Historiquement issue d’un très ancien royaume (Ve siècle), l’actuelle Thuringe est le berceau de dynasties saxonnes au destin prestigieux, parmi lesquelles celle, fameuse, de Saxe-Cobourg et Gotha, mais elle a également accueilli parmi les plus grands penseurs et musiciens allemands : Martin Luther, Johann Wolfgang von Goethe, Friedrich von Schiller, Johann Sebastian Bach, Johannes Brahms, Franz Liszt, Richard Wagner… Un héritage que le glacis totalitaire de l’époque RDA (1949-1990) n’a jamais effacé. La Thuringe est (re)devenue une destination particulièrement prisée des Allemands et des germanophiles du monde entier. Mais la maîtrise de la langue de Goethe n’est pas indispensable pour apprécier la région et s’y faire comprendre, la plupart des professionnels du tourisme parlant au moins l’anglais. Les paysages sont verdoyants, le patrimoine préservé et l’atmosphère générale plutôt bon-enfant, avec un niveau de prix avantageux comparativement à la partie occidentale du pays. En matière d’accessibilité, la circulation piétonne en ville s’améliore au fil des rénovations, il en va de même pour les musées; la plupart des établissements hôteliers se sont mis en conformité avec la réglementation européenne. Côté gastronomie, enfin, difficile de passer à côté de la célèbre Thüringer Rostbratwurst servie partout et à toute heure dans un petit pain accompagné de moutarde douce, ou des Thüringer Klösse, sortes de boulettes de pommes de terre accompagnées de chou et de viande rôtie : largement de quoi être rassasié(e) !

Aisément accessible par le train depuis la France, Erfurt, la capitale régionale, compte environ 200.000 habitants dont beaucoup d’étudiants, ce qui en fait une ville jeune bien qu’elle ait été fondée au VIIIe siècle. Important carrefour commercial, membre de la puissante Ligue hanséatique, son essor économique, dû notamment au négoce du pastel, lui a permis de créer, au Moyen-Âge, l’une des premières universités allemandes. Ce fut également un important centre spirituel, avec de nombreux couvents et la plus ancienne synagogue d’Europe, dont les émouvants vestiges se visitent, sous lesquels fut récemment découvert un fabuleux trésor de bijoux et monnaies que l’on peut admirer dans une salle sécurisée ; accessible de plain-pied, ascenseur, toilettes adaptées. Non loin de là, en contrebas de l’emblématique pont des Épiciers (Krämerbrücke), les soubassements d’un antique mikveh (bain rituel) sont également accessibles de plain-pied en visite guidée : renseignez-vous à la synagogue ou à l’Office de Tourisme.

Édifice pluriséculaire maintes fois restauré, le Krämerbrücke, qui franchit la rivière Gera (un affluent du bassin de l’Elbe) est un peu la carte postale d’Erfurt mais les autorités locales ont su éviter que ses vénérables maisons à pans de bois ne servent de repaire à de vulgaires boutiques à touristes : seuls l’artisanat de qualité et les antiquaires sont tolérés ici. La déambulation en fauteuil roulant est un peu ardue à cause des pavés et de la pente assez marquée mais on peut visiter, au numéro 31, le rez-de-chaussée d’une ancienne boutique reconvertie en centre d’interprétation (Haus der Stiftungen) ; supports en braille disponibles. Les places et rues avoisinantes sont tout aussi charmantes, notamment en bord de rivière, et les terrasses, en saison, invitent à la flânerie… ou à la méditation.

Ici, en effet, se profile la figure immense de Martin Luther, né à Eisleben (dans l’actuelle Saxe-Anhalt) en 1483 mais qui fit ses études à l’université d’Erfurt avant d’entrer dans les ordres, dès 1505, au couvent des Augustins. De cette époque subsistent le portail gothique de l’université et une grande partie du couvent dont la vaste église, désormais évangéliste, est aisément accessible en fauteuil roulant. Ne manquez pas, devant l’autel, la pierre tombale du prêtre qui, au début du XVe siècle, fit condamner au bûcher le théologien Jan Hus, et sur laquelle le jeune Luther s’allongea pour prêter serment… Le cloître ne se découvre quant à lui qu’au prix d’un gros seuil (+ rampe amovible) mais la muséographie consacrée à l’hôte illustre du lieu ne dispose hélas d’aucune accessibilité.

