Amès (Koami Apenouvon pour l’État-Civil) est devenu handicapé suite à l’incompétence d’un oncle médecin, qui lui a administré une trop fort dose d’anti-paludéen. Il avait alors 3 ans et son calvaire a commencé. Ses parents ont commencé à le délaisser (surtout son père), puis ses amis. Il jouait seul dans le sable, essayant de lui donner vie afin d’en faire un fidèle ami qui le comprendrait et ne le jugerait pas à l’instar des autres.

Amès a grandi avec son handicap, la tête ailleurs. Il se déplaçait difficilement, s’aidant de béquilles, et a tardé à aller à l’école du fait de son handicap. Quand enfin il a pu y aller, il a vite fait d’abandonner, faute de soutien familial. La vie ne lui avait pas fait de cadeau, la société non plus : sujet de railleries, il faisait peur ! Mais Amès savait que la vie peut être belle et qu’il trouverait sa place au soleil. Utopie, Foi en lui-même ou en Dieu ? Il savait seulement qu’il devait absolument prendre sa vie en main dans un environnement hostile. Comment y arriver et par quoi commencer ? Il a cherché, cherché… et trouvé.

Amès a trouvé sa voie dans ce qu’il savait faire le mieux : dessiner. A six ans, il dessinait déjà. Au départ, c’était un remède contre la solitude, une passion mais au fond un don à développer. Il en a pris conscience petit à petit. Se sentant bien avec l’Art, il a cherché à s’améliorer, du moins, à améliorer ses dessins et les rendre plus agréable au regard, s’inspirant de tout, partout et surtout ce qu’il voyait dans la rue. Son art « à l’air libre » a attiré l’attention des passants, lui s’est s’affirmé. Son art a évolué et Amès a affiné ses techniques.

L’homme et son art.
 Amès est à l’aise aussi bien avec la peinture à huile, le pastel qu’avec le crayon. Mais les matériels de travail sont difficiles à se procurer, parce que coûtant très cher. S’il n’en trouve pas sur place au Togo, il va en acheter au Ghana ou les commande auprès de certains de ses amis qui voyagent au Bénin. Il n’a pas de préférence de thèmes, puisque les thèmes n’ont aucun secret pour lui. Mais il ne les réussit mieux que grâce à l’inspiration du moment, car sans elle, il lui arrive parfois de ne pas être très performant. Il est très à l’écoute de son environnement qu’il essaie de traduire en peinture. Les bruits et gestes ne lui échappent pas, on peut les découvrir dans ses toiles. « L’art, c’est ma prière, c’est Dieu révélé dans le beau, la preuve de l’amour de Dieu pour moi », explique-t-il.

Il se définit désormais artiste plasticien et s’inspire avant tout de la femme, en référence à une mère décédée mais qui est à jamais gravée dans son coeur. La femme togolaise occupe une place de choix dans ses oeuvres. Elle y est soit en entier ou de visage, toute en beauté, dans ses plus belles parures, dansant, allant à la recherche de l’eau ou berçant son enfant. Son sens de l’observation et sa curiosité le conduisent très souvent au grand marché de Lomé, la capitale, où les femmes sont nombreuses, vaquant à leurs occupations de vente de produits de toutes sortes, soit devant une boutique, soit en les portant sur leur tête, criant ou agitant une cloche pour attirer l’attention des clients. Ces cris, d’une douceur envoûtante, Amès les reproduit à l’aide de couleurs légères en forme de fumée dans certains de ses tableaux. Les couleurs, Amès ne les utilise pas au hasard mais suivant son inspiration. Elles ont chacune une signification. Par exemple, le bleu symbolise la joie, le vert, la paix, le blanc, la lumière et le rouge, l’amour : un art aux dimensions plurielles.

Amès travaille sur tous les formats, selon son inspiration. Il est respecté parce qu’il arrive à surprendre par la taille de ses oeuvres. Il parvient à les vendre, mais non sans difficulté car ses acheteurs, Togolais pour la plupart, sont frappés par la conjoncture économique du pays. Amès s’en sort cependant grâce aux ventes de tableaux au cours de certaines expositions, dont l’une l’a même conduit en mai 2010 à Dakar, au Sénégal, lors du Handifestival. Il a reçu en outre le soutien du chanteur et musicien congolais Lokua Kanza. Même si l’argent ne coule pas à flots, l’atelier d’Amès emploie quatre apprentis.

Amès a beaucoup appris en voyageant et séjournant en Europe. Mais sa vie est au Togo, auprès de sa femme et de leur premier enfant, dans l’attente de la naissance du second. Des projets, Amès en a : parallèlement à son travail de plasticien, il aborde la chorégraphie, le théâtre. Il a intégré une association qui mêle personnes handicapées et valides : Tibi (« héritage » en langue Tém).

S’il a réussi à sortir de ce qui au départ semblait une impasse, Amès aide du mieux qu’il peut d’autres personnes handicapées en leur prodiguant beaucoup de conseils, notamment cesser de mendier sur les trottoirs, s’armer de courage, recouvrer la dignité, et avoir des visions, des projets qui, tôt ou tard, se réaliseront. Car pour lui, le vrai handicap, c’est celui qui nous interdit d’oser croire en une vie meilleure.

Abdoul Rafiou Lassissi, avril 2011.

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