Un homme seul entre en scène, trainant un peu la jambe. Il éparpille, sur un sol jonché de cannes anglaises d’une longueur démesurée, divers objets et obstacles. Durant une trentaine de minutes, l’homme affronte violemment cet environnement avec son corps. Cet homme, c’est Ali Fekih, son oeuvre et dernière création, Les flamants roses : « Les flamants roses n’est pas une oeuvre autobiographique, précise-t-il, c’est plus subtil : elle interroge sur ce que veut dire la danse, le corps, les mots, avec quel vocabulaire nouveau. Au-delà du corps handicapé ». Une étape importante dans la théorisation d’une danse, et son inclusion dans la création chorégraphique contemporaine.

Ali Fekih a près de 20 ans de pratique de la danse, en solo. Il a développé son propre vocabulaire, son propre langage. Après un parcours hétéroclite : « J’ai commencé seul, dans la rue, de Tokyo à Osaka, à New York. Les cours étaient blessants. J’ai vu un gars qui dansait dans la rue, alors j’ai dansé dans la rue ! » Depuis, il a dansé à l’Apollo Theatre de New York, à Atlantic City, à Sydney, il a été primé à Melbourne pour un spectacle de rue, mais à Paris, c’est à Beaubourg qu’il s’exprime.

Le parcours scolaire d’Ali Fekih s’est réduit essentiellement aux études primaires, jusqu’à une rupture familiale qui le fait partir sur les routes à l’âge de 20 ans, avec une sono et autres matériels. « J’ai vécu une vie extraordinaire, et des trucs hyper durs : drogue, alcool, cloche… » De cette époque de découverte et d’errance, il a acquis un sens immédiat du contact à l’autre, de l’entrée en relation et en dialogue. En France, il a travaillé avec Maguy Marin et développé ce qu’il nomme une dyslexie physique, pour s’approprier son corps, tout en cherchant les failles pour pouvoir créer, en puisant également dans le burlesque. « Ma danse est politique. Je suis en position de proposition. Je voudrais monter une école pour danseurs handicapés de haut niveau. Ce qui m’intéresse, c’est la sociologie de la danse et ce que cela véhicule surtout, les ressorts du corps humain, les limites qu’on se pose. Je me suis aidé des marionnettes et des objets pour bouger, pour comprendre certains trucs physiques. Pour les valides, le corps bouge dans son entier ou dans un ensemble. Pour une personne handicapée c’est une tout autre démarche physique et psychologique, et dans le même temps cela s’opère de manière naturelle, on gère autrement. Mais dans le fond c’est la même chose, il faut simplement tenir compte de cette différence sans la considérer différente ».

Même s’il n’emploie pas cet outil pour se déplacer, il porte un regard lucide sur la danse en fauteuil roulant (toujours en recherche de vocabulaire et quête d’existence sur les scènes de la création chorégraphique contemporaine) qu’il considère comme un patchwork de situations : « Quand une personne handicapée est dans une compagnie, elle est centrale, mais pas à égalité. C’est une histoire d’étages, ça marche. Mais il n’y a pas d’études de la danse handi. Et je me retrouve parfois à donner des cours à des artistes professionnels. Un danseur, on le reconnaît à son parcours et sa façon de bouger. Avec ses clichés et ses mouvements typés. Alors qu’un danseur handicapé doit créer lui-même son bagage théorique et pratique, ce qui prend beaucoup plus de temps. Les exemples ne sont pas foison, et à ma connaissance il n’existe pas de recherche centralisée et diffusée. Le fauteuil roulant est une maquette de voiture. L’être humain se déplace, lui, avec ses quatre membres. Alors qu’une personne handicapée a un rapport naturel avec des objets parce qu’elle a besoin de toucher pour avancer ».

Ali Fekih compense la polio qui a atrophié l’une de ses jambes par des rééquilibrages incessants, qui le mettent en péril permanent : « Toutes les réponses ne sont pas médicales. Ce qui m’intéresse, c’est l’artiste, son vocabulaire, sa création. Mon métier est de jouer, de créer. On parle de vulnérabilité alors qu’on parque les gens, qu’on les infantilise. Le corps est peut être une maison, il s’agit d’en trouver les portes et les clefs ».

Laurent Lejard, janvier 2010.


Ali Fekih peut être contacté par mél ou au 09 50 82 41 27.

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