Il entre vêtu de noir, un fardeau sur l’épaule, c’est une femme, il la laisse lourdement tomber au sol. Ce personnage intimidant est un conférencier. Son thème, le verre d’eau, savamment disserté. « On a choisi un texte poétique de Francis Ponge, explique la comédienne Christine Wurm. Le défi, c’est de le traduire en Langue des Signes Française. L’univers de Ponge, c’est le plaisir du mot et l’impossibilité de parler. D’où un duo avec un comédien sourd qui signe et une comédienne qui parle ». Le verre d’eau est la première pièce que jouent ensemble Christine Wurm, comédienne entendante, et Levent Beskardes, comédien sourd.

Ils ont été mis en relation par l’adaptateur du texte, Yves Chevalier. « Yves connaissait le travail de Levent au sein d’International Visual Théatre (I.V.T), poursuit Christine Wurm, il l’a découvert dans Hanna, une pièce contant la fuite d’une jeune fille sourde face au programme de stérilisation forcée des personnes handicapées mis en place en Allemagne par le régime hitlérien en 1933. Il m’avait vu en tant que clown dans un spectacle. Yves Chevalier a souhaité ce mélange clown et comédien: je suis l’assistante du conférencier, un peu rebelle, qui commet des bêtises. On a essayé d’inventer un rapport basé sur le signe, le geste, l’attitude. Avant, le travail était difficile, Levent a du mal à comprendre la poésie traduite en L.S.F ». Un important travail de recherche a été réalisé avec Corinne Gache afin d’amener la notion d’absurde dans l’univers des sourds. Le metteur en scène, Ivan Morane, a également été étroitement associé à ce travail.

« Nous avons cherché des images compréhensibles en gestes ou signes, précise Levent Beskardes. Cela a été très ardu au début, il fallait ouvrir un autre univers. Nous avons traité le signe et le geste comme une chorégraphie, le geste est ample ». De son côté, Christine Wurm a travaillé sur l’expression vocale.

Levent Beskardes est comédien depuis 28 ans, il a commencé à travailler en Turquie. Egalement peintre et vidéaste, il est venu en France il y a 18 ans pour apprendre de nouvelles techniques. Sa rencontre avec I.V.T l’a déterminé à rester en France et à y travailler : Levent a joué dans l’Avare (Molière) le rôle d’Harpagon avant même de connaître la langue des signes française qu’il a apprise sur le tas. Il réalise également des mises en scène, est peintre et vidéaste, réalisateur de cinq films dont Les sept péchés capitaux en vidéo numérique. Levent Beskardes doit reprendre prochainement la pièce Les enfants du silence. Avec I.V.T, il travaille sur Grand Guignol, une pièce ludique et sanguinolente en hommage au genre qui fit les beaux soir du Théâtre Chaptal, à Paris, dans lequel la compagnie des sourds doit s’installer dans un an ou deux.

Christine Wurm complète : « Notre approche est différente de celle de la comédienne sourde Chantal Liennel qui travaille sur des images, des textes anciens ou qu’elle écrit, des poésies traditionnelles. Levent dessine des images et des signes en poésie, sans avoir la notion de la voix. Il donne une forme au signe qui est transformé en bateau, en oiseau. Je suis comédienne de formation, ancienne élève du Conservatoire et d’écoles de théâtre, et clown pendant de nombreuses années dans des spectacles sans paroles. Je travaille sur le corps, pour Le verre d’eau j’ai appris la langue des signes chez I.V.T ».

Laurent Lejard, octobre 2003.


Quelques travaux de Levent Beskardes : Ses dessins en cartes postales. Une présentation du court- métrage La clé des étoiles, réalisé en 1996 par Brigitte Lemaine. Les Pierres, sur un texte de Gertrude Stein. Sang froid, court- métrage de Pierre- Louis Levacher.

Travail de Christine Wurm : Présentation de la compagnie Fille de l’air.

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