Rémi Jouan préside l’Association de Gestion du Fonds pour l’Insertion Professionnelle des Personnes Handicapées (AGEFIPH) pour trois ans depuis le 15 septembre 2000. Siégeant dans le collège salariés au titre de la Confédération Française et Démocratique du Travail (CFDT) dont il est l’un des secrétaires nationaux, il est cuisinier de formation.

Question : Faisons un point sur l’emploi: le phénomène de reprise économique que connaît notre pays semble beaucoup moins profiter aux travailleurs handicapés qu’aux valides. Quelle politique pensez- vous nécessaire de mettre en place pour influer sur ce constat ?

Rémi Jouan : On voit bien que dans la reprise d’emploi il y a toujours un différentiel de 50%: il faut moitié plus de temps pour les travailleurs handicapés que pour les demandeurs d’emploi ordinaires. Ce chiffre est tout à fait révélateur: les 4% actuels de travailleurs handicapés employés en entreprise ont ainsi tendance à baisser sans qu’il y ait pour autant diminution du nombre de salariés. Le vieillissement des travailleurs fait en outre qu’on pourrait « naturellement » passer en dessous de ces 4% dans les 10 années à venir. On doit évidemment tout faire pour l’empêcher et notamment aider les entreprises qui ont du personnel handicapé âgé de plus de 50 ans à préparer la relève. Je crois qu’il nous faut spécifier davantage, étudier dans quelle catégorie professionnelle il existe des métiers susceptibles d’intéresser des personnes handicapées, à qualification égale, en faisant en sorte que ces personnes puissent avoir la formation nécessaire. Au lieu de regarder, comme on le fait actuellement, sur un bassin d’emploi donné, une région, une ville, comment placer les personnes ayant un handicap, se dire plutôt, par exemple dans le tourisme : « ce secteur accueille de plus en plus de clients handicapés ; ces mêmes entreprises pourraient- elles avoir la même démarche en ce qui concerne leurs salariés ? »

Q : Même si ce domaine sort de l’intervention directe de l’AGEFIPH, envisagez- vous de peser sur la politique de recrutement du secteur public ?

RJ : L’AGEFIPH accepte tout ce qui touche à l’aide à la personne. Une réflexion s’est ouverte à un haut niveau ministériel avec une volonté tout à fait claire d’aller vers l’emploi des personnes handicapées. Je crois que ce qui intéresse les pouvoirs publics par rapport à l’AGEFIPH c’est l’ingénierie. C’est de dire « aujourd’hui vous avez un savoir- faire dont nous sommes preneurs ».

Q : N’y a-t-il pas là un risque de « banaliser » les interventions extérieures aux champs d’interventions de l’AGEFIPH ? On se souvient, par exemple, de la volonté exprimée il y a quelques années par le patronat français de récupérer une partie de ce qu’on appelait à l’époque « le trésor de guerre de l’AGEFIPH » pour venir combler le déficit de l’assurance chômage…

RJ : Je ne partage pas du tout l’idée que l’argent collecté par l’AGEFIPH, venant des entreprises, devrait être rendu aux entreprises, fût- ce par le biais d’emplois. Pour moi cet argent est à consacrer aux personnes handicapées. C’est un débat continuel au sein de l’AGEFIPH avec le collège patronal. Mais si demain notre structure devait engager des travaux vers les services publics, cela ne pourrait pas se faire au détriment de sa vocation première qui est le secteur privé pour l’argent dont elle dispose. Pourquoi pas, demain, l’AGEFIPH gestionnaire d’un fonds pour le service public ? Cela voudrait clairement dire que l’État abonderait ce fond : si nous en disposions, peut-être serait- il mieux géré.

Q : Les associations ont tendance à se plaindre du fait qu’il n’y a jamais eu à ce jour de représentant associatif à la présidence…

RJ : Le fait que l’AGEFIPH ait accepté que le secteur associatif soit représenté au Bureau, notamment par des vice- présidents, sans jamais lui laisser la présidence est effectivement une anomalie mais le paritarisme pour nous n’est pas du tripartisme. Le paritarisme c’est une gestion par le collège patronal et le collège salarié. L’Association des Paralysés de France, par exemple, reçoit – très légitimement – une contribution extrêmement importante de la part de l’AGEFIPH : si cette association devait demain présider notre structure, elle se retrouverait à la fois juge et partie.

