L’Assemblée Nationale est conçue pour des députés marchant sur leurs jambes, et c’est le cas des 575 qu’elle compte actuellement. Sauf pendant quelques jours de juillet où Isabelle Attard, député non-inscrite du Calvados, s’est retrouvée en fauteuil roulant pour cause de fracture d’un pied. Elle n’a pu siéger depuis son banc, situé en hauteur à l’avant-dernier rang, et a été installée en bas de l’hémicycle. Elle raconte comment s’est déroulée une fin de session parlementaire mouvementée, qui lui donne envie d’agir en faveur de la mise en accessibilité de la chambre des députés.

Question : Les services de l’Assemblée Nationale sont répartis dans plusieurs immeubles, anciens et modernes, quelle en est l’accessibilité ?

Isabelle Attard : Plus spécifiquement par rapport aux personnes à mobilité réduite, dans l’enceinte des bâtiments rénovés de l’Assemblée Nationale c’est à dire le 101 rue de l’Université. C’est quand même un bâtiment qui a moins de dix ans et qui aurait pu être super bien fait, exemplaire. J’ai remarqué que ce n’est pas le cas. Du coup, avec le fait de me déplacer en fauteuil roulant pendant quelques jours, j’avoue que cela m’a encore plus sauté à la figure. L’Assemblée Nationale en règle générale n’est pas accessible en fauteuil roulant, car même accompagnée, certains passages sont extrêmement difficiles, voire dangereux. J’ai essayé de me déplacer seule, ce n’est pas la peine.

Question : Dans l’hémicycle, vous ne siégiez plus sur votre banc, comment êtes-vous intervenue en séance ?

Isabelle Attard : Non. Il y a même eu un épisode épique, le mardi 19 juillet dans l’après-midi. Je devais porter la délégation de Noël Mamère pour le vote en soirée sur la loi d’urgence, et alors que j’étais à l’hôpital pour refaire le plâtre du pied, je reçois un mél de l’Assemblée qui me dit « vous n’allez pas pouvoir porter la délégation de Noël Mamère parce que vous-même vous n’allez pas être en capacité de voter ». J’ai littéralement explosé, je me suis dit « ce n’est pas possible », j’ai trouvé ça scandaleux, et nos deux collaborateurs respectifs, de Noël Mamère et moi-même, ont téléphoné et adressé un mél à la séance pour dire à quel point c’était inadmissible et que si cela n’était pas réglé immédiatement je tiendrai une conférence de presse et ferai un scandale. Quelques minutes plus tard, j’ai reçu un message m’informant que c’était réglé, que je pourrai voter.

Question : C’était un vote par scrutin public en actionnant un bouton depuis chaque pupitre ?

Isabelle Attard : Oui. Pour tous les votes qui ont eu lieu depuis ce mardi-là, un huissier vient me demander ce que je vote et l’enregistre. Mon vote apparaît comme les autres, mais je ne vote pas électroniquement. Ca ne change rien, finalement, mais le premier réflexe de la séance a été de me dire que je ne pourrais pas voter, que je devais donner délégation à un collègue alors que j’étais dans l’hémicycle.

Question : Comment avez-vous suivi les débats; vous étiez toujours en bas de l’hémicycle ?

Isabelle Attard : Toujours. Et avec l’inquiétude que le président de séance ne me voie pas, parce que je n’étais pas dans l’angle de vue. J’étais placée encore plus bas que les ministres, dès que l’on entre, côté députés socialistes. Lors du débat sur la proposition de loi de Patrick Bloche concernant l’indépendance des médias, j’ai demandé à être placée davantage en face du président pour être sure qu’il me voit lever la main pour intervenir, donc plus à droite, mais pour le reste des débats j’étais toujours au même endroit, à l’extrémité du banc des ministres.

Question : Ce n’était pas vraiment confortable…

Isabelle Attard : Je n’avais pas de place pour mettre mes papiers, je ne pouvais pas placer ma jambe correctement, il était difficile de passer la nuit comme ça, parce que les séances de nuit de mardi et mercredi, minuit à cinq heures du matin en fauteuil roulant sans pouvoir bouger, ce n’est pas très chouette.

Question : Comment accédiez-vous aux toilettes ?

