Bertrand Bontoux a pratiqué le piano durant une dizaine d’années, étant jeune, jusqu’à la découverte de sa voix vers l’âge de 16-17 ans : « Mes parents étaient mélomanes, mes frères et soeurs faisaient du piano. J’ai été scolarisé en école religieuse pour aveugles, à Nancy, avant mon arrivée à Paris en classe de cinquième, au sein de l’Institut National des Jeunes Aveugles ». Son entourage le pousse à prendre des cours de chant; il entre à l’Ecole normale de musique du 17e arrondissement de Paris, créée par Alfred Cortot. À l’époque, elle était dirigée par Pierre Petit, critique au Figaro et musicien. Au terme de trois années d’études, marquées par une progression facilitée par une voix naturellement posée, Bertrand Bontoux obtient un diplôme d’art lyrique et une licence en concert. Il entre ensuite au Conservatoire de Paris, nouvellement installé à La Villette, et se retrouve au contact de professeurs prestigieux : Régime Crespin, Christiane Eda-Pierre, Andréa Guiot. Mais son modèle secret demeure… Serge Lama : « C’est lui qui me poussait à chanter; sa voix, sa présence scénique, sa technique vocale ».

Très vite, Bertrand Bontoux connaît ses premières expériences scéniques : « À partir du moment où je suis entré au Conservatoire, j’ai intégré la classe de Pieter Gottlieb. Il me laissait participer à des concerts en tant que choriste ou soliste et avait une grande connaissance du répertoire. J’ai pu interpréter des rôles lyriques, chanter dans des oratorios, tel le Requiem de Liszt en compagnie des Choeurs de l’Armée Française ». En 1994, William Christie l’engage pour David et Jonathas (Marc-Antoine Charpentier) dans une formation estudiantine pour le Festival d’Ambronay (Ain); il l’intègre ensuite au célèbre ensemble Les Arts Florissants. Puis c’est le choeur Accentus de Laurence Equilbey, où il chante en choeur et en solo. « Mon premier rôle sur scène était dans les choeurs, pour Carmen, au Palais Omnisports de Bercy en 1989. Pier-Luigi Pizzi assurait la mise en scène, le chef de choeur avait été réticent à m’embaucher. Pizzi m’a dit : vous avez une canne, servez-vous-en ! Il a créé pour moi un personnage de gitan aveugle. Les metteurs en scène les plus intelligents sont ceux qui ne cachent pas la cécité. J’ai eu sur ce sujet de longues discussions avec le metteur en scène Bernard Broca. On arrive à un compromis, on cherche le geste : pourvu que le metteur en scène veuille s’investir, on trouve toujours des solutions ».

Bertrand Bontoux garde un excellent souvenir de sa participation à la production de William Christie et des Arts Florissants de l’opéra de Claudio Monteverdi « Le retour d’Ulysse dans sa patrie », mis en scène par Adrian Noble, qui a été joué plus de cinquante fois après sa création au festival d’Aix en Provence en 2000, et qui a connu un grand succès international. Il y interprétait le rôle d’Antinoüs. Ses rôles de prédilection : Frère Laurent (Roméo et Juliette, Gounod), Banco (Macbeth, Verdi), Arkel (Pelléas et Mélisande, Debussy), Zarastro (La flûte enchantée, Mozart). « Je pense pouvoir chanter les grandes basses verdiennes et wagnériennes mais je préfère ne ‘gérer’ que quelques rôles plutôt que de faire trop de choses. Et les oratorios m’intéressent ». Malgré le nombre réduit de partitions en braille, parfois très anciennes, et la difficulté particulière de disposer de partitions lyriques comportant le texte dans la version que l’on interprète : « Mon épouse me transcrit parfois des partitions. La plupart du temps, je travaille à l’oreille à partir d’un enregistrement ». Outre les oeuvres françaises, Bertrand Bontoux chante en italien, allemand et russe.

Au disque, il a participé à de nombreux enregistrements avec Accentus ou Les Arts Florissants. Parmi ses projets, on note un Requiem de Mozart en Nouvelle-Calédonie en décembre 2006 et un programme de concerts chargé pour 2007 : « La cécité n’est pas un obstacle à l’interprétation des rôles que ma voix me permet de chanter; si j’étais ténor, je ne répondrais pas la même chose ! ». Malgré une carrière déjà remplie, il reste modeste et exigeant : « Je suis persuadé de pouvoir prétendre à une plus grande carrière dans les années qui viennent, mais avec une voix naturelle on travaille moins bien. Je veux progresser en technique vocale pour gagner en facilité et en souplesse ». Etrangement, aucun agent artistique ne s’est encore intéressé à lui : « Je travaille dans mon coin, sans m’inquiéter »…

Laurent Lejard, octobre 2006.

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