Indéniablement, Riga est une belle ville qu’il faut prendre le temps de visiter et de connaître. Cela malgré les multiples lacunes d’accessibilité, pour certaines liées aux bâtiments historiques, les autres résultant d’une attention aléatoire aux visiteurs et habitants handicapés. Vieille de 800 ans, Riga est célèbre pour ses remarquables immeubles Art Nouveau, qui font rêver et attirent les amateurs d’architecture du monde entier. Port de commerce fondé au XIIIe siècle par des germano-baltes près de l’estuaire du fleuve Daugava, membre de la Ligue Hanséatique, Riga conserve quelques morceaux de remparts et ses premières cathédrales, catholique et protestante. Cette dernière est accessible en fauteuil roulant par le cloitre en contrebas, mais dont le chemin est en permanence bloqué par des fourgonnettes et donc inutilisable… De même, le panorama depuis la tour de l’église Saint-Pierre (luthérienne), très prisé des touristes, est impraticable, son ascenseur étant installé entre deux escaliers…

Le seul point de vue accessible sur la ville est la terrasse du 8e étage du centre commercial Galleria Riga, avec restaurants, et toilettes adaptées à l’étage du dessous. La visite du centre ancien, très pittoresque, est également rendue difficile en fauteuil roulant du fait des pavés disjoints et déformés faute de réfection, des trottoirs dallés fréquemment étroits ou encombrés de terrasses de bars ou restaurants, et d’abaissés de trottoirs aléatoires. Ces exemples témoignent des limites du tourisme accessible dans la vieille ville, à laquelle la municipalité ne veut pas toucher en invoquant le classement au patrimoine mondial par l’Unesco pour maintenir le statu quo, ce qui ne l’a pas pourtant pas empêchée d’autoriser la construction d’immeubles modernes dans ce périmètre…

Dans ce contexte, il n’est guère étonnant que Riga 2014 ait quasiment « oublié » les personnes handicapées. Pourtant, l’organisation avait consulté une fédération d’associations lettonnes qui travaille avec le gouvernement et les pouvoirs publics, Sustento, pour formuler des propositions visiblement demeurées dans les tiroirs. « Une rampe a été installée à l’Arsenal lors d’une exposition d’ouverture, précise Aiva Rozenberga, directrice de programme de Riga 2014. On a fait appel à des volontaires pour aider, il n’y a pas eu d’adaptations pour les personnes déficientes auditives ou visuelles. » Mais de souligner que le projet « Taking Root » impliquait des participants aveugles, que la bibliothèque municipale dispose de livres braille et de machines à lire, et que Magic Dance intégrait cette année la danse sportive en fauteuil roulant.

« Le retard dans l’accessibilité et les besoins spécifiques, c’est la faute aux soviétiques », conclut gravement Aiva Rozenberga (un argument maintes fois entendu). Elle parle en connaissance de cause : les bureaux de Riga 2014 sont installés dans l’ancien palais des congrès du Parti Communiste équipé d’un ascenseur desservant… des demi-étages; aujourd’hui encore, la grande salle transformée en salle de concerts demeure inaccessible aux personnes handicapées motrices.

L’Organisation Non Gouvernementale Apeirons avait proposé de fournir du conseil en accessibilité et accueil des publics handicapés, ainsi qu’elle le fait pour la municipalité en matière de constructions neuves ou de rénovations. « Il y a des améliorations, la loi rend l’accessibilité obligatoire depuis 2001, explique son chargé de communication, Talis Berzins. Nous ne sommes pas impliqués dans Riga 2014, on nous a répondu que tout serait accessible. » De fait, il n’en est rien : il devait y avoir des tickets spéciaux mais cela n’a pas été fait, et rien n’existe en matière d’accessibilité culturelle pour les personnes déficientes visuelles, auditives ou intellectuelles en Lettonie. De même, Apeirons ne sait pas ce que font les associations de personnes déficientes auditives ou visuelles qui « fonctionnent comme des clubs » déplore Talis Berzins. Et si la télévision nationale commence à sous-titrer des programmes et propose un journal quotidien avec langue des signes, les chaines privées ne suivent pas. L’ONG n’a pas eu connaissance d’artistes handicapés souhaitant participer à Riga 2014, ce qui est bien à l’image de l’intégration sociale et professionnelle : « Il y a quelques mendiants handicapés, reprend Talis Berzins, mais les enfants ont quand même la possibilité d’aller à l’école, les jeunes des possibilités d’emploi. Il n’y a pas d’obligation de recrutement, des emplois sont subventionnés et le licenciement d’un travailleur handicapé est impossible. » Mais Talis Berzins porte un regard dur sur les Lettons handicapés : « Ils ne veulent pas travailler, ils se contentent de l’aide sociale de 180€ par mois et des compléments qui assurent l’équivalent du salaire minimum (285€/mois). Les jeunes sont moins profiteurs. » Avec un tel contexte social et une absence de visibilité, on comprend que Riga 2014 ait fait l’impasse sur la représentation des personnes handicapées, la valorisation de leur travail artistique et leur accueil adapté.

