Entre 8.000 et 9.000€, voilà le coût moyen pour l’audiodescription d’un film de cinéma ou téléfilm d’une heure et demie. Une misère à côté des millions d’euros de l’ensemble de la production ! Mais une dépense que producteurs et diffuseurs s’efforcent de comprimer au risque de produire un résultat médiocre. C’est donc la qualité que les deux prix décernés en février veulent promouvoir.

La Fondation Visio, dédiée à la recherche innovation, a attribué le 2 février un prix doté de 3.800€ au projet de film Les Versants, co-signé par Guillaume Rénusson, réalisateur, et Clément Peny. Là, il s’agissait de lire en public, dont un jury composé de cinq personnes déficientes visuelles, trois scénarios de films déjà financés et qui seront tournés dans les prochains mois, le prix de la Fondation Visio couvrant la moitié de l’audiodescription du film lauréat. « Si la lecture est intéressante et le scénario suffisamment fort, on se représente les images, commente Carole Dieudionné, l’une des jurées. On a réfléchi ensemble aux critères : le ressenti des émotions, l’intérêt à audiodécrire. » Comme les autres jurés, elle a particulièrement apprécié Les Versants lu par Loïc Corbery, talentueux sociétaire de la Comédie Française : « Il a livré une lecture admirable, il offrait la lecture au public, des silences, des regards. Ça nous a permis de nous immerger, on a eu froid avec les personnages, on a ressenti ! » Depuis cette expérience, Carole Dieudonné dont la vision évolue vers une cécité totale active ponctuellement le canal d’audiodescription de son téléviseur : « Quand elle est bien faite, elle est un atout pour apprécier un film. »

Un prix qui s’inscrit dans le cadre du festival Premiers Plans consacré, à Angers (Maine-et-Loire), aux premiers films et qui propose de nombreuses projections avec audiodescription et sous-titrage sourds et malentendants. « Notre quotidien c’est de rencontrer des personnes déficientes visuelles, précise Pascale Humbert, Directrice de la Fondation Visio également installée à Angers. Elles sont férues de cinéma, mais l’offre audiodécrite est encore insuffisante. On veut promouvoir et financer une audiodescription de qualité, ça ne s’improvise pas. »

Morgane Renault, Sylvie Ganche, Dune Cherville et Sylvain Nivard lors de la remise du Marius 2019.

Dune Cherville, audiodescriptrice de théâtre et de films depuis une quinzaine d’années, ne dira pas le contraire : c’est son travail d’écriture et d’interprétation qui a été distingué le 19 février par la centaine de jurés du 2e Marius de l’audiodescription, réunis par la Confédération Française pour la Promotion Sociale des Aveugles et Amblyopes (CFPSAA). « C’est un travail d’auteur. On part des images pour dire des mots. » C’est pour son audiodescription de Pupille, film de Jeanne Herry, qu’elle est récompensée. Il s’agit de l’un des sept films que les jurés ont notés, tous issus de la sélection des César du cinéma pour le trophée du meilleur film. Mais l’intégration du trophée audiodescription au sein desdits César n’est toujours pas à l’ordre du jour (lire l’actualité du 5 décembre 2018). « On n’a pas de réponse de l’académie des César, regrette Sylvie Ganche, bibliothécaire rennaise organisatrice du Marius. Nous, on note sur 10 la description de l’action, de l’expression du visage, les décours et costumes, la voix du narrateur, et les fautes, par exemple sur les noms. Tous les jurés ont reçu un lien de téléchargement de la bande son d’audiodescription, quelques-uns complètent avec des DVD. » Sylvie Ganche est satisfaite par ce 2e Marius, bien couvert par les médias et remis dans une salle comble du Centre National du Cinéma (CNC). Egalement juré et organisateur, le Toulousain Christian Call espère une diversification de l’offre de programmes audiodécrits télévisés : « Ils sont trop concentrés sur la fiction française. C’est pour cela que la CFPSAA a créé un panel d’usagers d’audiodescription, pour être l’interface entre les diffuseurs et le public, agir sur la diversité et la qualité. »

C’est sur l’agenda du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel : dix ans après une première charte, une seconde est en cours de validation après concertation avec les professionnels concernés. « La charte actuelle est minimale et n’avait pas servi la profession d’audiodescripteur, commente Dune Cherville. Confrontées à des obligations croissantes, les chaines télé font appel à des laboratoires qui ne sont pas intéressés à produire de la qualité, et font baisser les tarifs d’écriture. » Elle a également été échaudée par la fermeture brutale, début janvier, du service de l’Association Valentin Haûy, qui avait pourtant importé sous le nom d’audiovision l’audiodescription en France : « On a été remerciés par une simple lettre invoquant le sentiment du devoir accompli ! », s’étonne encore Dune Cherville. Dans un tel contexte, les audiodescripteurs qui travaillent sous le statut d’auteur pèsent peu. Stabiliser la qualité constitue donc l’un des enjeux de la seconde charte… et de l’audiodescription des années qui viennent.

Laurent Lejard, mars 2019.

Partagez !