Isabelle Attard : 
C’est pareil, je ne pouvais pas accéder seule. Je ne pouvais pas ouvrir les portes toute seule, elles sont trop lourdes et pas manoeuvrables depuis le fauteuil. Il fallait quelqu’un qui ouvre la porte, puis j’arrivais suffisamment près de la porte d’un WC pour mettre les freins et sauter à cloche-pied. Si j’avais été vraiment immobilisée, je n’aurai pas pu le faire.

Question : Vous êtes en train de dire qu’il n’y a pas de toilettes adaptées dans la partie de l’Assemblée réservée aux députés ?

Isabelle Attard : Je n’en ai pas vu. Je n’ai pas vu de toilettes « handicapés » dans la partie Palais Bourbon, députés. Je ne sais pas où il faut que j’aille pour ça. Ce n’est pas signalisé. Si je regarde bien, les seules toilettes que je connaisse ensuite sont proches de la salle de la Commission des affaires sociales, et là il y a des escaliers donc c’est pas possible. Donc je ne sais pas où c’est ! Près de la salle Colbert ? Peut-être, mais je ne peux pas y accéder parce qu’il y a une rampe qui n’est pas accessible seule. Je refais tous mes cheminements dans ma tête, mais non, en fait je ne peux pas parce que la rampe n’est pas accessible seule, et même dangereuse bien qu’accompagnée. Un attaché parlementaire qui se déplace en fauteuil électrique s’est plaint à plusieurs reprises à la Questure [administration de l’Assemblée Nationale NDLR] et il n’a jamais été écouté.

Question : L’un des bâtiments est moderne, on s’y déplace aisément en fauteuil, non ?

Isabelle Attard : En fait ce n’est même pas vrai. On s’est fait coincer le 21 juillet au portillon d’accès au couloir souterrain qui le relie à l’Assemblée. Il y a une porte centrale, au milieu des portillons inaccessibles, qui s’ouvre en appelant le surveillant de l’immeuble pour qu’il la déverrouille. J’ai appuyé quatre fois sur le bouton d’appel, personne n’a répondu. J’étais coincée au -3, à ne pas pouvoir accéder à l’hémicycle pour aller voter. J’ai dû appuyer sur l’appel de secours, comme en cas d’incendie. J’ai aussi failli être coincée dans un ascenseur, pour aller de l’hémicycle en salle de commission. D’ailleurs je ne peux y aller qu’en faisant un énorme détour et en prenant l’ascenseur des ministres. On arrive à entrer en fauteuil en marche arrière et encore ça frotte, et en marche avant on ne peut pas sortir de l’ascenseur. Il a fallu que mon collaborateur me fasse pivoter à 180° pour sortir en marche arrière. Fabuleux, dans le genre sensation de panique c’est génial ! Les rampes d’accès à l’Assemblée, c’est pour faire joli. Je ne prendrai jamais le risque de les prendre seule.

Question : Les huissiers, les personnels de l’Assemblée vous ont aidé, ont été attentifs ?

Isabelle Attard : Tout le temps. Ils étaient aux petits soins, adorables.

Question : Et vos collègues députés ?

Isabelle Attard : Certains tenaient la porte, ils ont été gentils, mais j’ai quand même senti une différence, cela fait partie des choses très importantes, un regard différent posé sur moi. Le fait d’être au ras du sol, presque, assise dans le fauteuil, il faut dire « pardon, pardon, pardon » pour passer parce que personne vous voit. Et le regard condescendant qu’on porte sur vous parce que vous êtes en fauteuil, c’est hallucinant ça !

Question : Et vous l’avez ressenti instantanément ?

Isabelle Attard :
 Ah oui ! Et le sentiment de dépendance totale vis-à-vis des huissiers et de mes collaborateurs, ce n’est pas sain pour bosser. Même mon bureau n’est pas accessible, je ne peux pas entrer dans la salle de bains, bref, c’est une catastrophe.

Question : Donc, votre expérience de députée en fauteuil roulant est une succession d’obstacles, de rampes infranchissables, de portes impossibles à ouvrir, d’installations qui ne permettent pas au député de faire son travail ?

Isabelle Attard : C’est clair. Je ne vois pas comment un député en fauteuil roulant pourrait le faire. Il aura besoin d’une assistance 24 heures sur 24. C’est cela le plus pitoyable.

Propos recueillis par Laurent Lejard, août 2016.

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Un commentaire sur “Assemblée Nationale : impossible en fauteuil !

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