Cluny : ce nom évoque une immense abbaye bourguignonne, richissime et expansionniste au point d’engendrer de nombreuses « filles » copiant son architecture. Démantelée pendant la Révolution et le premier Empire, il ne reste que quelques pans de son église abbatiale, des dépendances et des bâtiments du XVIIIe siècle abritant une école des Arts et Métiers. Au temps de la splendeur de Cluny, l’abbé Jacques d’Amboise avait fait construire, à la fin du XVe siècle, un monumental palais construit aux limites des fortifications de Paris et adossé aux vestiges des thermes gallo-romains construits au Ier siècle de notre ère. C’est dans cet ensemble comportant 28 ruptures de niveaux qu’est installé depuis 175 ans un musée dédié aux arts du Moyen-Âge, et qui engage la phase finale d’une mise en accessibilité presque complète. Pour affronter la complexité de cette réalisation, le musée de Cluny mobilise le mécénat de la Fondation EDF qui met à sa disposition son Virtual Fauteuil : l’ensemble des salles a été numérisé pour étudier les solutions les plus pertinentes afin d’assurer une accessibilité totale et confortable en fauteuil roulant, ce dernier parcourant les différents espaces en réalité virtuelle. Dans une deuxième phase, Virtual Fauteuil sera employé pour évaluer la visibilité des oeuvres depuis un fauteuil roulant. Directrice du musée et conservatrice générale du patrimoine, Élisabeth Taburet-Delahaye explique la démarche et les résultats escomptés du Cluny 2021.

Question : Le musée de Cluny, c’est quoi ?

Élisabeth Taburet-Delahaye : Le musée a été créé en 1844 pour mettre à la disposition d’artistes et d’amateurs un ensemble de bâtiments et d’oeuvres. Il faut rendre hommage à l’architecte Albert Lenoir qui, le premier, avait eu l’idée de réunir les thermes gallo-romains et l’hôtel médiéval pour y installer des collections et en faire un grand musée. Ils sont réunis depuis le XIXe siècle par un ensemble d’emmarchements et de couvertures. Le noyau des collections est double : un musée d’oeuvres sculptées provenant de monuments parisiens rassemblées par la ville de Paris, dont les têtes de la galerie des Rois de la cathédrale Notre-Dame de Paris, et la collection de l’un des premiers amateurs d’art médiéval, Alexandre du Sommerard. Depuis sa réouverture après la Seconde guerre mondiale, le musée de Cluny est entièrement consacré au Moyen-Âge. C’est ce qui explique que l’on soit à la fois un lieu archéologique extraordinaire, un monument tout à fait spécial et un musée : ces trois composantes sont aussi importantes l’une que l’autre.

Question : Actuellement cet ensemble archéologique et monumental est encore peu accessible. Quel est l’état de ce que peuvent visiter des personnes handicapées ?

Élisabeth Taburet-Delahaye : Depuis juillet 2018, elles accèdent au frigidarium qui constitue l’espace le plus important des thermes, et à l’ensemble des salles qui sont installées ou liées au nouveau bâtiment d’accueil, et notamment la salle de la tenture de la Dame à la Licorne. L’enjeu de la rénovation des parcours que nous engageons sera de rendre accessible l’ensemble des autres espaces muséographiques, c’est-à-dire les salles du XIXe siècle et tout l’Hôtel des Abbés de Cluny comme on l’a vu dans la démonstration du Virtual Fauteuil. L’ensemble des sous-sols restera difficilement accessible pour les personnes en situation de handicap physique et nous envisageons plutôt des dispositifs numériques pour compenser.

Question : A l’horizon 2021, l’ancien palais abbatial sera entièrement accessible et vous aurez rattrapé la trentaine de ruptures de niveaux ?

Élisabeth Taburet-Delahaye : Absolument, c’est l’enjeu. Le Virtual Fauteuil montre que c’est possible, les équipements d’accessibilité sont commandés, il reste aux architectes et aux muséographes de réaliser les travaux.

Question : On peut donc faire de l’accessibilité dans des thermes gallo-romains du Ier siècle et un palais du XVe siècle ?

Élisabeth Taburet-Delahaye : 
Tout à fait, à la fois grâce aux moyens financiers que nous octroie l’Etat, à l’impulsion qu’il a donnée et à l’ensemble des parties prenantes de ce projet. Nous rassemblons des capacités métiers qui sont toutes indispensables et ne sont réellement efficaces que si elles sont mises en commun : le musée et sa tutelle le ministère de la Culture, l’Opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la Culture (Oppic) qui est le maitre d’ouvrage délégué, les architectes et le muséographe, ainsi que l’ensemble de nos équipes. Grâce au mécénat de la Fondation EDF, nous sommes certains de donner à tous l’accessibilité physique que vous avez décrite. Il y a trois ans, lorsque nous avons envisagé de réviser les parcours de visite, des interlocuteurs nous ont dit « vous devez soit l’accessibilité réelle, soit une compensation ». Nous avons dit que nous voulions une accessibilité réelle du parcours muséographique, avec autant que possible le même cheminement pour tous. Si le calendrier est tenu, rendez-vous en février 2021 pour faire ce parcours, et en mai 2021 pour le cheminement adapté dans la cour pavée du palais !

Propos recueillis par Laurent Lejard, mai 2019.

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