« Une attaque brillamment exécutée contre la vie après une blessure médullaire », telle est l’opinion de la nord- américaine National Spinal Cord Injury Association (N.S.C.I.A) sur le film Million Dollar Baby qui sort sur les écrans français le 23 mars. Réalisé et interprété par Clint Eastwood, le film raconte la vie et la mort d’une jeune femme, Maggie (Hilary Swank), devenue tétraplégique à la suite d’un mauvais coup durant un match de boxe professionnelle : elle tombe sur un tabouret, le cou rompt, Maggie est entièrement paralysée. Mal soignée, elle est rongée par des escarres dont l’une entraîne l’amputation d’une jambe. Maggie ne vivait que pour la boxe, seule, sans ami ni amant, travaillant comme serveuse pour payer son entraînement acharné dans une salle glauque. Evidemment, sa mère est abjecte, ne pensant qu’à l’argent que sa fille peut lui rapporter. Alors, quelques semaines après son accident, toutes les portes de l’espoir lui ayant été savamment fermées au fil du scénario, Maggie veut mourir : aussitôt demandé, presqu’ausitôt fait par Frankie (Clint Eastwood) entraîneur meurtri par les épreuves de la vie et rejeté par sa fille. Jamais il ne sortira Maggie de l’hôpital, ne lui montrera d’autres possibles, ni ne tentera avec elle un retour à la vie. Devenue inutile, elle ne peut plus que mourir. Un dénouement que le réalisateur et producteur Eastwood a demandé à la presse de taire au spectateur; la plupart des journalistes ont obéi.

Million Dollar Baby est un récit remarquablement construit, une histoire humaine comme les cinéphiles en raffolent, tous les ingrédients du succès public sont réunis. Tel est bien le danger d’un film qui a triomphé aux Oscars 2005 (meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur premier rôle féminin et second rôle masculin), mais survole un sujet délicat et suscite depuis sa sortie aux Etats- Unis une vive polémique de la part d’associations de personnes handicapées : elles estiment, avec raison, qu’il y a une vie après la tétraplégie. Et rappellent que Clint Eastwood s’était déjà attaqué aux droits des personnes handicapées en inspirant aux U.S.A un amendement restreignant les poursuites judiciaires pour inaccessibilité (lire revue de presse au 30 septembre 2000). L’ex-inspecteur Harry avait perdu cette bataille, mais visiblement il poursuit sa guerre…

La fin de vie selon Eastwood ne doit pas être confondue avec celle de Ramón Sampedro dont la vie est fidèlement racontée dans le film d’Alejandro Amenábar, Mar Adentro, Oscar 2005 du meilleur film étranger : Ramon exerce son choix de mettre fin à une vie qu’il a vécue, dignement. Durant près de trente ans, il a parcouru le monde en lisant, s’est évadé dans la musique, s’est exprimé par l’écriture. Son choix est raisonné, étayé, il ne résulte pas d’une option cochée par défaut. Le spectateur saura-t-il faire la différence ?

Laurent Lejard, mars 2005.

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