« 600 jours pour une France inclusive ». Ce titre barre la tribune publiée mi-août par Le Journal du Dimanche à la demande de l’Association pour la Prise en compte du Handicap dans les Politiques Publiques et Privées (APHPP). Il reprend le slogan du nouveau Premier ministre, Jean Castex, « 600 jours pour bâtir la France de demain ». Similitude de slogan mais pas seulement, Jean Castex et Matthieu Annereau, président de l’APHPP, sont tous deux des hommes de droite, encartés chez Les Républicains puis ralliés au parti au pouvoir, La République En Marche. Parti qui organise son maintien au pouvoir en employant la vielle méthode éprouvée de la courroie de transmission : création et entretien d’organisations prétendument dépolitisées dont l’action consiste en pratique à soutenir un parti politique.

De fait, les 90 signataires de la tribune « 600 jours pour une France inclusive » se retrouvent à soutenir la politique gouvernementale et le parti majoritaire. Si la moitié d’entre eux sont des membres actifs de l’APHPP, du parti présidentiel et des élus de cette formation, les autres sont des acteurs de cette « société civile » si chère aux politiciens en mal de réalités : militants associatifs, conférenciers du handicap, dirigeants d’entreprises spécialisés, etc. Combien parmi eux ont clairement compris que le texte qu’ils signaient consistait à soutenir aveuglément le second gouvernement conçu par le Président de la République, Emmanuel Macron, pour servir sa réélection en mai 2022 ? « Nous souhaitons leur réussite pour que la France, patrie des droits de l’Homme, devienne un exemple de société inclusive en Europe et dans le monde », proclament les signataires en soutenant le Premier ministre, la ministre chargée de l’autonomie et les secrétaires d’État aux personnes handicapées et à l’enfance. Bien sûr, ils réaffirment « l’impérieuse nécessité de renforcer les droits des personnes handicapées et de les accompagner vers l’autonomie. » En oubliant que les politiques gouvernementales ont détruit l’accessibilité universelle du cadre bâti et des transports en 2015 (Emmanuel Macron était alors ministre de l’économie) et des logements en 2018, pillé les ressources destinées aux aides à l’emploi de travailleurs handicapés, multiplié les obstacles administratifs pour obtenir ses droits, ignoré l’accès aux loisirs et à la culture réduit à dépendre d’initiatives et financements privés ou de collectivités locales. Le transfert de ce qui reste de politique nationale vers une 5ème branche de la protection sociale pour l’autonomie créée après la prochaine élection présidentielle n’est pas « une formidable opportunité qu’il nous faut saisir » mais un risque majeur : celui de transférer la Solidarité nationale envers les personnes handicapées à la Sécurité Sociale, de les maintenir comme des objets de soins et de les noyer dans la masse des personnes « fragiles », nouvelle dénomination bien commode pour déposséder les gens de leur libre-arbitre et ne pas les associer aux mesures qui les concernent. On sait déjà que la quasi-totalité des décisions des Maisons Départementales des Personnes Handicapées est prise sans écouter les demandeurs, en infraction avec la loi qui les replaçaient au coeur du processus décisionnel.

L’action de l’association croupion de Matthieu Annereau vise clairement à contrebalancer le rejet par les associations nationales de personnes handicapées de la politique gouvernementale. Leur Collectif Handicaps ne cesse de multiplier les critiques, dénoncer les lacunes et les mesures rétrogrades, déplorer le peu de concertation. Alors qu’une vaste opération mêlant propagande progouvernementale et manipulation est enclenchée. Elle a d’abord consisté, fin 2019, à introduire des soutiens à l’action gouvernementale au sein du Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées, dont l’APHPP, qui n’entraient pas dans les conditions requises pour intégrer une telle instance : exister depuis au moins trois ans. De même qu’Unanimes, créée par celui que la secrétaire d’Etat aux personnes handicapées avait personnellement choisi pour présider le CNCPH, Jérémie Boroy (lire l’actualité du 13 janvier 2020). Avec un CNCPH davantage à sa main, Sophie Cluzel peut se concentrer sur son avenir politique, elle que le nouveau Premier ministre ne voulait pas reprendre dans son gouvernement (lire Les Initiatives du 1er août dernier).

On a coutume de dire que le handicap n’est pas un sujet de lutte politique en France. Outre que Ségolène Royal (lire l’actualité du 3 mai 2007) et Emmanuel Macron n’ont pas hésité à s’en saisir lors de leurs débats télévisés respectifs de 2007 et 2017, la réalité témoigne qu’il est bien devenu un objet entre les mains de politiciens. Et il faut bien remarquer l’absence de deux mots au nom de l’APHPP : Association pour la Prise en compte du Handicap dans les Politiques Publiques et Privées d’Emmanuel Macron…

Laurent Lejard, septembre 2020.

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