Question : Quel est votre regard sur la situation de l’emploi des travailleurs handicapés durant ces dernières années ?

Rémi Jouan : Je suis obligé de la comparer avec celle des demandeurs d’emploi en général. L’emploi se porte mal, le taux de chômage est de 10% des actifs, il n’y a aucune raison que les demandeurs d’emploi handicapés ne subissent pas les conséquences de cette situation. Pourtant, je trouve que le dispositif d’aide à l’emploi fonctionne bien. Les Cap Emploi ont des résultats intéressants et la création d’activité progresse, un travail important a été fait. On n’améliore pas mais on assure une continuité dans une conjoncture défavorable.

Q : Pourtant le chômage des travailleurs handicapés a davantage progressé que celui des valides…

R.J : Le nombre de travailleurs devenus handicapés dans le cadre de leur travail augmente. Par exemple, les Cotorep reconnaissent chaque année comme travailleur handicapé un nombre croissant de personnes atteintes de troubles musculo- squelettiques. Le taux de sortie du chômage des travailleurs handicapés est identique d’une année sur l’autre, mais leur taux d’entrée augmente.

Q : Dans ce contexte, plusieurs lois importantes ont été adoptées : formation professionnelle tout au long de la vie, lutte contre les discriminations, égalité des droits et des chances des personnes handicapées. Quelle est votre perception des nouveaux édifices législatifs ?

R.J : Ces lois vont dans le bon sens, il faut qu’on arrive à les faire appliquer. Or, l’attente des décrets, l’appropriation de la loi par les gens et la décentralisation sont autant de freins à la diffusion et à l’application de ces lois. On fait moins bien cette année en matière de formation professionnelle, alors qu’on dispose du contrat de professionnalisation, parce qu’il faut du temps pour que les décideurs et les acteurs concernés puissent peser sur la mise en oeuvre de la loi. Il y a une volonté d’amener les travailleurs handicapés vers l’emploi par la formation; de nouveaux moyens ont été dégagés par l’AFPA et l’Etat. Même si l’Agefiph ne suit pas le Gouvernement dans son objectif de réduire de 20% le chômage des personnes handicapées, un objectif qui nous semble très difficile à atteindre.

Q : Dans le même temps, on parle de faire travailler les Seniors, est-ce compatible avec l’insertion des travailleurs handicapés ?

R.J : Il y a deux négociations en cours entre les partenaires sociaux, sur la pénibilité du travail et l’emploi des Seniors. Nous avons tenu à ce qu’il y ait deux discussions distinctes, même s’il y a des passerelles. Si on veut que les seniors aient une deuxième partie de carrière et travaillent plus longtemps, on ne peut le faire que si on a réglé le problème de l’usure professionnelle. Bien en amont, il faut créer de meilleures conditions de travail, élaborer une politique de prévention des risques professionnels.

Q : Comment l’Agefiph évalue-t-elle l’impact de la réforme de l’obligation d’emploi incluse dans la loi du 11 février 2005 ?

R.J : On ne peut actuellement faire que des calculs approximatifs. Un scénario peut nous amener à une réduction de 20% des sommes collectées auprès des entreprises. Mais il y a une inconnue énorme, les accords d’entreprises : ils sont aujourd’hui au nombre de 120; si demain 500 à 600 grandes entreprises signaient un accord, il y aurait une baisse importante de la collecte puisqu’elles n’y seraient plus assujetties.

Q : Quels décrets d’application sont-ils acceptables pour l’Agefiph ?