Il n’en va heureusement pas de même pour l’imposante cathédrale catholique qui domine la plus grande place d’Erfurt (Domplatz), en bordure de centre-ancien, du sommet d’un escalier tout aussi imposant que l’on peut contourner, avec un peu d’aide, par la rue qui monte à la forteresse de Petersberg. L’accès en fauteuil roulant se fait par une porte latérale (se faire ouvrir depuis l’intérieur), moyennant quoi on découvre les vastes volumes de cette architecture romano-gothique et les trésors qu’elle renferme, dont une Vierge à l’enfant de Cranach l’ancien et un déconcertant chandelier roman figurant un personnage dénommé Wolfram, que l’on dirait contemporain. Ne repartez pas sans avoir jeté un coup d’oeil à la statuaire extérieure, qui est d’une grande finesse.

La Domplatz, en contrebas de la cathédrale, est le coeur battant d’Erfurt : la plupart des événements d’importance se déroulent ici tout au long de l’année (dont le très populaire marché de Noël) et les toilettes qui y ont été aménagées sont accessibles avec l’Eurokey. C’est également de cette place que part le « tram » touristique permettant de découvrir le centre-ancien en toute quiétude et surtout en toute accessibilité puisque le wagon de queue dispose d’un élévateur fauteuil. Cerise sur le gâteau : le tram peut vous déposer au sommet de la forteresse où fut négociée, en 1808, la convention entre Napoléon et le tsar Alexandre. Les bâtiments (XVIIe siècle) attendent toujours le projet ambitieux qui les fera revivre mais le splendide panorama qui s’offre depuis l’esplanade vaut largement le détour.

Erfurt compte par ailleurs de nombreux musées sur de multiples thématiques, avec des degrés d’accessibilité divers : impossible de tout détailler ! Il ne faut surtout pas hésiter à se rendre à l’Office de Tourisme (Benediktplatz, dans le centre-ancien) où le personnel, formé à l’accueil du public handicapé, peut non seulement renseigner sur l’accessibilité des différents lieux mais également proposer une brochure « Erfut pour tous » (« Erfurt erlebbar für alle« ) très complète, un visioguide en langue des signes allemande ainsi que des guides braille, relief et grands caractères : un accueil réellement sur mesure !

Goethe et Schiller devant le Théâtre National Allemand à Weimar.

À une vingtaine de kilomètres à l’est d’Erfurt, Weimar est certes trois fois moins peuplée mais sa renommée est au moins aussi grande. Pour les Français, son nom évoque principalement la République de Weimar (1919-1933), dont la constitution a été écrite et promulguée ici avant que l’assemblée parlementaire ne regagne Berlin. Une période troublée que commémore sobrement une plaque apposée sur la façade du Théâtre national allemand où les parlementaires étaient réunis. Une scène prestigieuse dont Goethe fut le plus célèbre administrateur et Liszt le plus fameux directeur musical (il y a notamment créé l’opéra Lohengrin de Wagner en 1850).

Bien que né à Francfort, Goethe est à jamais associé à Weimar où il vécut la plus grande partie de sa vie, entre deux voyages, et où il mourut le 22 mars 1832 en prononçant un « Mehr Licht ! Mehr Licht ! » (« Plus de lumière ! Plus de lumière ! ») sur lequel les germanophones du monde entier méditent encore… La maison qu’il occupait en ville est devenue non seulement un musée national mais également une sorte de lieu de pèlerinage où l’on vient s’imprégner des mânes d’un génie qui ne fut pas que littéraire, ainsi qu’on le découvre en visitant les lieux, parfaitement accessibles en-dehors, hélas, des appartements privés ; cartels bilingues allemand/anglais mais audioguides français et plan en braille relief et grands caractères, ascenseur, toilettes adaptées.

Goethe est à ce point présent à Weimar (un peu à l’instar de Mozart à Vienne) qu’on en oublierait presque sa rencontre avec un autre géant de la littérature allemande : Schiller. Lequel, né près de Stuttgart en 1759, vécut ici les dernières années de sa courte vie, dans une élégante maison jaune devenue musée, dont l’accessibilité en fauteuil roulant se limite malheureusement aux parties modernes. On en oublie également que Weimar fut le lieu de fondation du Bauhaus, mouvement qui révolutionna l’architecture et le design dans les années 1920 avant sa dissolution par les nazis. Un grand musée devrait lui être consacré d’ici la fin de la décennie mais on peut se contenter, en attendant, du rez-de-chaussée du discret bâtiment qui fait face au théâtre et à la fameuse statue figurant Goethe (grandi d’une bonne vingtaine de centimètres) et Schiller…

