Le handicap est une réalité au Togo, 10% de la population totale du pays selon l’Organisation Mondiale de la Santé. Elles seraient donc 600.000, une estimation devenue obsolète puisque le nouveau recensement de 2010 (dont on attend les résultats définitifs) prend en compte cette fois-ci le nombre exact de ces personnes. Parmi les causes de handicap relevées par le Programme National de Réadaptation à Base Communautaire, certaines sont spécifiques, telles les malformations et déformations, la malnutrition, les maladies invalidantes (méningite, diabète, neuro-paludisme, ulcère de Buruli), les séquelles de poliomyélite ou d’injection.

Par exemple, Kokouvi Vianou, chargé d’étude à l’Agence de Solidarité Nationale, Enyonam Akpé Babette Akakpo, responsable de la petite entreprise « le Printemps », sont devenus handicapés suite à la poliomyélite. Et Assou Yao Fioklou, l’artiste plasticien Koami Apénouvon, El-Chérifoulah Sdamba, responsable d’une petite unité de réparation, de décodage et de vente de portables et accessoires, Dédé Denkey, assistante en ressources humaines au Secrétariat d’Etat chargé de la protection de l’enfant et des personnes âgées, suite à une paralysie due à une piqûre anti-paludéenne ayant atteint leur nerf sciatique.

Assumer le quotidien.
 La vie au Togo en général n’est pas très rose; elle l’est moins encore pour les personnes en situation de handicap puisque celles-ci, très limitées dans leurs faits et gestes, dépendent pour la plupart de leurs parents et de la société qui, malheureusement, ne leur est pas d’un grand secours. Leur vie est faite de soins médicaux et hospitaliers fréquents, car il leur faut des appareils orthopédiques comme des prothèses, orthèses ou tricycles, qui coûtent très cher. Ce coût élevé est confirmé par Enyonam Akpé Babette Akakpo : 503.000FCFA (766€) pour des prothèses, 155.000FCFA (236€) pour un tricyle. Ce coût exorbitant s’explique par le fait que les matériels sont importés, très souvent d’Europe. Et du coup, ce n’est point accessible à tout le monde sans aucun soutien. Du soutien, Babette n’en a eu aucun d’une quelconque structure étatique ou non-gouvernementale depuis son enfance. Ses parents ont tout pris en charge jusqu’à ce qu’elle travaille.

C’est aussi le cas de Dédé Denkey. On pourrait croire que les deux femmes sont issues de familles aisées mais leurs parents étaient plutôt contraints de supporter ces charges financières après n’avoir eu aucune réponse favorable à leurs demandes d’aide auprès des ONG. Cependant, confie Babette, les appareils orthopédiques n’étaient jadis pas aussi onéreux qu’ils le sont aujourd’hui. Les personnes en situation de handicap ne sont pas pour autant des laissées-pour-compte puisqu’elles reçoivent quelquefois de l’aide de l’Etat ou, beaucoup plus souvent, de structures telles que Handicap International ou Christoffel-Blindenmission (CBM) qui oeuvrent à leur bien-être. Mais un très gros effort reste encore à fournir pour alléger le quotidien, notamment en ce qui concerne les soins sanitaires et hospitaliers, à cause du manque de moyens lié à la cherté de la vie et à l’augmentation de la population.

Consciente du défi à relever, la Fédération Togolaise des Associations de Personnes Handicapées (FETAPH) mène depuis vingt ans des actions en multipliant ses partenaires aussi bien sur le plan national qu’international, avec la commission de l’Union Européenne, le Service Allemand de Développement (GIZ), la coopération allemande, l’Ambassade des Etats-Unis d’Amérique, etc. Ces partenaires aident, avec l’implication très étroite et active des associations locales, à la réduction de la pauvreté au sein de la population des personnes en situation de handicap et facilitent l’accès à l’orthopédie.

Pouvoir travailler. 
La réduction de la pauvreté passe forcément par un accès à un travail décent et rémunérateur. Pour le moment, cela reste un idéal parce que c’est difficilement que les personnes en situation de handicap ont accès au travail, beaucoup d’entre elles se trouvant malheureusement sur le bord des trottoirs en train de quémander. Est-ce par paresse ou résignation après de vains efforts de trouver un petit boulot ? A cette question, Assou Yao Fioklou, responsable de « Super tontine » (une formule d’épargne et de micro finance) répond qu’il y a un peu des deux, mais plus de la résignation : « La résignation, c’est la manifestation d’un pessimisme notoire né de l’espoir vain en un avenir meilleur ! explique-t-il. Pour surmonter cela, il faut être tenace ». Tenace, il l’a été et l’est toujours car la position qu’il occupe actuellement dans la société de micro finance Micro fund est précaire. Assou raconte qu’après un Baccalauréat G2, un BTS en finance banque et un DUT en finance comptabilité, il a fait sans succès des demandes de stage auprès de diverses banques et est resté plusieurs mois chez lui pour finalement être employé dans la société de l’un de ses beaux-frères.

