« Comment ça mar-che! », ce propos scandé de l’ex-journaliste scientifique de T.F.1 est devenu un gimmick célèbre. Il voudrait bien l’appliquer à la situation de son fils, qu’il raconte dans « Quand tout bascule » (Editions Michel Lafon), mais là, le journaliste est désarmé, renvoyé à son rôle de père assumant la dépendance de l’un de ses enfants. La vie de Fabrice Chevalet et de sa famille a basculé le 21 août 2001, lors d’un accident automobile; sa voiture est arrêtée par un embouteillage sur une autoroute, le chauffeur du camion qui le suit oublie de freiner, probablement assoupi à cause d’heures de conduite trop nombreuses. Un accident banal, sauf que la tête de Fabrice explose et qu’il se retrouve dans le coma, un morceau de crâne en moins et le cerveau endommagé : un traumatisme crânien, nulle autre fracture, mais une cécité, des troubles intellectuels, une régression mentale qui le ramène à l’enfance, une hémiplégie réduisant à quelques pas son autonomie debout, des troubles urinaires et sphinctériens fréquents. Sa vie de cuisinier actif et entreprenant est terminée. Père d’un petit garçon, il envisageait avec son épouse d’en avoir un second; cela n’arrivera pas, elle est partie, épuisée, et demande le divorce, après avoir assumé durant trois ans et demi un mari dépendant, facilement irritable et colérique quand il ne comprend pas ce qui se passe ou se dit autour de lui. Les repas de famille se sont espacés et les relations amicales se sont progressivement éloignées.

« Il est au centre de ma vie, clame Michel Chevalet, tout tourne autour de lui! La vie de son épouse a été bouleversée, ils voulaient un deuxième enfant, ils avaient bâti un avenir. Ils n’ont plus de projet de vie, ni de vie affective, amoureuse, sexuelle ». Dans son livre- témoignage, Michel Chevalet rappelle les propos de Claire, l’épouse de Fabrice: « On s’occupe de Fabrice. Mais moi? Qui s’occupe de moi, de mon fils? Qu’allons- nous devenir? Comment allons- nous nous organiser pour vivre? » Michel Chevalet comprend la détresse de Claire qui souffle: « Je culpabiliserai toute ma vie. Je suis condamnée, soit à me flétrir, à étouffer, à mourir à petit feu, soit à me reprocher jusqu’à ma mort d’avoir abandonné mon mari au pire moment ». Michel Chevalet poursuit: « On indemnise l’accident, on fait un chèque, mais il n’indemnise pas la vie. Je me battrai pour faire reconnaître ça, le droit au bonheur qu’on a enlevé à mon fils ».

« A cause d’un chauffard assassin ! », tempête Michel Chevalet, révolté de constater que l’auteur de l’accident ait finalement été condamné à 600 € d’amende, deux mois de prison avec sursis et un retrait de permis virtuel puisqu’aménagé pour lui permettre de ne pas perdre son emploi de chauffeur routier : « C’est là que j’ai décidé d’expliquer aux gens ce qu’est la Justice. Je gardais cette affaire pour moi depuis trois ans. J’ai écrit ce témoignage pour que cette histoire sorte de l’anonymat, et faire levier sur l’Administration. Mon nom n’a pas aidé mon fils; quand j’ai demandé à consulter son dossier médical, on m’a répondu ‘vous n’allez rien comprendre’. J’ai dû faire valoir mes droits de citoyens pour l’obtenir, en invoquant la loi Kouchner sur le droit des malades. Un ami médecin a servi d’intermédiaire ».

Michel Chevalet porte un regard d’astronome sur le milieu associatif : « Une myriade de constellations, avec des luttes d’influence et de personnes. Elles agissent sans aucun contrôle, est-ce que ça fait avancer la cause ? Je veux m’investir dans ce que je connais, l’information, sans créer une nouvelle association; les petites sont les meilleures parce qu’elles doivent se débrouiller pour agir. Quand je vois la détresse de mon fils, il doit être aidé tout le temps, il n’a plus sa femme, sa maison, son enfant… Je ne lâche pas ! Le handicap, c’est la moitié de mon temps. J’agis avec d’autres, le professeur Philippe Denormandie, l’avocate Catherine Meimon- Nisembaum, le professeur Michel Desgeorges. Denormandie l’affirme, ‘il faut chasser en meute’. Par notre action dans les médias, on agit sur la politique, avec réalisme et pragmatisme. Et le cercle va s’agrandir »…

Laurent Lejard, mars 2005.

Partagez !