il me disait « avocat ? Ouch, c’est très ambitieux »… Pour choisir une université il faudrait choisir plutôt une petite faculté de province ou de région parisienne plutôt que les grands établissements parisiens que je visais moi, c’est-à-dire, Assas ou la Sorbonne. Il n’était pas convaincu que je puisse y arriver. Pour les professeurs d’université, il y a eu une indifférence totale. Rien n’a été mis en place pour m’aider.

Question : Comment se sont passées les années de formation à la profession d’avocat ? Avez-vous réussi à trouver un stage dans un cabinet ?

Virginie Delalande : 
En 1ère année, nous étions 2 à 3.000 étudiants. Je ne pouvais m’asseoir qu’à trois mètres du professeur, et c’était le plus près, très pratique pour lire sur ses lèvres. En 2e année, c’est passé à six-sept mètres. Quand je leur demandais le texte de leurs cours, c’était systématiquement non ! Il a fallu que je trouve un plan B. J’ai commencé à lire et apprendre par coeur tous les livres des professeurs. D’ailleurs, par rapport aux cours, il y avait beaucoup plus d’informations dans leurs livres. Comme je n’ai pas une mémoire phénoménale et que je m’épuisais, j’ai fini par repérer des étudiants qui prenaient des notes assez complètes pour leur demander si je pouvais m’asseoir à côté pour recopier le cours. Globalement, j’ai plutôt eu un assez bon accueil, les camarades me passaient volontiers leurs notes et me laissaient le temps de les recopier ou de les photocopier. A partir de la 3e année, j’étais rodée, je connaissais les bons preneurs de notes et je pouvais compter sur l’aide des autres. En 4e année, j’ai voulu innover. Pendant que mes camarades suivaient les cours, je prenais les livres des professeurs avec le cours et rédigeais des fiches. Nous sortions donc du cours avec le cours et sa fiche, un gain de temps énorme. C’est là que je suis passée de personne assistée à étudiante à part entière, avec des combines, des astuces. Pour entrer dans un cabinet, j’ai utilisé le bouche à oreille et les relations de mes parents. Ils étaient chirurgiens-dentistes, ils ont demandé à leurs clients avocats. L’un des avocats qui m’a prise en stage m’a ensuite proposé une collaboration.

Question : 
Vous êtes restée combien d’années au Barreau ?

Virginie Delalande : 
Je ne me suis pas inscrite au Barreau. En fait, l’année où j’ai passé le diplôme il y avait une réforme et j’étais dans la première promotion à pouvoir m’installer comme avocate sans avoir besoin de faire deux ans en tant qu’avocat stagiaire. Je peux donc m’installer demain si je le veux. En fait, avec mon mari nous avons fait le choix de nous installer en Suisse et là je me suis aperçue que le diplôme français n’était pas reconnu. Donc, j’ai travaillé comme juriste en entreprise et n’ai finalement jamais été inscrite à un barreau.

Question : Maintenant vous vivez en Haute-Savoie, qu’est-ce qui vous a conduit à vous y installer ?

Virginie Delalande : J’adore cette région, Annecy est une ville dans laquelle j’ai toujours rêvé d’habiter. J’ai décidé de le réaliser !

Question : Votre mari et vos deux enfants sont sourds; vous communiquez oralement ou vous avez mis en place une communication en langue des signes ?

Virginie Delalande : On communique oralement. Mes deux enfants sont implantés. Je l’ai été aussi, en 1998, mais ça n’a pas fonctionné. J’ai eu des migraines et j’ai rapidement arrêté d’utiliser l’implant. C’est dommage car j’avais une assez bonne récupération, j’utilisais le téléphone, ce que je ne parviens pas à faire avec une prothèse conventionnelle. Il y a trois ans, d’autres examens ont permis d’identifier la raison de ces douleurs : l’implant était mal posé.

Question : Maintenant, vous faites du coaching pour personnes handicapées. Cela consiste en quoi ? Existe-t-il des prises en charge ?

Virginie Delalande : 
Mon objectif est d’aider des personnes handicapées à reprendre leur juste place au sein de la société et à s’épanouir. Je leur apprends à communiquer sur leur handicap de manière à ce que leur vie soit plus simple et ne soit pas en permanence dans l’incompréhension, le mal-être, le renvoi de la société à leur propre handicap. Il n’y pas de prise en charge par la MDPH, je m’intéresse plutôt aux personnes qui travaillent, qui ne dépendent pas des allocations, même si bien sûr ma porte est ouverte à tous.

Question : Quels sont vos projets ?

Virginie Delalande : J’en ai beaucoup ! L’un s’appelle « Droit comme un H », un programme pour accompagner des étudiants en situation de handicap au cours de leurs études pour les aider à devenir des professionnels du droit, avocats, juristes, etc. Nous les aidons à adapter leurs épreuves, à trouver des stages, des collaborations, nous faisons de la sensibilisation auprès des universités, des étudiants, et des écoles de préparation au concours d’entrée à la profession d’avocat, etc.


Propos recueillis par Laurent Lejard, novembre 2018.

Partagez !