Dédé Denkey a subi le même sort avant d’occuper son poste actuel au Secrétariat d’Etat chargé de la protection de l’enfant et des personnes âgées depuis février 2009. Elle, par contre, est restée deux ans sans emploi après sa maîtrise en sociologie à l’Université de Lomé en 2006 : « C’était difficile de trouver du travail pendant tout ce temps, même pas un stage ! ». Et pourtant, dans la Constitution de la quatrième République Togolaise, il est écrit : « L’Etat prend ou fait prendre en faveur des personnes handicapées […] des mesures susceptibles de les mettre à l’abri des injustices sociales ». Malgré cela, des injustices sociales, les personnes en situation de handicap ne sont pas épargnées…

Réussir.
 De la discrimination, El-Chérifoulah Sdamba, Enyonam Babette Akakpo, Kokouvi Vianou, Dédé Denkey et Marc Analène (chef projet Renforcement des Droits des personnes handicapées à la FETAPH) affirment n’en avoir pas souffert depuis leur enfance, en tout cas, pas à cause de leur condition de handicap. Ils ont plutôt forcé l’admiration par leur intelligence, lors de leur parcours scolaire et estudiantin, et par leur ouverture d’esprit. Mieux : leur force de caractère fait d’eux de bons compagnons, recommandables et recommandés grâce à leur sens aigu de l’humour. Au travail, confient-ils, ils sont bien traités. « Je suis accepté tel que je suis, sans rejet au point que je ne sens même plus mon handicap, précise Kokouvi Vianou. Je me suis intégré à 90% grâce à mes compétences ». Dédé Denkey partage cet avis et déclare qu’au boulot l’ambiance est conviviale. C’est dans cette même ambiance que se trouve Marc Analène, qui va jusqu’à assurer qu’il n’y a même pas de discrimination salariale à la FETAPH et que, de la femme de ménage au directeur, en passant par la comptable (toutes des personnes en situation de handicap), leur avis compte.

Tel n’est malheureusement pas le cas d’Assou Yao Fioklou, qui a quelques soucis de discrimination. Malgré ses diplômes et la qualité de son travail, on doute encore de lui, à cause de son handicap, confie-t-il. Pour preuve, le poste de responsable comptable qu’il occupait au départ et qui se trouvait à l’étage du bâtiment lui a été retiré. Progressivement, on a commencé par le seconder pour prétexte qu’il ne pourra pas tout le temps effectuer des va-et-vient de l’étage au rez-de-chaussée. In fine, son second a pris le poste de chef comptable et lui-même, relégué au poste de responsable de « Super tontine » installé au rez-de-chaussée. « Ils sont nombreux ces cas de discrimination, complète Kokouvi Vianou, parce que la mentalité de la société est la suivante : à quoi peut bien servir un handicapé ? » Même pas à être une femme désirable qu’un homme peut bien avoir pour épouse ou mère de ses enfants. C’est la remarque ou l’allusion désobligeante que font certaines sages-femmes à l’encontre des femmes en situation de handicap quand elles vont à l’hôpital pour accoucher : « Toi aussi, cette chose, enceinte ? »…

« Je suis un sac à erreur, pense-t-on au boulot quand je commets une petite erreur », déplore Assou Yao Fioklou. Mais le problème est qu’il le croit, en fin de compte. Il a toujours peur qu’on lui reproche quelque chose, qu’on le juge constamment. Et la solution qu’il adopte, pour éviter de se sentir brimé, c’est la solitude.

Un avenir poltique ? La solitude est-elle la solution quand l’Etat prend des mesures législatives pour la protection et l’épanouissement des personnes en situation de handicap ? Cela en surprend plus d’une quand on leur dit que l’Etat pense à elles et a fait adopter par l’Assemblée Nationale la Loi relative à la protection sociale des personnes handicapées en 2010. Il n’est pas étonnant que cette loi soit méconnue car peu de personnes handicapées sont instruites, et celles qui le sont ne semblent pas se fier à la législation parce que, en général, l’on se méfie malheureusement de tout ce qui s’appelle loi au Togo. L’appareil judiciaire est gangrené par la corruption, secret de polichinelle pour un Gouvernement qui a pris des mesures de redressement, conscient que l’avènement d’un Etat de droit passe par des appareils étatiques en bonne santé qui disent le droit tel qu’il est, et ce pour tous. Cependant, les efforts législatifs de l’Etat ne sont pas bien visibles sur le terrain, les injustices étant légion. Peut-être les choses s’apaiseront-elles le jour où quelques personnes en situation de handicap seront au Gouvernement ?

Abdoul Rafiou Lassissi, septembre 2011.

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