R.J : Qu’on puisse valoriser l’emploi de personnes lourdement handicapées dans la comptabilisation de l’obligation d’emploi me semble normal. Mais le problème ne se situe pas dans le coût que représente la contribution payée par l’entreprise; elle paiera toujours si elle n’est pas convaincue que l’emploi d’un travailleur handicapé ne lui posera pas de problème et que ce collaborateur sera efficace. Je suis dubitatif en ce qui concerne la possibilité pour l’entreprise d’effectuer des aménagements pour conserver la somme qu’elle aurait dû verser à l’Agefiph. Il ne faut pas faire une usine à gaz, j’espère que l’entreprise n’est pas en train de se creuser la tête pour savoir comment elle va faire pour ne pas payer une contribution à l’emploi de travailleurs handicapés tout en n’embauchant pas et en faisant des aménagements ! Ce n’est pas très sérieux, ça ne répond pas à la question de l’emploi mais plutôt au problème de faire payer moins les entreprises. Je crois davantage aux vertus de la pédagogie qu’à l’aspect contraignant ou incitatif d’un décret, ce n’est pas un texte qui fait que l’entreprise change.

Q : Depuis quelques mois, l’Agefiph restructure et réduit ses interventions…

R.J : Le rapport de la Cour des Comptes sur l’année 2000 a été très dur pour l’Agefiph, je le considère d’ailleurs injustement dur. Il rappelait que l’Association devait se concentrer sur les missions que lui a confiées le législateur. La loi du 11 février 2005 précise ce qui est du domaine de la compensation. L’Agefiph, qui a utilisé à la demande de l’Etat ses réserves pour financer un programme exceptionnel, est maintenant obligée d’avoir une gestion rigoureuse c’est-à-dire ne pas dépenser plus que sa collecte. Notre marge de manoeuvre est étroite, le Gouvernement nous demande de ne pas disposer de moins de trois mois de trésorerie et de ne pas dépasser quatre mois de réserves. Ce qui n’était pas inscrit dans nos missions, nous n’avons plus à le faire, comme l’aide aux études qui a été servie à environ 900 étudiants chaque année; on continuera à la financer jusqu’à la fin 2005, le temps d’assurer la liaison avec la prise en charge au titre du droit à compensation.

Q : Qu’en est-il des transferts de charges que l’État a mis à la charge de l’Agefiph, sont-ils réglés par la Convention qui vous venez de signer avec le Gouvernement ?

R.J : Non, on n’a pas réussi à régler la question de ces charges que l’État nous a imposées et qui représentent 36% de la collecte. On risque de voir la même chose demain avec la journée de solidarité. L’État nous dit : « On vous promet que jusqu’au dernier centime l’argent collecté est destiné à une mission définie ». Et quand l’État se défausse sur l’Agefiph d’une partie de ses obligations, il reste bien dans son droit, il finance l’insertion professionnelle, mais en utilisant les ressources d’un autre organisme; c’est le cas avec la garantie de ressources du travailleur handicapé, les aménagements de poste de travail ou les Cap Emploi.

Q : Votre mandat de président se termine dans un an. Quel regard portez-vous sur votre présidence ?

R.J : J’ai beaucoup appris à l’Agefiph, j’ai été heureux d’en assurer la présidence depuis cinq années. D’un coté, j’ai trouvé un très fort courage chez les personnes handicapées, de l’autre j’ai été très étonné de l’attitude des acteurs, des associations; c’est un milieu très dur, où chacun défend son « bifteck », on n’est pas dans une synergie résultant de la complémentarité des acteurs mais dans la division. Les deux dernières années ont été difficiles, chacun essayant de faire passer ses idées. En dehors de la question de l’emploi, le Conseil d’Administration de l’Agefiph n’a pas pu se positionner dans le débat du fait des possibles divergences de point de vue des organisations présentes. Mais on est très fier de l’introduction de négociations dans les branches professionnelles et les entreprises sur l’emploi de travailleurs handicapés; on voit bien, dans les relations que nous avons avec l’entreprise, qu’il y avait un manque. Négocier ne veut pas dire conclusion d’un accord, mais au moins prise de conscience des institutions représentatives du personnel et du patronat. Ça c’est une avancée…


Propos recueillis par
 Laurent Lejard, juin 2005.

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