Hadda Guerchouche est devenue une vedette à Rennes, ville bretonne dans laquelle elle vit, depuis la multi- diffusion sur une chaîne de télévision locale d’un documentaire réalisé en 2001 pour France 3, Planète Zanzan. On la suivait dans ses activités d’éducatrice sportive, pour rapprocher deux mondes qui s’ignorent encore trop, celui des valides et des « zanzans ». Avec comme premier outil son sourire, son entrain, sa joie de vivre. Des armes qu’elle a acquises au fil d’une vie mouvementée, marquée par un rapport difficile avec la tradition familiale : « Dans la culture maghrébine, le handicap c’est dommage. Ce n’est pas méchant, mais l’utilité de la femme handicapée par rapport aux tâches ménagères… » C’est très récemment qu’Hadda a pu établir une vraie relation avec ses parents en trouvant auprès d’eux une place particulière. « Petite, je croyais que je deviendrais valide en grandissant. Je vivais le handicap comme une punition, un châtiment. Au Centre, l’éducation religieuse était très présente, catéchisme pour les catholiques, pas de porc pour moi. Elle renforçait cette impression de châtiment, un ressenti sur lequel je peux maintenant mettre des mots ». Le documentaire Planète Zanzan a permis à Hadda d’évoluer : « Avant, j’étais plutôt du genre ‘je mords d’abord’. M’exprimer dans ce film m’a fait me poser des questions sur ce que je dis et ne dis pas. Depuis, je me sens femme ».

Le parcours d’Hadda n’a pas été simple. A l’école, elle avait deux ans de plus que ses camardes de classe; comme la plupart des polios, elle a subi de multiples interventions chirurgicales et hospitalisations qui ont généré un retard de scolarité. Durant 17 ans, elle a vécu loin du foyer familial, dans un établissement spécialisé; à partir de la classe de 6e, elle allait au collège le jour, rentrant dans l’établissement le soir: « Je fais partie des rares pensionnaires à avoir passé le Baccalauréat, en 1986, après avoir été d’abord orientée vers un brevet de secrétariat ». Hadda a ensuite connu la kyrielle des contrats précaires TUC, CES et autres: « Travailler avec des valides, c’était très bien. Mais dans les associations de personnes handicapées, je faisais un boulot sans intérêt. Je m’ennuyais, je dormais au bureau, ça me dévalorisait ».

La pratique en compétition de la natation a participé à l’émancipation d’Hadda : « J’ai beaucoup d’amis, c’est une chance formidable. Les bretons sont méfiants au début, il m’a fallu deux ans pour nouer des relations avec mes copains de piscine. Mais après, ils sont fiables et fidèles en amitié. Quand je suis partie trois ans à Grenoble, ils m’appelaient toutes les semaines. Je peux compter sur eux comme ils peuvent compter sur moi. Dans la galère, à Grenoble, j’ai appris plein de choses auprès de personnes qui souffraient. Lorsqu’elles ont su que je faisais de la natation en compétition, elles m’ont pris pour un héros. Mon handicap n’est plus un adversaire mais un partenaire ». Hadda se veut pédagogique : « Je ne souhaite pas donner aux autres l’image acariâtre et agressive qui colle aux handicapés moteurs quand ils protestent lorsqu’on leur pique une place de parking. Je préfère expliquer pourquoi on a besoin de ces places, les gens comprennent et je suis sure qu’après ils en tiennent compte ».

Son métier la fait travailler avec des enfants, pour dédramatiser et leur montrer qu’il n’y a pas de noblesse particulière, ou de hiérarchie, dans le handicap : « Le mien se voit, je peux faire réaliser aux enfants ce que je souhaite. Le contact le plus facile se fait avec les élèves de cours élémentaire, autour de huit ans. Après, avec l’adolescence, le corps se transforme, ils ont souvent du mal à l’accepter et ont peur des corps déformés. Les enfants, eux, réalisent que ce n’est pas toujours facile mais que chacun a son histoire ». Hadda s’occupe également de personnes en souffrance psychique, auxquelles elle redonne le goût de bouger : « Je veux imaginer des activités et des possibles, en travaillant sur l’hygiène de vie. On a le squelette, il faut travailler la chair; le sourire est la récompense ». Et d’ajouter : « On a le droit à la banalité, on est des personnes ordinaires; ce que l’on a d’extra, on l’a en nous »…

Laurent Lejard, décembre 2004.

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