Agé de 37 ans, l’ex champion de tennis fauteuil roulant devenu paraplégique à 18 ans du fait d’un accident de ski est une personnalité médiatique, engagé dans deux organisations qu’il a cofondées : l’association Comme les autres, qui accompagne les personnes handicapées dans leur parcours de reconstruction et d’accès aux droits, et l’entreprise sociale Handiamo! dédiée à la valorisation des handisportifs de haut-niveau. Il vient de publier son autobiographie, préfacée par Léa Salamé et postfacée par Teddy Riner.

Question : Vous venez de publier « Ma vie, un sport de combat », qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire une nouvelle autobiographie ?

Michaël Jérémiasz : En fait, je me suis dit qu’à la fin de ma carrière de tennisman je voudrais raconter mon parcours de vie, pas depuis que je suis en fauteuil roulant mais toute ma vie, de prendre un peu de temps et de recul pour donner un témoignage de ce qui m’est arrivé qui est en soi assez banal, qui ait un écho et touche le plus de monde possible. Et livrer de manière un peu plus intime mon parcours, la confrontation à un accident de la vie et la manière dont j’ai rebondi. C’est une partie, l’autre est un plaidoyer pour donner ma vision de la société dans laquelle on vit, mes recommandations, mes préconisations, les choses que j’ai envie de voir changer.

Question : Vous avez été victime d’un accident de jeunesse, d’insouciance, d’intrépidité comme des milliers d’autres jeunes qui sautent de ponts, dans des piscines peu remplies, prennent des risques. C’est un message que vous voulez faire passer ?

Michaël Jérémiasz : 
Je ne fais pas de prévention dans mon livre. Ce qui m’est arrivé peut arriver à n’importe qui et pas qu’à des jeunes. Il n’y a pas que des jeunes dans les centres de rééducation, même si c’est la population dominante. C’est plus une sensibilisation qu’une prévention. Je ne dis pas aux gens de skier moins vite, de boire moins au volant, je ne donne de leçon à personne. Un accident de la vie, ce n’est pas forcément devenir paraplégique, un accident de la vie c’est la maladie, la perte d’un proche, la précarité dans son entourage, ce genre de choses qui arrive à tout le monde un jour. On nait, on vit, on meurt. J’ai eu la chance et l’opportunité de me reconstruire après l’accident grâce à un certain nombre d’outils que n’importe quelle personne valide ou handicapée devra utiliser.

Question : 
Outre le soutien sans faille de votre famille, votre outil a été le handisport de haut-niveau, le tennis que vous aviez pratiqué avant, quel regard portez-vous sur ce redressement par le sport ?

Michaël Jérémiasz : Le sport de manière générale est un outil indispensable dans la reconstruction d’une personne handicapée; qui plus est en fauteuil roulant. Il permet de devenir autonome, vos bras deviennent vos jambes. C’est un enjeu de santé physique, psychologique, de rapport qu’on a à son corps, pour découvrir ses nouvelles limites. La pratique d’une activité physique est importante pour tout le monde et notamment pour les personnes handicapées qui ont vocation à devenir sédentaires. Dans mon cas, le sport de haut-niveau a été un accélérateur. Mon identité a évolué puisque je suis passé de personne handicapée qui fait du sport à champion de tennis paralympique sans que le handicap devienne la première identification. Je ne le rejette pas, il fait partie de ce que je suis, mais je ne veux pas être résumé à ça.

Couverture de 'Ma vie, un sport de combat'

Question : Vous avez été l’un des quelques handisportifs professionnels à en vivre, comment considérez-vous l’évolution du handisport qui est passé de l’amateurisme à une forme de professionnalisme sans que les moyens suivent forcément puisqu’il faut aller les chercher dans le privé, le sponsoring, les conférences, les entreprises ?

Michaël Jérémiasz : Il y a une professionnalisation du mouvement, j’y travaille avec Handiamo! qui favorise la professionnalisation du handisport. La réalité, c’est qu’il y a plus de visibilité, on l’a vu depuis les jeux paralympiques d’hiver de Sotchi en 2014. Il y avait eu une cinquantaine d’heures de direct sur France 4, on est passé à 100 heures pour ceux de Rio en 2016 sur France Télévision. Il y a une plus grande visibilité, une plus grande reconnaissance, et les journalistes abordent de moins en moins le handisport sous l’aspect pathos ou médical et de plus en plus sur l’aspect performances. Liée à cette évolution, la réalité c’est que vous devez vous bagarrer parce que c’est essentiellement le sponsoring privé qui permet aujourd’hui aux athlètes d’être professionnels, ou en tous cas d’arriver à joindre les deux bouts.

