En cette année 2003, les personnes handicapées sont comblées ! Année Européenne des Personnes Handicapées, « Grande Cause nationale » décrétée par le Président de la République, révision de la loi- cadre de 1975 : tant de sollicitude tient, si l’on peut dire, du miracle !

Et nous allons voir ce que nous allons voir : finis les retards accumulés depuis trente ans dans notre pays qui font que nous sommes quasiment derrière les principaux pays européens en ce qui concerne l’intégration sociale de ces populations. Oubliés les discours creux, les promesses jamais tenues, illustrés par le précédent Gouvernement qui a attendu début 2002, dernière année de son mandat, pour convoquer un grand colloque à l’UNESCO avec dix ministres présents afin d’annoncer de grandes réformes, dont les actes n’ont jamais été publiés! Reléguée, enfin, dans un lointain passé, la discrimination, toujours aussi vivace dans notre pays, qui fait que, par exemple, on accepte sans réagir que les pouvoirs publics n’assument pas la formation en nombre suffisant d’aides à la vie autonome. On ne peut s’empêcher de donner un dernier exemple de la plus que scandaleuse iniquité à laquelle se résignent trop de gens : sur environ 200.000 enfants handicapés scolarisés, sept mille seulement parviennent jusqu’à des études supérieures !

L’année européenne, on peut le souhaiter, va non seulement permettre de rompre avec la passivité ambiante, mais va stimuler une prise de conscience générale des responsables politiques et administratifs pour qu’enfin les choses changent. Mais ne nous faisons pas trop d’illusions : le consensus minimal mou qui a prévalu, fait que la Communauté s’est limitée à favoriser l’information sur les populations handicapées. Ainsi en France, le Comité national créé à cet effet privilégie les projets associatifs, plutôt que des projets à caractère structurel innovants.

Le gouvernement français devra donc de son côté donner l’impulsion décisive nécessaire en faisant en sorte que le renouvellement de la loi-cadre de 1975 soit l’occasion d’un vrai progrès, d’une étape qualitative dans la participation des personnes handicapées à la vie de la cité. Sur les questions de base : revenus, vie à domicile, éducation, emploi, notre pays doit se décider à un vaste chantier, à une vaste réforme.

Je voudrais insister pour ma part sur la qualité urbaine et l’accès à la culture. Pour dire les choses simplement et dans leur crudité, nous savons tous, responsables au contact du terrain, que les textes réglementaires concernant l’accessibilité urbaine sont peu appliqués dans les faits: quels départements, quelles villes procèdent réellement aux contrôles d’accessibilité a posteriori que la loi autorise lors des ouvertures des équipements publics ? Sans ce contrôle effectif, l’accessibilité des zones urbaines avancera difficilement.

Mais, de plus, ces règlements sont pour partie obsolètes et mal adaptés. Ainsi, lors de la rénovation de commerces existants, très souvent les propriétaires peuvent contourner l’obligation d’accessibilité en utilisant des failles réglementaires. C’est pour ces raisons que la majorité des magasins de nos villes sont peu fréquentés par les personnes handicapées et qu’un mécanisme sournois de relégation sociale perdure. Il faut donc reformuler ces textes avec intelligence et vigueur.

Enfin, dans notre société, où la culture et les loisirs jouent un rôle de plus en plus central, l’exclusion est encore plus flagrante. Un récent sondage révèle que c’est l’accès à la culture et aux loisirs que les intéressés réclament d’abord. Là non plus, la collectivité n’échappera pas à ses responsabilités : pour donner l’accès à la culture à tous et briser les barrières architecturales, l’État doit créer un fond d’investissement national.

À Grenoble, avec des moyens limités, nous essayons d’avancer globalement : sur les grands chantiers, nous instruisons un cahier des charges explicite et exigeant sur l’accessibilité. Nous formons régulièrement des agents municipaux sur ce thème. Les avancées ne sont pas uniquement liées aux moyens humains et financiers, certes insuffisants : programmation pluriannuelle de travaux de voirie et d’équipement publics, création d’une commission d’aide aux logements, convention avec l’État et la Chambre de commerce pour promouvoir l’accessibilité des commerces. Mais aussi, innovation nationale, nous créons actuellement un droit communal spécifique d’accessibilité sur l’espace public. Nous agissons fortement sur les transports publics, moins bien sur l’emploi. Nous impulsons, avec d’autres villes, un réseau pour l’accès à la culture.

Dans la nouvelle loi en préparation, l’État devra aussi tenir compte des avancées réalisées par certaines collectivités locales qui, à l’instar de Grenoble, par un travail quotidien, montrent qu’une étape décisive, dans la participation des personnes handicapées à la vie de la cité, est à l’horizon.

François Suchod, mai 2003.

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