2010 sera l’année de création d’un véritable service national de l’édition adaptée, conséquence de la transcription en droit français de la directive européenne sur les droits d’auteur du 22 mai 1991. Cette dernière permet en effet aux Etats de l’Union Européenne de mettre en oeuvre une exception en faveur des personnes handicapées. Avec plusieurs années de retard, la France autorise, moyennant des conditions draconiennes, des associations agréées et des bibliothèques à adapter des livres du commerce sans autorisation préalable ni droits à acquitter, leurs éditeurs étant tenu de fournir les fichiers sources à la Bibliothèque Nationale de France chargée de les distribuer aux centres d’adaptation. Une législation que l’association Sésame a précédée en réalisant, depuis 2001, l’adaptation en format numérique ou sonore de 10.000 livres, pour la plupart récents. Son président, Francis Pérez, professeur à l’Institut National des Jeunes Aveugles (INJA), revient sur la création de cette première bibliothèque numérique du livre adapté.

L’ordinateur personnel est apparu en 1980. Cinq ans après, les pouvoirs publics ont créé l’éphémère Agate (Association Nationale pour les Aides Techniques et l’Edition adaptée), destinée à traiter la question de l’édition adaptée : elle réunissait les ministères des anciens combattants, de la recherche, de l’éducation nationale, de la culture. « Cela n’a pas très bien fonctionné, explique Francis Pérez. Agate n’est pas parvenue à nouer des relations avec les éditeurs, la banque de données de l’édition adaptée confiée à l’Institut National des Jeunes Aveugles en est la seule réalisation concrète. Ça nous a donné l’idée de créer une coordination entre éditeurs spécialisés dans le braille et les caractères agrandis, comme Corps 16Chardon bleuFeryane, et des associations telle que l’ANPEA« . Au total, une trentaine d’organisations (dont les Donneurs de voix) ont formé le premier Sésame, sans l’AVH et le GIAA qui ont préféré suivre leur propre chemin, celui de Daisy, une aventure lourde et coûteuse dont le développement semble suspendu.

« À sa création en 1992, poursuit Francis Pérez, Sésame était une structure de coordination des relations avec les éditeurs, le Syndicat National de l’Edition et le Syndicat des Ecrivains de Langue Française, sur la base d’une charte de qualité. Nous avons conduit de longues négociations avec eux, mais finalement, les éditeurs étaient trop frileux. Le livre numérique n’existait pas encore, mais on sentait que les éditeurs voulaient préserver l’avenir ». Au fil du temps, les relations se sont effilochées et Sésame a cessé d’être active en 1996. Et comme la nature, fût-elle numérique, a horreur du vide, c’est à cette période que l’association Braillenet a été créée par un universitaire. Avec le soutien du ministère de la culture, qui lui a affecté une bibliothécaire, Braillenet a négocié avec des éditeurs les droits de transcription numérique de leurs ouvrages, rassemblés dans la base de téléchargement Hélène, qui revendique aujourd’hui 5.400 titres. Mais Hélène n’est pas en consultation publique, elle fournit des bibliothèques et médiathèques affiliées : en octobre 2005, 1.920 téléchargements avaient été effectués depuis la création de la base, sur les 2.100 titres qui la composaient alors. Depuis, les données statistiques ont disparu de la page d’accueil…

« En 2001, reprend Francis Pérez, on me propose 1.000 livres reproduits intégralement sur un CD. On demande autour de nous qui est intéressé, on reçoit 400 réponses. Alors, pour répondre à ce besoin clairement exprimé, on a décidé de produire des livres numériques puis de négocier avec les éditeurs ». Et c’est à cette période que la directive uuropéenne sur les droits d’auteur a été publiée, créant un droit à une exception en faveur des déficients visuels et des personnes handicapées. Sésame devient une bibliothèque numérique de prêt, tout en conservant son rôle de coordinateur. Et entre dans l’illégalité, sans faire de publicité à la demande du ministère de la culture, et sans subvention de sa part. « J’étais connu, explique Francis Pérez, si le débat avait été lancé, ça nous aurait servi. On a senti qu’il y avait un consensus du ministère de la culture et des éditeurs pour ne pas bouger tant que nous restions discrets ». La transposition de la Directive Européenne en droit français, par la loi du 1er aout 2006 relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information met un terme au débat public, et permet à Sésame d’envisager de travailler dans la légalité.

Pourtant, sans attendre la mise en oeuvre de l’exception handicap, l’association créé un serveur Internet en 2007, sur lequel sont téléchargeables des fichiers protégés au format propriétaire SES, chrono dégradables. La procédure sécurisée inclut l’enregistrement de l’adresse IP de l’adhérent lors du téléchargement, le fichier ne pouvant être lu qu’après reconnaissance du numéro d’identification du lecteur portatif qu’il a préalablement acquis. Les livres sonores sont diffusés en format MP3 sur CD (une demande en baisse) ou en téléchargement au format WMA ou Daisy avec protection par DRM (Digital Rights Management, système de protection numérique des droits d’auteur et de reproduction). Une action qui aurait pu gêner Sésame pour obtenir l’agrément de centre de transcription délivrée par le ministère de la culture : « Les éditeurs auraient voulu nous envoyer au purgatoire, estime Francis Pérez. Mais finalement, ni eux ni le ministère n’ont bloqué ».

Sésame s’adresse aux particuliers (2 à 3.000 lecteurs, dont 500 adhérents) et aux organismes. Sa bibliothèque comporte 10.000 ouvrages, dont 1.500 sonores. Les titres sont sélectionnés par deux comités de lecture, qui choisissent en fonction des demandes des lecteurs les ouvrages qui seront proposés au format texte ou sonore. Des adhérents réalisent eux-mêmes la numérisation ou la lecture de livres, dont les fichiers sont vérifiés et corrigés avant d’être mis à la disposition des lecteurs. Sésame fournit également ses propres fichiers sources à des établissements scolaires ou périscolaires qui réalisent l’adaptation ou la transcription noir ou braille qui correspond à leur public. Elle travaille notamment avec les médiathèques municipales Marguerite Yourcenar (Paris) et José Cabanis (Toulouse).

Côté moyens, Sésame en a peu : « Ce n’est pas l’argent qui fait vivre l’association, mais les relations étroites qu’elle a avec les adhérents, qui sont incités à participer à la vie de Sésame, pour ne pas transformer le lecteur en assisté. Quelques personnes consacrent tout leur temps disponible, ce qui fait la notoriété de l’association. Par exemple, le prix Goncourt est mis à la disposition de l’ensemble des adhérents dans les heures qui suivent sa proclamation. On organise à Paris des cafés littéraires. On a fait beaucoup avec presque rien, ce que d’autres n’ont pas accompli avec beaucoup de moyens. Et si on a accès aux fichiers sources des éditeurs, on peut penser qu’on augmentera significativement notre production de livres numériques. Parce que les lecteurs participent au travail commun, ils ont fourni jusqu’à la moitié des scans de livres qu’ils ont eux-mêmes achetés ». Un point final commercial qui devrait satisfaire le monde lucratif de l’édition…

Laurent Lejard, décembre 2009.


Association Sésame, 5 rue Maurice de la Sizeranne 75007 Paris. Tél. 01 40 61 98 16 ou 09 52 43 98 16. Mobile : 06 88 61 33 65. Fax : 01 40 61 98 16.

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