Autre « éclipsé » célèbre : Bach (né à Eisenach, à environ 70 km) qui servit ici, de 1708 à 1717, un duc de Saxe-Weimar pour la chapelle duquel il composa ses plus belles pages d’orgue, dont la fameuse toccata et fugue en ré mineur, mais avec qui il eut maille à partir au point de passer par la case prison avant de pouvoir quitter la ville ! Un modeste buste du compositeur a été dressé dans un angle de l’actuelle place de la Démocratie, sur laquelle trône la statue équestre d’un successeur de son bourreau…

Mais la réputation de la dynastie de Saxe-Weimar est en quelque sorte sauvée par la personnalité de la duchesse Anne-Amélie (née Brunswick en 1739) à qui échut la régence et qui réunit autour d’elle les plus grands esprits de son temps, dont… Goethe, évidemment. La bibliothèque qu’elle fit construire sur le côté de cette même place est un chef d’oeuvre rococo sauvé in extremis d’un terrible incendie survenu en 2004. Sa visite est d’autant plus gratifiante que l’accessibilité en fauteuil roulant s’avère aussi réussie que surprenante : on ne vous en dit pas plus !

Comme Erfurt, Weimar compte de nombreux musées que l’on ne peut détailler ici et dont la mise en accessibilité se fait progressivement. N’hésitez pas à vous renseigner auprès du personnel des bureaux de tourisme ou de la Fondation Classique (Klassik Stiftung) qui gère le patrimoine de la ville et détaille l’accessibilité.

Par ailleurs, la déambulation dans le centre ancien est aisée, avec de vastes aires piétonnières, où règne une atmosphère raffinée que soulignent les nombreux édifices du XVIIIe siècle amoureusement entretenus : une sorte de paradis littéraire ! Au sens littéral, même, pour Nietzsche, éternel errant devenu fou dont la redoutable soeur Élisabeth veilla à ce qu’il vienne y mourir, en août 1900. Les prestigieuses archives Nietzsche ont été inaugurées trois ans plus tard dans la maison du philosophe; elles sont toujours ouvertes au public mais encore inaccessibles en fauteuil roulant.

Si vos pas (ou vos roues) vous conduisent sur la place du Marché (Markt), levez les yeux vers le carillon de l’hôtel de ville : extrêmement précieux, il est en porcelaine de Meissen et ne sonne que pour les mariages ! Sur un côté de la place, l’hôtel Elephant raconte en revanche une histoire plus sombre, celle des nombreux séjours d’Hitler dans une cité qu’il affectionnait au point de lui « offrir » un ensemble de bâtiments proche du Neues Museum (accessible), toujours debout et assez intemporels pour qu’on n’y prête pas garde. Et, surtout, à quelques kilomètres seulement du centre-ville, le terrible camp de concentration de Buchenwald où un bouleversant mémorial a été élevé. Affreuse ironie de l’Histoire, un antique chêne (ou un hêtre) sous lequel Goethe, selon la légende, avait médité, s’était retrouvé au beau milieu du camp, bombardé par les Alliés en 1944… Mais les habitants de Weimar, contrairement à d’autres, semblent avoir retenu les leçons de l’Histoire : rien n’est caché, ici, rien n’est oublié du meilleur comme du pire, et l’on a su se reconstruire pour mieux poursuivre dans l’humanisme…

L’Histoire, à Iéna (Jena en allemand), une vingtaine de kilomètres plus à l’est, tient pour la plupart de nos compatriotes à une seule date, 1806, et un seul personnage, Napoléon. Le (vaste) théâtre des opérations se parcourt en voiture, à travers champs et villages en périphérie de ville. Pour plus de détails sur cette bataille décisive qui opposa Français et Prussiens, suivez ce lien : vous ne trouverez guère d’informations complémentaires sur place où, assez logiquement, c’est le point de vue prussien qui est mis en exergue… À l’instar d’autres champs de bataille redevenus terrains agricoles, de rares monuments rappellent que des milliers de soldats ont perdu la vie ici : il faut faire appel à son imagination.

