Le 7 novembre 2011, des dizaines de personnes handicapées ont engagé un mouvement de revendication devant les Services du Premier Ministre, au cours duquel certaines ont même voulu observer la grève de la faim. En effet, dans le cadre du recrutement des 25.000 jeunes diplômés dans la Fonction Publique instruit par le Président Paul Biya, la majorité des personnes handicapées ayant postulé n’ont pas vu leur candidature retenue après la publication des listes des présélectionnés. « Nous n’avons vu le nom d’aucune personne handicapée, pourtant la loi exige de nous réserver un taux de 10% à chaque opération de recrutement », s’indigne François Kenfack, handicapé moteur, ancien président de la Coordination des Associations des Etudiants Handicapés des Universités du Cameroun (CAEHUCAM), l’un des participants au mouvement de revendication. Lors d’un point de presse tenu à la télévision nationale pour la circonstance, le Ministre en charge de la Fonction Publique a presque reconnu l’erreur de l’administration en indiquant qu’une cinquantaine de personnes handicapées seulement avait été retenue. Mais il a précisé qu’il serait envisagé un réexamen des dossiers de candidature des personnes handicapées en liaison avec les responsables du Ministère des Affaires Sociales, pour une meilleure évaluation des compétences réelles, du niveau de la déficience et de la compatibilité avec le poste de travail sollicité.

En clair, cette « compatibilité avec le poste de travail », qui est une violation des textes, semble être le véritable frein à l’emploi des personnes handicapées au Cameroun. Alors que la loi parle de « l’adaptation du poste de travail », les décideurs cherchent plutôt la compatibilité du handicap de la personne au poste de travail à pourvoir. Ce qui réduit considérablement les chances de cette catégorie, dans un contexte où tout est fait sans tenir compte de l’approche handicap. Toutefois, le mouvement de revendication a finalement permis un recrutement supplémentaire de 405 personnes handicapées même si, pour ces dernières, cela reste insuffisant au regard des dispositions de la loi du 13 avril 2010 qui prévoit « qu’à compétence égale, la priorité de recrutement est accordée à la personne handicapée. » Ainsi, selon les intéressés, les plus de 500 dossiers de candidature des personnes handicapées sur 25.000, devraient être priorisés.

60% de privés d’emploi.

Les Camerounais handicapés constituent la catégorie dans laquelle on dénombre le plus fort taux de chômage, qui va au delà de 60%. Car, que ce soit dans le secteur privé ou dans la Fonction publique, l’emploi des personnes en situation de handicap reste encore un mythe au Cameroun. Leur recrutement comme personnel de l’Etat obéit aux mêmes règles que toute autre personne. Il en existe deux modes : en qualité de fonctionnaire à travers le concours d’entrée dans les écoles publiques de formations professionnelles, ou direct comme contractuel d’administration, sur étude de dossier.

Mais de manière spécifique, le décret 90/1516 du 26 novembre 1990 fixant les modalités d’application de la loi 83/013 du 21 juillet 1983 relative à la protection des personnes handicapées prévoyait un quota de 10% pour les personnes handicapées dans les recrutements massifs pour les emplois publics et privés. La loi 2010/002 portant protection et promotion des personnes handicapées est allée plus loin en indiquant simplement qu’à compétence égale (avec la personne valide bien sûr), la priorité de recrutement est accordée à la personne handicapée.

Mais, s’il existe des dispositions juridiques pour le recrutement des personnes handicapées, le traitement salarial ne fait pas de différence avec les personnes valides. Pourtant, le handicap impose à ses porteurs des charges supplémentaires liées notamment à la santé et aux transports, comme l’explique Cécile Mandary, cadre contractuel d’administration exerçant au Ministère des affaires Sociales (MINAS) et qui se déplace en fauteuil roulant. « A cause de mon fauteuil, regrette-t-elle, je suis obligée de payer chaque jour le double du tarif normal de transport. » Par conséquent la rémunération devient largement insuffisante par rapport aux charges : « J’ai même l’impression que mon salaire me sert juste pour payer le taxi, ajoute-t-elle. En fait, je travaille plutôt pour les autres ! »

Comme dans tous les secteurs, les personnels de l’Etat ne bénéficient pas d’un système de transport public spécifique. C’est ce qui explique le coût élevé et les difficultés rencontrées par les personnes handicapées, surtout celles qui se déplacent en fauteuil roulant : « Je passe souvent plus de deux heures à attendre le taxi au bord de la route, c’est vraiment difficile, soupire Cécile Mandary. Faute d’accompagnateur, les conducteurs de taxi éprouvent de la peine à descendre de leur véhicule pour venir charger mon fauteuil roulant dans la malle arrière, malgré le double du tarif que je paie. »

« Les personnes handicapées peuvent faire quoi ? »

De manière générale, la personne handicapée est considérée comme celle qui ne peut rien faire, une éternelle assistée. Même son recrutement à la fonction publique ressemble à une aide qui lui permettrait juste d’avoir un revenu, même sans rendement. Cette opinion transparait dans l’entretien que nous avons eu avec des responsables au Ministère de la Fonction publique et de la Réforme Administrative, département ministériel en charge principalement du recrutement du personnel de l’Etat. L’un d’entre eux, à la question du manque de respect des textes relatifs à la protection des personnes handicapées, répond par une question surprenante : « Les personnes handicapées peuvent faire quoi ? »

Au regard des difficultés rencontrées au quotidien, liées aux transports comme à l’accessibilité aux édifices abritant les services publics, une responsable du Ministère de la Fonction Publique conclut qu’une personne handicapée ne peut rien faire dans ces conditions. C’est ce qu’exprime Emilienne Bouli, agent au Ministère des Affaires Sociales (MINAS), l’administration où l’on rencontre un plus grand nombre de personnes handicapées employées : « Si je n’avais pas travaillé avec les personnes handicapées, je n’allais jamais savoir de quoi elles sont capables. Avant, je pensais qu’elles ne peuvent rien faire, et qu’on doit seulement les assister financièrement et matériellement. » Pourtant, les personnes handicapées bravent au quotidien tous ces obstacles et donnent un rendement satisfaisant dans le cadre des tâches qui leur sont dévolues. Emilienne Bouli conclut : « Mais ici [au MINAS] je suis agréablement surprise du travail qu’elles abattent. Certaines sont même nommées à des postes à responsabilités, grâce à leur rendement. »

En tout état de cause, au-delà du manque de volonté manifeste de certains responsables des administrations camerounaises en charge du recrutement à la Fonction publique, le véritable problème reste encore l’application des lois et règlements en faveur des personnes handicapées…

Etienne Mbogo, DG/APHMC, mars 2012.

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