Riga, place de la cathédrale.

2014 est néanmoins l’année d’aboutissement d’un projet lancé il y a 25 ans: le regroupement de la Bibliothèque Nationale de Lettonie (LNB) dans un seul immeuble construit le long du fleuve, alors qu’elle était éparpillée dans plus d’une dizaine. La création du bâtiment, ouvert au public en juin dernier, a été confiée en 1989 à l’architecte letton Gunars Birkerts: son « château de lumière » pyramidal puise dans une légende lettone qui veut qu’il émerge et resplendisse après les périodes troublées des guerres et occupations.

Si l’accès piéton est particulièrement ardu du fait d’une voirie entièrement centrée sur l’automobile, une fois sur le parvis tout va bien, l’ensemble des majestueux espaces est offert aux lecteurs, chercheurs, universitaires comme aux visiteurs. L’effet est saisissant dans le hall surmonté d’un gigantesque puits de lumière dont un pan est un mur de livres offerts par des habitants. Toutes les salles de lecture offrent une vue panoramique sur la vieille ville et, au 11e étage, c’est à 360° que le regard se déploie!

Tous les espaces ouverts au public sont accessibles aux personnes handicapées, une salle destinée aux lecteurs aveugles équipée de machines à lire doit bientôt être mise en service mais l’auditorium ne dispose ni de place fauteuil roulant attitrée ni de boucle magnétique. Apeirons en avait pourtant expliqué l’intérêt aux gestionnaires. Les 4,5 millions de livres publiés en letton sont progressivement stockés dans l’édifice dont deux étages hébergeront pendant le premier semestre 2015 la présidence de l’Union Européenne assurée par la Lettonie.

Espérons que cela ne perturbera pas les visiteurs de la magnifique exposition 1514-2014 consacrée jusqu’au 31 mars 2015 aux livres du début du XVIe siècle, des raretés enluminées ou illustrées prêtées par 18 bibliothèques européennes, dont le livre d’heures d’Anne de Bretagne, et Les triomphes de l’amour de Pétrarque. Quelques pages de ces ouvrages sont reproduites sur des écrans tactiles équipés de loupes, avec commentaires en letton et anglais.

Sur la même rive gauche de la Daugava, on peut visiter le mitoyen musée des transports ferroviaires, avec trains et locomotives, où poursuivre son chemin vers l’île de Kipsala… en affrontant une voirie qui multiplie les obstacles aux piétons. Ainsi, la rue pavée qui longe le fleuve est-elle bordée de belles maisons en bois, certaines rénovées et mises au goût du jour. Elle conduit à un lieu qu’il faut absolument visiter : le mémorial Zanis Lipke (1900-1987) consacré à un Juste parmi les nations. Un homme simple et particulièrement intelligent qui, avec son épouse Johanna (1903-1990) et ses enfants, a sauvé de la déportation et de l’extermination une soixantaine de juifs persécutés pendant l’occupation par l’Allemagne nazie de 1941 à 1944. Ils étaient hébergés dans un bunker construit près de la maison des Lipke (que l’on voit depuis le Mémorial), ainsi que dans des appartements en ville ou des fermes des environs. Aucun n’a été découvert ; malgré les péripéties et les dangers, la famille Lipke a tenu sans faillir ni trahison de la part des amis qui les ont aidés. Et bien qu’après la défaite allemande le KGB ait inquiété la famille, la notoriété acquise par les Lipke leur a fait éviter la persécution. Le mémorial relate tout cela avec les quelques documents rescapés des épreuves du temps, dans des boites rétro-éclairées disposées dans un espace de bois noir, une ambiance sombre plaçant un peu le visiteur dans la situation des juifs du bunker. Si les visiteurs déficients visuels seront en difficulté, l’accessibilité est bonne dès que l’on entre dans la maison (élévateur fauteuil, toilettes). Les amateurs de maisons anciennes en bois en découvriront par ailleurs bien d’autres en poursuivant leur promenade sur la rue Kalnciema jusqu’à une charmante place située aux numéros 35-37, qui accueille un marché typique chaque samedi.

