Si la grand-messe de l’Année Européenne des Personnes Handicapées (2003) a eu quelques bienfaits à long terme, le festival Orphée est de ceux-là. « C’était une idée de Michel Reynaud, directeur de l’ESAT artistique Eurydice, se souvient Rachel Boulenger-Dumas, comédienne et présidente du festival Orphée. Le directeur du Théâtre Montansier, à Versailles, lui avait proposé d’accueillir des spectacles. Très vite, nous avons été soutenus par la fondation Crédit Coopératif, qui nous a permis de lancer la première édition. Dès le début du projet, nous avons voulu une orientation européenne. Je me suis appuyée sur d’autres organisations, dont Eucréa France, pour contacter des compagnies étrangères, qui ont réagi immédiatement. J’ai découvert que nos voisins étaient moins institutionnalisés et cloisonnés, plus réactifs. Ils ont l’habitude de se produire dans des festivals, des théâtres ouverts à tous, en dehors du monde du handicap. Par exemple, les personnes handicapées ont une vie sociale bien mieux intégrée en Allemagne qu’en France. Nous avons reçu des compagnies très autonomes, avec peu d’accompagnateurs valides, alors qu’en France il faut davantage d’encadrement. Ce qui entraine une lourdeur de fonctionnement et des limites en temps de travail et réglementation ». Rachel Boulenger-Dumas estime que peu de compagnies françaises ont acquis une souplesse compatible avec l’expression artistique en milieu ordinaire, citant notamment la Compagnie du 3e Oeil, l’Oiseau-Mouche, Eurydice.

« Pour repérer des compagnies avec Michel Reynaud qui assure la direction artistique, explique Rachel Boulenger-Dumas, on a tiré le fil et la pelote s’est dévidée ! Les compagnies parlent d’Orphée à d’autres troupes dans d’autres festivals, ce qui donne de la notoriété, stimule le bouche à oreille et créé un réseau relationnel. Et parfois le hasard fait son oeuvre ». Ce réseau relationnel, Orphée ne le garde pas pour lui : une base de données des compagnies d’artistes handicapés sera prochainement mise en ligne, avec près de 200 références de par le monde. Mais la notoriété n’apporte pas forcément les moyens qui permettent de travailler correctement : « On est une toute petite équipe, on ne peut pas aller sur place. C’est sur DVD que l’on sélectionne les compagnies invitées à Orphée, sur des critères de spectateur : je regarde la vidéo tranquillement installée dans mon salon, et j’attends d’être embarquée par ce que je vois, de l’émotion, du rire, des images. En mettant de côté mes critères de comédienne, pour oublier que je suis une professionnelle, même si je ne veux présenter que des spectacles professionnels. Et j’échange avec Michel Reynaud. Ce qui compte pour nous, c’est divertir, que les spectateurs sortent épanouis, avec le sourire et des étoiles dans les yeux. On refuse les oeuvres démonstratives sur le handicap. Elles ont leur place dans des congrès, des manifestations spéciales, mais pas dans Orphée. Nous voulons faire oublier les handicaps, pour mettre en valeur les qualités ».

Petit équipe, petits moyens : Orphée fonctionne avec seulement 130.000€ de subventions, plus les entrées. Sans aide de l’Etat depuis trois ans : « La Direction Régionale des Affaires Culturelles d’Ile-de-France ne finance pas de festivals, regrette Rachel Boulenger-Dumas. Durant les premières années, le Ministre de la culture d’alors, Renaud Donnedieu de Vabres, nous avait accordé 8.000€ au titre de l’action internationale, mais ses successeurs ont supprimé ce soutien. Pour les institutions publiques, on est le cul entre deux chaises : la Région Ile-de-France nous subventionne sur son budget d’action sociale, le département des Yvelines sur l’action culturelle ! Et c’est la même chose pour la presse : Michel Reynaud vient d’intervenir sur Radio Enghien dans une émission… santé. Mais cela évolue un peu : cette année, un journaliste du Pèlerin va faire un reportage sur l’ensemble du festival… »

Côté public, la mixité est dans la salle, les personnes handicapées étant maintenant minoritaires : « Notre public s’est élargi au fil du temps, se réjouit Rachel Boulenger-Dumas. Et avec des phénomènes étonnants : depuis deux ans, par exemple, le ministère de l’Intérieur fait du festival un terrain de stage, envoyant des agents voir des spectacles afin que leur perception des personnes handicapées évolue. Des sociétés privées font de même… ». Rendez-vous désormais bien installé au début de l’automne, Orphée demeure fidèle à Versailles, mais aimerait bien répondre favorablement aux sollicitations d’autres villes, ce qui demande une organisation et des moyens importants. Tout en espérant faire bouger les choses, Rachel Boulenger-Dumas reste fidèle à cette idée : « Prendre les gens comme ils sont ! ».

Laurent Lejard, septembre 2009.


Orphée 2009 se déroule au théâtre Montansier (Versailles) du 1er au 10 octobre, avec cinq spectacles de théâtre, danse et musique à l’affiche. Le théâtre est accessible, avec nombreuses places fauteuil roulant.

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