Les hasards de la vie ont conduit Delphine Warin à la photographie, après des études de russe puis de théâtre. Elle voulait devenir comédienne : « Pendant un atelier de mise en scène, j’ai compris que je m’exprimais mieux en dirigeant ». La suite de son parcours l’a conduite à New-York, à l’International Center of Photography (ICP) après des cours suivis à l’American Center de Paris. « Je dirigeais beaucoup les modèles, au début ». Outre le portrait, Delphine Warin s’est intéressée au reportage axé sur l’humain, dans une approche intimiste, inscrite dans la durée. « Il faut du temps pour cerner quelqu’un, j’ai besoin d’une relation à l’autre. C’est quelque chose de très fugitif, inconscient, du sentiment que j’ai de la personne, qui n’est pas forcément juste ».

A la demande du magazine féminin Cosmopolitan, elle a fait en 2000 une rencontre qui l’a entrainée dans un travail de deux années auprès des mamans et futures mamans aveugles suivies par l’ Institut de Puériculture de Paris. « Quand je suis entré dans l’institut, Edith Thoueille, sa responsable, travaillait avec une maman et son enfant. Elle les entourait de ses bras, faisant découvrir mutuellement par le toucher la mère et son petit ». Bien qu’attirée par ce moment d’intimité, Delphine Warin a pris un an avant de rappeler Edith Thoueille; le temps d’avoir son second enfant. « J’ai suivi des réunions avec les mamans, cela m’a pris du temps mais j’en avais. Je les ai rencontrées, suivies dans leurs activités. Un lien s’est créé entre les mères et moi, on passait du temps ensemble. L’univers du handicap m’était étranger; comme leur handicap était la vue, j’étais un peu gênée. Le regard des mères sur mes images, je l’avais par celui de leurs enfants. A la fin de mon travail, par cette complicité, la photographie se suffisait à elle-même, sans besoin de commentaire ».

Ce reportage au long cours sur les mamans aveugles a été initialement présenté à l’Hôtel de Ville de Paris dans le cadre d’une exposition de l’Année Européenne des Personnes Handicapées en 2003. L’exposition a voyagé jusqu’à Caracas, et a été de nouveau présentée fin octobre 2009 à Paris, à la galerie Fait & Cause à l’occasion de la publication du livre rassemblant les photographies de Delphine Warin. « J’ai reçu davantage de réactions des visiteurs lors de l’exposition de 2009 par rapport à celle de 2003. Ils ont été sensibles, surtout des femmes, qui pleuraient. Ça remue, le fait de ne pas voir son enfant fait se poser beaucoup de questions. Mais le contact ne s’est pas établi avec les mères aveugles, qui étaient venues au vernissage. Peur de la cécité, de la différence, je pense que les gens qui se disent ouverts d’esprit devraient avoir moins de préjugés, aillent vers l’autre même en se faisant violence. La cécité reste une barrière, ce n’est pas ce que je pense mais ce que je constate ».

Delphine Warin pourrait donner une suite à ce travail photographique en noir et blanc, dans lequel elle mêle Polaroïd et 24×36, en réalisant un documentaire. Un projet qu’elle avait esquissé en recueillant les témoignages des mamans, dont des extraits sont inclus dans un DVD inséré dans le livre. Et si elle souhaite se consacrer également à d’autres travaux, les femmes aveugles et les enfants qu’elle a photographiés durant plus de deux ans sont toujours très présents dans ses yeux.

Laurent Lejard, novembre 2009.


Les yeux grands ouverts, photographies de Delphine Warin accompagnées de textes d’Edith Toueille et de Magali Jauffret reproduit sur un DVD inséré dans le livre, qui présente également des extraits de témoignages des mères photographiées. Filigranes éditions, en librairies, 25€.

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