Le KGB, on le retrouve dans « l’immeuble du coin« , selon l’expression populaire des années de plomb, lorsque la Lettonie a été soviétisée. Cette plongée dans la terreur est située à l’angle des rues Stabu et Brivibas, un immeuble néoclassique d’immenses appartements bourgeois construit en 1912 et transformé dès la première occupation soviétique (1940-1941) en siège de la police politique (NKVD) qui y reviendra dès la défaite de l’occupant allemand en 1944 jusqu’à l’indépendance lettonne de 1991.

L’immeuble est resté inoccupé depuis, « dans son jus », l’effroi transpire encore de ses murs. Au sous-sol et au rez-de-chaussée, on peut visiter les étroites cellules aux murs noirs; le couloir était recouvert d’un épais tapis rouge, pour que les prisonniers n’entendent pas les allées et venues des gardiens venant les espionner, et aussi, détail affreux, absorber le sang au retour des interrogatoires qui se déroulaient aux derniers étages, dans des pièces insonorisées garnies de fenêtres grillagées anti-suicide. Aux autres niveaux, les bureaux des policiers et de leurs chefs, avec leur tapisserie à fleurs et leurs meubles vintage…

Le long de la rue Brivibas, qui en 100 ans s’est appelée Alexandre, Révolution, Lénine, Hitler, puis à nouveau Lénine et maintenant Liberté (un résumé de l’histoire du pays), se trouvait la cantine du KGB dont les fenêtres étaient occultées par d’épais verres opaques. À l’angle des rues, une petite porte ouvrait sur le bureau des dénonciations. Mais l’horreur absolue, on la trouve dans une pièce noire, au bout du couloir des cellules: c’est la chambre d’exécution. Dans cette pièce calfeutrée et insonorisée étaient abattus sommairement, d’une balle dans la nuque, ceux dont le régime ne voulait plus. Un extrait (très violent) du film Katyn d’Andrzej Wajda, illustre cette abomination.

L’immeuble du KGB (successeur du NKVD) est ouvert au public jusqu’au 19 octobre, et présente également plusieurs expositions (trilingues letton-russe-anglais) passionnantes autour de la persécution politique et de l’exil. La largeur de certaines portes étant de 67cm, les personnes en fauteuil roulant devront parfois faire un double transfert pour passer (s’asseoir sur une chaise, plier le fauteuil et le passer puis se rasseoir sur le fauteuil) mais ce lieu historique unique justifie l’effort; la même technique pourra être employée pour l’ascenseur aux portes intérieures battantes. Dans les étages, des toilettes sont accessibles mais pas adaptées.

Que deviendra « l’immeuble du coin » après Riga 2014? La question est publiquement posée, sous une forme ironique: « Faut-il le repeindre? » Les Lettons auront prochainement à y répondre.

Quoi d’autre à Riga ?

La vieille ville concentre la plupart des touristes attirés par la typicité de l’endroit, les bars, restaurants, boutiques d’artisanat, de bijoux ou objets en ambre (l’occasion de faire quelques emplettes à des prix très raisonnables), et les bâtiments les plus anciens, quasiment tous inaccessibles en fauteuil roulant. Belle exception, l’ancienne Bourse du XIXe siècle devenue en 2011 musée des beaux-arts après une remarquable rénovation : au sous-sol, l’histoire du chantier est présentée; dans les salles à l’étage, collection de peintres flamands, allemands, français, porcelaines allemandes, anglaises, françaises, orfèvrerie lettone, russe, européenne, archéologie égyptienne, porcelaines et objets chinois, japonais, indiens, marionnettes indonésiennes… Un véritable inventaire à la Prévert ! Accès aisé par les deux entrées, ascenseur dans le patio couvert, toilettes adaptées au sous-sol, avec même des instructions braille sur le change bébé !

Riga, maison des têtes noires.

Non loin de là, si la célèbre maison des têtes noires, ancien siège d’une confrérie de marchands, attire le regard par sa monumentalité et la richesse de son ornementation, ses bâtiments détruits en 1941 et entièrement reconstruits dans les années 1990 sont actuellement occupés par la Présidence de la République dont la résidence officielle, le château, est en cours de rénovation.

