Alors que les compagnies aériennes ont globalement intégré dans leurs services les besoins des passagers handicapés, nous avons décidé de tenter une expérience de voyage plus orientée vers le plaisir du voyage en lui-même. Familiers des croisières en Méditerranée, nous avions relaté ici notre premier grand voyage, de Gênes à Abu Dhabi, à bord d’un paquebot appartenant à la filiale italienne du groupe américain Carnival corporation & P.LC. Nous avions été étonnés par la gêne manifeste occasionnée au moment de la présentation de notre lettre d’accréditation, et encore plus surpris par les allégations du responsable de la sécurité expliquant qu’en cas de situation de crise, le commandant ferait évacuer les femmes et les enfants d’abord, puis les hommes valides et, en dernier lieu, les passagers handicapés ! L’impossibilité de profiter de plusieurs escales avec navettes (non accessibles) gratuites… et obligatoires avait également attiré notre attention.

C’est donc le même duo, un « bipède » valide et un autre appareillé (orthèses de releveurs et cannes anglaises) qui a choisi un voyage transatlantique Italie-Brésil avec une semaine de cabotage le long des côtes brésiliennes et retour en vol régulier Iberia São Paulo-Madrid. Afin de dissiper tous les doutes et de permettre les comparaisons avec les trajets aériens, précisons que ce voyage avec 17 nuits à bord, vol retour inclus, nous a coûté, de Nice à Nice, 1.800€ par personne dans une cabine avec balcon réservée quatre mois à l’avance.

Nous partons de l’aéroport de Nice où un autocar, sans facilité d’accès pour Personne à Mobilité Réduite, nous conduit au port de Gênes, point de départ du MSC Magnifica qui, après une saison d’été en Méditerranée, va naviguer entre le Brésil, l’Uruguay et l’Argentine durant l’été austral. Comme lors de notre expérience précédente à bord du Costa Atlantica, nous avons choisi de nous présenter comme « reporters » qu’au bout d’une semaine d’observation en tant que « passagers lambda ».

Nous voilà donc agréablement surpris, au moment du départ en bus, de constater que l’hôtesse propose, à la simple vue de mes cannes anglaises, un embarquement prioritaire avec deux places avant réservées. A l’arrivée au port de Gênes, les formalités sont très rapides via le guichet PMR, et nous rejoignons notre cabine après un déjeuner au self-service. Les premières chaînes du système TV-vidéo diffusent les instructions à suivre en cas de danger dans chacune des six langues de ce voyage (italien, anglais, français, allemand, espagnol et portugais), avec une incrustation en langue des signes internationale. L’exercice d’entraînement aux situations d’urgence a lieu une demi-heure avant l’appareillage et il est assez rassurant de constater que, contrairement aux procédures Costa, on ne vous répète pas en cinq langues que les personnes atteintes d’un handicap débarqueront en dernier: on ne parle même pas de nous !

Après une nuit de navigation assez agitée où nous vérifions la dureté des courtes et fortes vagues de la Méditerranée, notre navire accoste en début d’après-midi dans le port de la capitale catalane, Barcelone. Nous sommes à environ deux kilomètres de la place Colon situé au bas de la principale Rambla, lieu de promenade favori des Barcelonais. Un car affrété par la compagnie de croisières (non accessible) est disponible : 9€ pour se rendre en quelques minutes à la place Colon où d’autres transports publics (métro, autobus urbains, Citybus) sont à proximité immédiate.

La zone d’amarrage du bateau n’étant pas séparée du port de commerce, des taxis attendent le client dès les rapides formalités de débarquement effectuées. Ceci signifie surtout que si l’on a réservé un véhicule accessible avant de commencer son voyage, le transfert sera facile et rapide pour aller profiter des lieux que l’on aura choisi d’aller visiter.

Si la carte d’invalidité 80% ne donne pas, comme dans la majorité des sites espagnols, la gratuité dans les monuments, elle permet d’éviter les files d’attente qui, dans le cas de la célèbre cathédrale de la Sagrada Familia, sont dissuasives pour une escale de quelques heures.

