Serait-ce
la dernière ligne droite du parcours à obstacle du projet de
décret sur l'accessibilité des services de communication publique
en ligne ? La septième et peut-être ultime version de ce texte
vient d'être présentée au Conseil National consultatif des Personnes
Handicapées (C.N.C.P.H) qui l'a approuvé "avec réserves" le
16 décembre dernier. En cause, les plus de 10.000 sites Internet
et Intranet des services publics de l'Etat, des collectivités
locales et des organismes qui leur sont rattachés. Ces sites
auront l'obligation, d'ici début 2011 ou 2012, de satisfaire
aux critères d'accessibilité définis par un Référentiel Général
d'Accessibilité des Administrations (R.G.A.A
: site vide !) qui n'en finit pas d'être élaboré par la Direction
Générale de la Modernisation de l'État (D.G.M.E). Dernière péripétie
en date, la publication le 11 décembre dernier d'une nouvelle
version des standards internationaux d'accessibilité du web
par l'organisation internationale World
Wide Web Consortium : ces Web Content Accessibility Guidelines
(W.C.A.G)
2.0, rédigées dès... juin
2003, auront donc attendu cinq années avant d'être validées
par le Consortium ! Le R.G.A.A doit être mis en conformité avec
ces WCAG 2.0 puis, selon Fernando Pinto Da Silva (Commission
N.T.I.C du C.N.P.S.A.A),
être transmis aux 26 autres pays de l'Union Européenne pour
validation au titre du respect des règles de libre concurrence.
Un point de vue partagé par Thibault Grouas, rapporteur du groupe
de travail "Internet et développement durable" du
Forum des Droits sur Internet (F.D.I),
mais infirmé par Arnaud Lacaze, chef du service projets à la
D.G.M.E : "De notre point de vue, il n'y a pas matière à se
référer à la Commission Européenne. Notre Référentiel repose
sur un consensus technique international. On produira dans les
deux mois qui viennent une version actualisée du R.G.A.A". Si
le Conseil d'Etat valide cette position de la D.G.M.E, le Référentiel
pourrait être publié par Arrêté dans un délai "optimiste" de
trois mois, cette publication ouvrant le délai de trois ans
pour que les sites web existants se mettent en conformité. Se
voulant exemplaire, l'Etat impose à ses services un délai réduit
à deux ans.
La
mise en oeuvre de l'article 47 de la loi du 11 février
2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation
et la citoyenneté des personnes handicapées, sera de toute
façon partielle : les serveurs vocaux numériques, la télévision
numérique, la téléphonie mobile et sur Internet, restent
actuellement à l'écart de la mise en accessibilité. Alors
qu'il présentait, le 15 décembre dernier, son action en
faveur de l'accessibilité des outils numériques aux personnes
handicapées, le Secrétaire d'Etat chargé du développement
de l'économie numérique, Eric Besson ne s'est exprimé
que sur les sites web publics et a esquivé le débat sur
les autres technologies de communication.
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Pour
le web, la mise en accessibilité n'est pas soumise à une obligation
de résultat sanctionnée. Chaque gestionnaire d'un site web devra
déposer auprès la Délégation Interministérielle aux Personnes
Handicapées (D.I.P.H), pilote de l'action, une déclaration de
conformité attestant ou non de son accessibilité; la déclaration
résultera d'un autocontrôle. La D.I.P.H pourra rappeler à l'ordre
les responsables de sites qui auront omis d'adresser leur déclaration
de conformité, ou les enjoindre de corriger les lacunes d'accessibilité.
Elle pourra exercer un contrôle de deuxième niveau pour vérifier
une déclaration, et gèrera un canal de plaintes des internautes
usagers de l'administration. De facto, la D.I.P.H va
se retrouver en situation d'autorité administrative sans en
avoir tous les pouvoirs. "Le F.D.I est favorable à une structure
de pilotage dotée de moyens importants, commente Thibault Grouas.
Mais on n'a pas d'informations sur les moyens qui seront dégagés".
Si les gestionnaires de sites n'obtempèrent pas, leur site web
pourra être inscrit, dixit le projet de décret, "sur
une liste de services de communication publique en ligne non
conformes tenue à la disposition du public par le ministre chargé
des personnes handicapées". Nul doute que cette sanction sera
amplement dissuasive !
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Eric
Besson espère que la publication du décret au Journal
Officiel interviendra avant la fin de cette année. Arnaud
Lacaze évoque, lui, plutôt la fin de l'hiver 2009 : "Le
projet de décret doit être soumis au Conseil National
consultatif des Personnes Handicapées puis à la Commission
Consultative d'Evaluation des Normes, et enfin être examiné
par le Conseil d'Etat". Thibault Grouas, pour sa part,
mise sur le 1er semestre 2009 : "L'actualisation du Référentiel
devrait être validée par les différents acteurs concernés,
ce qui prendra quelques mois".
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"Je
crois à l'exemple et à l'exemplarité, objectait Eric Besson
le 15 décembre dernier. Que l'administration soit exemplaire,
et le reste suit par capillarité [..] Nous avons la conviction
que les outils numériques peuvent être l'une des clés pour le
bien-être et l'insertion des personnes handicapées, dans la
vie quotidienne comme par l'emploi". Et de citer le rapport
Measuring Progress of Accessibility in Europe (MEAC)
d'octobre 2007 qui place la France au dernier rang de l'accessibilité
des sites web des services publics des pays de l'Union Européenne...
Le décret à paraître est-il bien dimensionné pour corriger cette
situation, et suffisant pour que les outils numériques soient
"l'une des clés pour le bien-être et l'insertion des personnes
handicapées" ? Le Comité National pour la Promotion Sociale
des Aveugles et des Amblyopes a déjà tranché, qualifiant le
projet de décret sur l'accessibilité des sites publics de "supercherie
organisée par l'Etat". Mais ce débat à rebondissements n'est
rien à côté de ce que l'Union Européenne envisage à l'horizon
2010 : une Directive Européenne sur l'accessibilité numérique
!
Laurent Lejard, décembre
2008.
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