Les éditions Autrement viennent de publier, dans la collection Mutations, le recueil d’une douzaine de témoignages de frères ou soeurs d’un parent handicapé. Chaque témoignage est suivi d’analyses ou de points de vue thématiques réalisés par des professionnels, mais pas forcément du champ handicap : « Il y aurait eu un détachement trop professionnel », estime l’auteure Maria Carrier. Ainsi, elle choisit de donner la parole à un prêtre pour éclairer la foi de nombreuses personnes handicapées et de leur entourage; un avocat analyse les espoirs et motivations de ceux qui saisissent la justice quand un parent handicapé apparaît négligé voire maltraité. Maria Carrier s’est lancée dans l’écriture de ce livre après un ouvrage consacré à ce que des enfants avaient vécu sous l’occupation et le régime collaborationniste du Maréchal Pétain.

« Je me suis posé la même question au sujet des frères et soeurs de personnes handicapées, des gens pris dans des situations très difficiles. Le handicap change les choses, le rapport aux autres est différent, la famille entière est bouleversée ». Le sentiment de culpabilité revient dans la plupart des témoignages, teinté d’une sensation de punition immanente et de l’impression que l’on n’a pas fait assez pour un parent déficient alors qu’on est soi- même bien portant. Plusieurs témoins osent exprimer la honte qui les a parfois saisis face à leur frère ou soeur que l’on veut cacher lors de la visite d’un ami. Quelques- uns tentent de se démarquer de l’impact d’un parent handicapé, affirmant à la fois la liberté de leur choix de vie et l’affection pour leur proche « différent ». « La culpabilité est un des éléments du ‘sac à dos’ que nous portons, résume Maria Carrier. Cela oblige à gérer l’image que nous donnons aux autres. Des personnes s’enrichissent humainement au contact du handicap, ce n’est pas anodin ».

La question de la perception de l’autre demeure sensible : « Tous les témoins disent qu’ils ne supportent pas un regard appuyé sur leur parent handicapé. Même si la société a évolué en cinquante ans; jadis, on incitait à abandonner un enfant handicapé alors qu’aujourd’hui on vise l’autonomie. Mais le handicap est un miroir : on voit ce à quoi on a échappé ». Maria Carrier se refuse à tirer des enseignements généraux des témoignages recueillis : « J’en prendrai douze autres, ils seraient très différents. Mais le handicap durcit les relations familiales, dans tous les cas. Les frères et soeurs en parlent beaucoup plus librement que les parents ». Même s’il existe parfois un sentiment d’admiration pour la joie de vivre ou les progrès réalisés par un parent lourdement handicapé. Maria Carrier ne pense pas pour autant qu’il s’établisse entre frères et soeurs une relation d’égal à égal quand l’un d’entre eux est handicapé. « Ce qui m’interpellait, c’était d’aller au coeur de la différence, une porte ouverte sur la société qui regarde diversement le handicap, au-delà des lois ».

Laurent Lejard, septembre 2005.


Handicaps – Paroles de frères et soeurs, témoignages recueillis par Maria Carrier. Éditions Autrement, collection Mutations. 19€. En librairies.

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