Du 25 au 27 novembre dernier, les élus des collectivités territoriales en charge des transports et des professionnels du secteur ont échangé leurs expériences et approches à l’occasion des 22e Rencontres Nationales du Transport Public qui se sont déroulées à Nice. Le président du Groupement des Autorités Responsables de Transport (GART), Roland Ries, a exprimé ses craintes quant à la réalisation du chantier de mise en accessibilité des transports publics à l’horizon février 2015.

Question : Les transports publics doivent être mis en accessibilité d’ici février 2015, alors que se profile une réforme des collectivités territoriales. Craignez-vous qu’elle pèse sur ce vaste chantier ?

Roland Ries : 
C’est effectivement une crainte que l’on peut avoir, et que j’ai personnellement. Sur Strasbourg, on va prendre, en décembre, une délibération au conseil de communauté urbaine qui prévoit la mise en accessibilité totale du réseau à l’horizon 2015, conformément à la loi. Là, je n’ai pas d’inquiétude, même si je me suis posé certaines questions : c’est quand même un investissement de vingt millions d’euros.

Question : 
Que vous pourrez financer malgré la perte de la taxe professionnelle ?

Roland Ries : 
J’ai fait ce choix, mais je sais aussi que certains de mes collègues s’interrogent, exactement comme pour les décisions d’extensions de réseau ou de nouvelles lignes de tramways. Ils disent « on n’est pas sûr, au-delà des deux prochaines années, d’avoir des ressources au niveau où on les avait avec la taxe professionnelle. La compensation est garantie pour les deux ans qui viennent, au-delà, on ne sait pas ». Or, quand on fait des investissements, que ce soit pour l’accessibilité ou pour des nouvelles lignes, on doit avoir une visibilité bien au-delà de deux ans. C’est pour cela que je souhaite que, le plus rapidement possible, on sorte du flou dans lequel nous sommes aujourd’hui par rapport à la taxe professionnelle. L’insécurité dans le domaine financier génère de la pusillanimité dans les décisions politiques à prendre. Et des collègues me disent : « Est-ce qu’on sera encore compétent pour l’accessibilité, pour l’interurbain ? On n’en sait rien ! » Les deux incertitudes, l’une sur les ressources, l’autre sur les compétences sont, à mon avis, extrêmement pénalisantes dans tous les domaines, y compris celui de l’accessibilité.

Question :
 Que dit le Ministre, le Gouvernement ?

Roland Ries : Je demande au Gouvernement que l’on clarifie les choses le plus vite possible, parce que cette situation est dangereuse pour les investissements nécessaires, que ce soit pour l’offre de transport ou pour l’accessibilité.

Question :
 Au-delà de ces incertitudes, l’échéance 2015 vous semble-t-elle tenable ?

Roland Ries : 
C’était un objectif ambitieux, qui arrive au moment où les collectivités publiques sont dans une situation difficile. On sait bien que beaucoup de grandes collectivités ont investi lourdement ces dernières années pour augmenter l’offre de transports publics, et du coup elles ont asséché le produit du versement transport qui est mobilisé pour couvrir les amortissements. Le versement transport n’est plus disponible pour financer d’autres investissements ou assurer l’équilibre de l’exploitation. Cette situation difficile que l’on connaît au niveau national, et aussi, à un moindre degré, dans les collectivités locales, est pénalisante, problématique en rapport de l’échéance 2015. Pour en revenir à Strasbourg, que je connais particulièrement, on a fait le choix de l’accessibilité et de la mise aux normes légales à l’horizon 2015. Je crois savoir que d’autres collectivités sont plus inquiètes et ont peut-être un peu moins de ressources que Strasbourg, qui a quand même une surface financière suffisante.

Question :
 Comment appréciez-vous la situation particulière des métros de Paris et Marseille, exemptés par la loi de l’obligation de mise en accessibilité ?

Roland Ries : 
Évidemment, ce sont des investissements considérables qui sont nécessaires à leur accessibilité. Du coup, on a dit que ce n’était pas nécessaire de le faire. Je trouve que c’est un peu une politique de Gribouille. Si on a fixé cet objectif là, il ne devrait pas y avoir d’exception. Alors, évidemment, c’est cher, ce sont des investissements qui sont très lourds pour les métros. Mais je ne peux pas me contenter de cette exemption en disant « c’est trop cher donc on ne fait pas » !

Question :
 Quel est votre sentiment au sujet du maintien durant 30 ans de l’exploitation par la RATP du métro parisien dans la loi de régulation ferroviaire pourtant destinée à organiser l’ouverture à la concurrence ?

Roland Ries : 
Je ne sais pas ce qu’en dira la Commission Européenne. J’avais cru comprendre que l’esprit de la Directive Européenne était de dire que les exploitants qui sont déjà en place – une chasse gardée, disons les choses ainsi – pouvaient ne pas être mis en concurrence, mais à la condition qu’ils n’aillent pas sur d’autres territoires. Je pensais que cela faisait consensus et que l’on ne pouvait pas à la fois être protégé sur un territoire et en même temps aller au grand large pour concurrencer les autres. Parce que finalement c’est une concurrence qui est faussée.

Question :
 Les autorités organisatrices de transport redoutent-elles une avalanche de plaintes d’usagers à l’horizon 2015, alors qu’elles vont hériter de situations qu’elles ne maitrisent pas ?

Roland Ries :
 Si on ne dégage pas des moyens, et si l’État n’aide pas les collectivités à la hauteur de ces enjeux, on risque d’aller dans cette direction. Ce que je regrette, c’est que l’on fasse des lois, que l’on établisse des règles, et qu’ensuite on se reporte sur les collectivités locales pour financer. C’est trop facile. Celui qui fixe l’objectif ne se préoccupe pas de savoir comment on va l’atteindre, et du coup il va résulter des difficultés. J’aurais souhaité, pour le moins, une contribution financière de l’État, comme il le fait pour les appels à projet de transports en commun en site propre, pour aider les collectivités à faire face à des dépenses qui sont importantes.

Question : 
Avec le grand emprunt ?

Roland Ries : 
J’ai rencontré Michel Rocard, il m’a répondu très clairement que le Grand Emprunt ne devait pas servir à compenser les insuffisances de financement qui existent ici ou là, par exemple pour l’accessibilité, mais devait servir à financer des innovations, des territoires nouveaux, qui n’avaient pas été prévus auparavant.


Propos recueillis par Laurent Lejard, décembre 2009.

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