Iéna, grande ville industrielle, s’enorgueillit par ailleurs d’une célébrité moins guerrière que chacun connaît, en particulier les photographes, mais sans l’associer à la cité : il s’agit de Carl Zeiss (1816-1888), fondateur d’une société d’optiques de très haute qualité dont la réputation a fait le tour du monde. Au début du XXe siècle, les successeurs de Zeiss ont édifié, en bordure de centre-ancien, une immense usine aujourd’hui partiellement intégrée à un centre commercial ultramoderne dont elle constitue l’un des côtés. À l’extrémité de la grande galerie, un ancien projecteur de planétarium rappelle qu’Iéna fut la première ville au monde à bénéficier de cette installation, dès 1926. Le planétarium Zeiss existe toujours, à l’extrémité du splendide jardin botanique, et il est toujours en service, avec des technologies évidemment plus récentes et une accessibilité correcte en fauteuil roulant, même s’il est préférable, pour ne pas se décrocher le cou, de se transférer sur des sièges au confort un peu spartiate…

Associé puis successeur de Carl Zeiss, Ernst Abbe (1840-1905) fut également un scientifique de génie et un philanthrope auquel la ville a rendu hommage par l’érection d’un mémorial dû au grand architecte belge Henry Van de Velde au début des années 1910. Le bâtiment, très sobre, ne se découvre qu’en visite guidée, au prix de marches hélas rédhibitoires en fauteuil roulant. Mais l’intérieur est visible depuis le square au centre duquel se trouve le monument. Plus loin sur la rue, le musée optique, ouvert par la Fondation Carl Zeiss établie par Ernst Abbe dans les années 1920, est le seul du genre en Allemagne et l’un des plus importants au monde. La muséographie, qui couvre toute l’histoire de l’optique des origines à nos jours et présente de nombreuses pièces rares, est certes un peu vieillotte mais elle ne pose aucun souci d’accessibilité, laquelle se fait par ascenseur. Dommage que les cartels ne soient rédigés que dans la langue de… Zeiss !

Le reste de la ville présente quelques bâtiments remarquables, dont un vertigineux gratte-ciel au sommet duquel on peut accéder par ascenseur ultra-rapide (on peut aussi séjourner à l’hôtel-restaurant de luxe qui occupe les deux derniers étages et dispose d’une chambre « adaptée »). La vue est à couper le souffle ! Le (petit) centre-ancien qui s’étend au pied du building a été rendu piétonnier, ce qui est appréciable, particulièrement autour de la place du Marché (Markt), où les terrasses ombragées invitent à la détente. Au centre de la place, la statue en bronze de Jean-Frédéric Ier de Saxe (plaisamment dénommé Hanfried) rappelle la fondation à Iéna, au XVIe siècle, d’une importante université, baptisée au XIXe siècle du nom d’une autre célébrité locale déjà rencontrée à Weimar mais qui a vécu et enseigné ici : Schiller. Ernst Abbe a étudié dans cette université, ainsi qu’un certain Karl Marx…

Schiller est resté une vingtaine d’années à Iéna, où il a fondé une famille. L’élégant pavillon qu’il occupait en bordure de centre-ville, beaucoup plus modeste que la maison de Weimar, est toujours debout, avec son émouvant jardin à l’identique, où les amoureux de littérature ne manqueront pas de flâner, y compris en fauteuil roulant (seuil pour le rez-de-chaussée, étage inaccessible) sur les traces de ce géant romantique au destin troublé, si proche des Allemands… et de nous-mêmes.

Jacques Vernes, août 2013.


Sur le web, outre les offices de tourisme d’Erfurt, de Weimar et d’Iéna, on pourra utilement consulter (mais en allemand seulement) cette partie spécialement dédiée à la thématique handicap sur le site officiel thueringen.de qui propose par ailleurs, en français, quelques informations générales sur la destination que l’on complétera utilement en s’adressant à l’Office National Allemand du Tourisme, dont le personnel francophone est formé à l’accueil des touristes handicapés. Côté train, Erfurt est desservi par ICE, train à grande vitesse allemand offrant un confort similaire au TGV mais obligatoirement en 2e classe pour les voyageurs en fauteuil roulant, qui disposent d’un siège inclinable ou peuvent rester sur leur fauteuil; les toilettes proches, vastes, sont parfaitement adaptées. Les trains régionaux n’offrent malheureusement pas ce niveau de confort : placement dans l’espace vélos-poussettes, sans siège, et dans le passage… Le personnel de la Deutsche Bahn assure assistance et accompagnement après envoi d’un formulaire téléchargeable (centre d’appel en France : 01 44 58 95 40. L’accompagnateur du passager en fauteuil roulant bénéficie de la gratuité.

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