Q : N’est-ce pas le même cas pour le patronat français ? Les actions d’information et de sensibilisation de l’AGEFIPH semblent parfois servir de « vache à lait » aux Unions Patronales…

RJ : Le patronat en tant que tel ne « touche » pas et des contrôles sont effectués. Mais cette politique de sensibilisation est en train d’être remise en place, avec le patronat.

Q : L’AGEFIPH communique beaucoup en direction des entreprises et pratiquement jamais en direction des personnes handicapées, ce qui a donné très mauvaise réputation à votre organisme auprès de ces dernières. Comment comprenez- vous ce phénomène et quelle leçon pensez- vous en tirer ?

RJ : L’AGEFIPH au départ est perçue comme un financier, comme un organisme qui collecte et qui redistribue. A partir du moment où on est un financier, on est obligatoirement mal vu et on récolte tous les maux de la terre. Les malentendants, par exemple, ont l’impression qu’on refuse de leur donner alors que c’est le handicap qui nous coûte le plus en regard du nombre de personnes concernées. Je crois qu’il y a là un vrai problème qui est de réussir à donner de l’AGEFIPH une image différente de celle du financier et dire que l’AGEFIPH est aussi un catalyseur, un accompagnateur, un conseiller.

Q : Envisagez-vous de réorienter le dispositif Cap Emploi (réseau qui a fédéré les Organismes d’Insertion Professionnelle – OPI – et les Équipes de Préparation et de Suite du Reclassement – EPSR – NDLR) afin qu’il soit compétent en matière d’emploi à haute qualification, ce que ne sont ni les EPSR ni les OIP ?

RJ : Ce problème dépasse Cap Emploi. Il est de vérifier comment, au niveau de la formation générale et de l’Éducation Nationale, on peut avoir un accompagnement qui permette à des jeunes de pouvoir continuer leurs études sans avoir été obligatoirement mis sur une filière professionnelle, parce qu’il n’est pas évident à dix- huit ans, handicapé ou pas, de savoir ce qu’on veut faire. Pour être pris en charge, il faut normalement, statutairement pour l’AGEFIPH dont le rôle est de « soutenir l’emploi », être sur une filière professionnelle. Nous n’avons théoriquement pas à soutenir des études « généralistes » mais les entreprises nous demandent de plus en plus souvent un niveau général pour assurer elles- mêmes une formation de leur personnel. Ce problème est en train de se généraliser… et nous devons être aux deux bouts de la chaîne. Une réflexion est menée en ce sens avec le Ministère de l’Éducation Nationale.

Q : Quelles perspectives voyez-vous à l’action de l’AGEFIPH pour le siècle qui s’annonce ?

RJ : Je souhaite que la population française découvre l’AGEFIPH différemment. Nous allons en ce sens décentraliser nos actions, travailler beaucoup sur le terrain, faire en sorte que l’ensemble des partenaires et des acteurs puissent rencontrer les directions régionales au moins une à deux fois par an. Nous organiserons nous- mêmes au niveau de notre Assemblée Générale des débats au- delà de notre raison statutaire où nous convierons également d’autres acteurs. Parallèlement, notre structure va devoir prendre d’importantes décisions parce que le fameux « trésor de guerre » aura fondu d’ici deux à trois ans du fait du succès inattendu de notre programme exceptionnel, qui a relancé le programme ordinaire – « Les 20 mesure de l’AGEFIPH » – et a pour effet que nous dépensons plus que nous collectons (2 milliards de FF NDLR).

Q : Y a-t-il de ce fait un risque de quotas sur les actions de l’AGEFIPH ?

RJ : Pas sur toutes. Il y a certaines mesures importantes auxquelles on ne peut pas toucher. Et d’autres, telles la sensibilisation ou les primes, qu’on peut voir différemment. Les associations de personnes handicapées reconnaissent elles- mêmes qu’il y a quelque chose d’un peu aberrant dans le fait de donner une prime à ceux qui trouvent du travail et rien à ceux qui n’en trouvent pas. D’autant que l’AGEFIPH met par ailleurs en place toutes les aides nécessaires à l’aménagement du poste de travail, permis de conduire, etc.

Propos recueillis par Laurent Lejard, décembre 2000

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