La journée suivante, passée en mer, permet de se familiariser avec le navire, ses installations et ses différents restaurants. La seule contrainte est de prendre le dîner à une table et une heure précises, en retrouvant donc les personnes avec qui l’on pourra chaque soir échanger ses expériences de voyage et, éventuellement, organiser des visites en commun en « chartérisant » un taxi par exemple.

Une bonne surprise : je reçois en cabine l’appel d’un responsable de l’accueil des passagers qui me demande si j’ai des besoins particuliers en matière d’accessibilité durant la navigation ou les excursions. Je lui fais part de mon étonnement et il m’explique qu’il a remarqué que j’avais demandé un service PMR avec fauteuil roulant pour le vol retour São Paulo-Madrid-Nice et qu’il voulait donc savoir s’il pouvait me faciliter la vie à bord ! Cette démarche spontanée m’étonne agréablement et donne aux lumières de Ceuta l’hispano-africaine et de Gibraltar l’anglo-espagnole une vivacité particulière au moment où nous franchissons les « Colonnes d’Hercule » pour naviguer durant deux semaines sur l’Atlantique…

Nous arrivons le jour suivant à Lisbonne où le port de croisières est situé sur le Tage, dans un site vraiment exceptionnel pour l’accessibilité PMR : nous sommes en face de la gare ferroviaire Santa Apolónia qui dispose également d’une station de métro accessible par ascenseur. Avec un passe journalier à 6€, chacun peut donc, en repérant à l’avance sur le plan du réseau les lignes et stations équipées, choisir de partir à la découverte d’un monument, d’une zone commerciale, d’une ambiance, sans avoir à supporter le coût d’un transport privé et en partageant un peu du quotidien des Lisboètes. Le paquebot embarque ici de nombreux nouveaux voyageurs : pour les Brésiliens qui ont fait un séjour en Europe, le bateau est un moyen agréable et économique de rentrer au pays avec d’impressionnantes quantités de valises, sans acquitter le supplément bagages exigé par les compagnies aériennes.

Funchal depuis la mer.

Avec environ 1.300 lusophones sur 2.292 passagers, le portugais devient langue dominante, toutes les annonces restant effectuées en italien, français, anglais, allemand et espagnol…

A Madère, nous sommes encore au Portugal: le bateau accoste à Funchal, capitale de ce petit archipel. Les taxis sont nombreux au bas de la passerelle: deux kilomètres nous séparent du centre-ville et de son marché typique dont l’étage supérieur est accessible par ascenseur. Les rues ont un charme certain et comme le ciel bas et couvert nous dissuade de prendre le téléphérique pour admirer la baie et la flore quasi-tropicale, nous allons déguster tranquillement les nectars locaux qui permettront d’associer des images colorées à la mention « au Madère » de certains de nos plats! En quittant Funchal, nous attaquons la plus longue partie de notre traversée transatlantique: six jours sans escale.

Comme entre Barcelone et Recife nous aurons franchi quatre fuseaux horaires, quatre nuits dureront donc une heure de plus: un agrément à mettre en comparaison avec l’épuisant « jetlag » des voyages aériens! Notre itinéraire, qui rappelle aussi bien celui des glorieux conquistadores que le calvaire des esclaves africains, est réservé aux croisières. Nous traversons de nuit l’archipel du Cap Vert, petit pays de feu Cesaria Evora dont la saudade bercera nos pensées avec le regret de ne pas avoir pu apercevoir le moindre paysage de cette étape du commerce négrier portugais vers le Brésil… Deux de nos étapes, Olinda et Salvador de Bahia figurent d’ailleurs sur La route de l’esclave établie par l’Unesco.