Fermant la place de l’hôtel de ville, un sévère bâtiment en béton et parements de cuivre oxydé est consacré à l’occupation soviétique mais il faudra attendre son extension avec mise en accessibilité, dans deux ans, pour en apprécier le contenu. Avant 1991, il racontait l’histoire des fusiliers lettons, également représentés dans une haute et stricte sculpture en granit posée entre le fleuve et l’immeuble. C’est l’un des rares reliquats de l’époque soviétique, avec les têtes sculptées d’artistes officiels posées le long de l’Arsenal, espace accessible recevant des expositions temporaires.

En longeant ce bâtiment, on arrive au reste de remparts dont ne subsistent qu’un pan de mur et deux tours près du canal formé par les anciennes douves. De part et d’autre de ce canal, les allées du parc Kronvalda (nanti de toilettes publiques adaptées… et propres, comme la plupart des autres à Riga) reposeront le visiteur, raviront les amateurs de littérature et d’histoire lettone à travers les statues de personnalités, mais les touristes handicapés moteurs auront de grandes difficultés à profiter des balades sur l’eau en bateau croisière ou barque, tous les embarcadères étant au pied d’escaliers.

Poursuivre son chemin vers l’est par la rue Krisjana Valdemara fait entrer dans le quartier des immeubles Art Nouveau, haute architecture embellie de sculptures hiératiques féminines et d’ornements floraux, jusqu’à la rue Alberta dont la plupart des immeubles ont été conçus au début du XXe siècle par Mikhaïl Eisenstein, père du fameux cinéaste Serguei. Le merveilleux musée consacré à cette architecture étant hélas hors d’accès, les visiteurs handicapés moteurs devront se « contenter » d’observer ces immeubles souvent massifs, aux nombreux détails qui en font toute la richesse.

En poursuivant au fil des rues, bien d’autres immeubles audacieux à l’époque de leur construction viennent rappeler que Riga fut une ville riche, son port constituant un débouché pour les marchandises russes. A l’époque soviétique, les ponts à tablier bas construits sur la Daugava ont mis un terme à cette suprématie, les navires de commerce ne passant plus. En revenant à l’extrémité sud du parc Kronvalda, les amateurs d’art lyrique et danse classique seront comblés, une extension récente de l’Opéra National ayant rendu accessibles ses différents niveaux; les spectateurs en fauteuil roulant sont placés en fond d’orchestre, avec une excellente visibilité.

Au sud, derrière la gare, les immenses hangars qui abritaient des Zeppelin sont devenus le Marché central, le plus vaste de toute l’Europe à son ouverture en 1930. On y trouve de nombreux produits locaux et russes, avec la survivance traditionnelle des poissons séchés, des légumes, des fromages locaux, et une infinité d’autres produits. A l’extérieur, les enfilades de boutiques de vêtements et autres accessoires rappellent nos marchés aux puces. Si l’accessibilité est correcte une fois franchies les voies de tramways dont les rames modernes sont théoriquement accessibles, la foule du week-end ne peut que dissuader les visiteurs en fauteuil roulant. La toute proche Académie des Sciences n’a pas d’accessibilité du tout : ceux qui ont visité Varsovie y verront le modèle réduit du Palais de la Culture dans un immeuble que les Lettons appellent facétieusement « le gâteau d’anniversaire de Staline ». Un peu plus loin, récemment ouvert en bordure de la Daugava, l’émouvant musée du ghetto, installé dans les anciennes écuries de l’armée impériale russe, met l’accent sur les victimes de l’Holocauste dont il présente des aspects de la vie ordinaire. Une rue en grosses pierres difficilement praticable reconstitue un aspect du ghetto qui s’étendait non loin de là, une maison en bois pieusement restaurée (mais inaccessible) montre la simplicité des conditions de vie de ses habitants, d’immenses panneaux listent les noms des juifs exterminés par l’occupant allemand. Ici, l’histoire est racontée par ceux qui l’ont subie.

On l’aura compris, Riga en fauteuil roulant est une ville qui se mérite mais où la déambulation réserve de nombreuses occasions de s’émerveiller, de découvrir, de s’interroger… et d’espérer que les années à-venir offriront une meilleure accessibilité, non seulement aux touristes handicapés mais également aux citoyens.

Laurent Lejard, septembre 2014.

Pour y aller : la compagnie AirBaltic dessert Riga toute l’année depuis Paris-Charles de Gaulle plusieurs fois par jour, et depuis Nice plusieurs fois par semaine du printemps à l’automne à des tarifs proches du low-cost.

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