Question : 
Accéder au sport de haut-niveau, multi médaillé, vous a fait rencontrer des dirigeants politiques. Qu’est-ce que vous retirez de vos relations avec ces politiciens surtout quand vous considérez la place et le rôle des personnes handicapées dans notre société ?

Michaël Jérémiasz : En fait, ce n’est pas le sport de haut-niveau qui m’a donné ce statut, c’est le fait d’avoir été champion paralympique et porte-drapeau à Rio, et d’ailleurs surtout porte-drapeau parce que le premier critère c’est qu’on a été le meilleur dans sa discipline. Ça m’a ouvert plein de portes, et une écoute particulière dans le monde politique, que ce soit au niveau des deux derniers présidents, des ministres des Sports, de la secrétaire d’Etat actuelle et de ses prédécesseures. Je fais du lobbying auprès de ces gens-là, ces dirigeants politiques, des dirigeants de groupes de médias ou d’entreprises. Ça me permet de continuer à défendre des choses auxquelles je crois profondément, c’est donner une place plus juste aux personnes handicapées dans notre société. Elles sont la minorité la plus discriminée en 2018 en France. Ce n’est évidemment pas acceptable, c’est un échec de nos politiques successives en matière d’intégration, de justice. Aujourd’hui, on a les mêmes devoirs mais pas les mêmes droits. La situation n’est pas réjouissante, elle est moins pire qu’il y a 18 ans, mais il y a encore beaucoup de choses à améliorer.

Question : 
Dans la partie plaidoyer de votre livre, vous constatez une régression de l’action en direction des personnes handicapées, un renfermement, un début de politique d’exclusion quand vous relevez la création d’un quota de logements neufs accessibles. Pensez-vous avoir une action, ou bien les politiques sont-ils satisfaits d’avoir des gens qui leur disent des choses pour faire autrement ?

Michaël Jérémiasz : 
C’est l’éternel problème de la politique de notre pays. Je ne m’invente pas un poids que je n’ai pas. Effectivement, je peux venir proposer, challenger, critiquer, c’est une question d’impact, de visibilité. Oui, quand je dis quelque chose on m’écoute peut-être un peu plus qu’une personne anonyme. Ce n’est pas forcément juste mais les sujets sur lesquels je m’insurge, c’est par exemple quand on parle de la loi ELAN, de 100% de logements accessibles dans les nouvelles constructions on va passer à 10% en disant qu’on fera des logements évolutifs, ça va à l’encontre de qui doit être fait. On doit en faire beaucoup plus, même s’il n’y pas de saturation. C’est comme dire que dans un parking de supermarché il y a vingt places handicapées qui sont jamais occupées : quand on aura la possibilité d’évoluer de manière libre dans cette société, je vous assure qu’elles seront toutes utilisées et qu’il en manquera ! La vérité, c’est qu’il y a dix à douze millions de personnes handicapées. Alors pour le logement, je ne veux pas qu’on me dise « vous ne pouvez pas le visiter mais faites-nous confiance, si vraiment vous le voulez comme il est évolutif on pourra vous le rendre accessible ». Les lobbys immobiliers font manifestement leur travail, malheureusement trop bien, et c’est aussi au Gouvernement de les affronter. Et nous on est là pour faire ce contre-lobbying.

Question : Dans ce contexte de régression, comment envisagez-vous une ouverture…

Michaël Jérémiasz : 
Je ne vois pas un contexte de régression globale. La loi ELAN est extrêmement décevante, l’investissement de l’Etat dans le sport amateur va à l’encontre de ce qui devrait être fait, et indépendamment des Jeux Paralympiques, c’est sur des sujets ponctuels que je m’insurge. Je sais que la secrétaire d’Etat, que le Gouvernement travaillent au quotidien pour améliorer la pleine participation à la société, mais comme sous François Hollande, sous Nicolas Sarkozy, sous Jacques Chirac qui en a fait la priorité de son mandat en 2005. Ce n’est jamais un sujet que les politiques décident de ne pas aborder, mais aujourd’hui j’ai l’impression qu’ils manquent d’audace et d’investissement. Ça coûte de l’argent mais c’est une priorité, on parle de la citoyenneté, on parle de jouir de la même citoyenneté que les autres.

Propos recueillis par Laurent Lejard, octobre 2018.

Ma vie, un sport de combat, par Michaël Jérémiasz et Virginie Troussier, éditions Marabout, 18,90€ en librairies et 13,99€ en format numérique.

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