Après quatre jours supplémentaires, nous apercevrons les îles de Fernando de Noronha, découvertes par un certain Amerigo Vespucci et aujourd’hui parc naturel national brésilien. Si l’on peut mesurer l’importance de la religion catholique dans la culture portugaise au fait que le portugais soit la seule langue des pays de culture chrétienne où les jours de la semaine sont numérotés au lieu de faire référence à des divinités païennes, on constate avec ironie et amusement que ces croyances sont parvenues à baptiser « Doigt de Dieu » l’étrange pic de forme terriblement phallique qui domine l’île principale…

La navigation est paisible. On franchit d’abord le tropique du Cancer: les piscines ont de plus en plus de succès! Nous avons repéré, à proximité des douches, des toilettes et de la distribution des serviettes de bain, quelques chaises longues portant le logo fauteuil roulant. N’ayant jamais vu de zone prioritaire dans aucun bassin de paquebot, nous apprécions et utilisons ce service fort utile. La configuration de l’endroit permet à un paraplégique de se mettre à l’eau et d’en sortir facilement à la force des bras. Les douches n’étant pas équipées de seuil, c’est une facilité non négligeable supplémentaire pour se rincer facilement de l’eau de mer (chauffée et chlorée) des piscines.

S’il n’y a pas de conférences culturelles à bord, le commandant a choisi de tenir deux séances d’information: l’une sur la fabrication du bateau, l’autre sur les zones inaccessibles aux passagers. Ayant lui-même passé huit ans à Saint-Nazaire comme consultant-navigant lors de la fabrication de plusieurs des navires MSC, c’est un inconditionnel des chantiers navals STX qu’il présente en français et avec enthousiasme. Je lui demande si sa compagnie applique, en cas de problème, les mêmes dispositions que celles qui m’avaient été expliquées sur une compagnie concurrente: son étonnement est réel et il affirme que ce ne sont pas des consignes générales, qu’elles doivent être propres à la compagnie évoquée et que chez MSC, chaque personne sera traitée avec un soin identique et sans aucune discrimination, positive ni négative.

Il affirme sa totale confiance en son corps de pompiers originaires des îles Samoa et conclut en racontant qu’il était à bord de l’Achille Lauro lors de son naufrage en 1994 et que rien ne s’était passé suivant les règlements !

Le lendemain, ayant demandé qui avait les connaissances nécessaires à un entretien sur les aménagements et procédures destinés aux passagers handicapés, on m’oriente vers le responsable des relations passagers qui lit ma lettre d’accréditation avec un vif intérêt et une totale décontraction. Il m’explique qu’il va devoir soumettre ma demande au siège de la compagnie mais que je peux mener mon enquête à ma guise : à son avis, le commandant lui-même pourra libérer un moment pour répondre à toutes mes questions. En appréciant la différence d’accueil radicale avec mon expérience sur le Costa Atlantica, je retourne vaquer aux occupations habituelles du passager transatlantique, centrées sur des… transats !

Gérard Coudougnan sur l'un des transats prioritaires du Magnifica, en bord de piscine.

Le passage de l’équateur (du nord vers le sud) est l’occasion d’occuper les passagers avec des rites dont on peine à définir l’origine. Ici, c’est le roi Neptune qui va baptiser au champagne (en fait, de l’asti spumante…) les passagers volontaires qui auront accepté de se grimer en tenue de bain pour l’occasion. Lesdits intronisés sont ensuite rassemblés dans la piscine où l’équipe d’animation les aspergera, sur ordre de Neptune, de farine, de lait, de purée de tomates et d’oeufs…

Pour préparer notre approche du Brésil, on a déposé dans chaque cabine une liste d’excursions organisées par la compagnie. Il y a, comme d’habitude, une appréciation du niveau de difficulté, des circuits déconseillés aux personnes ayant des difficultés à marcher et un logo « fauteuil roulant » pour signaler les excursions particulièrement conseillées aux PMR. Comme d’habitude, aucune excursion ne porte ce logo! Ce qui me semble nouveau est la possibilité de louer un van avec chauffeur pour 9 personnes et un guide professionnel au prix de 390€ pour une durée de 4h30 ou de 540€ pour huit heures (soit environ 7,5€ par heure et par personne dans ce dernier cas)…

Suivez ce lien pour décourvrir la suite de notre périple!


Gérard Coudougnan,
février 2014.

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