Durant plus de deux années, la Commission nationale des parents de l’Association des Paralysés de France a mené une étude portant sur la vie des frères et soeurs d’un enfant handicapé. Trois questionnaires ont été diffusés auprès des enfants, des adolescents et de leurs parents. Au- delà de l’analyse statistique, des parents livrent leur vécu, des enfants témoignent dans le livre « Silence et contre- chant » (APF éditions). Trois femmes, trois mères impliquées dans ce long travail d’écoute le mettent, pour nous, en perspective.

Chantal Bruno en a assuré la coordination éditoriale. Pour elle, la place d’un enfant handicapé est centrale, « la vie des autres tourne autour de ses besoins ». L’impact n’est pourtant pas le même selon que l’enfant handicapé est le premier de la famille ou qu’il soit né plus tard. Dans le premier cas, la vie s’est ordonnée et les frères et soeurs sont « habitués », dans le second c’est un chamboulement, « l’attitude des parents pèse sur les enfants » précise Chantal Bruno, « ils renvoient leur souffrance de ne pas avoir fait un enfant parfait. La naissance d’un enfant handicapé est une surprise et un choc ». Chantal déplore la perception négative du handicap qui fait peser un poids social et moral très lourd sur les parents et les autres enfants : « les petits sont spontanés vis- à- vis de leurs camarades handicapés, ils jouent et vivent ensemble. En grandissant, l’impact de l’éducation parentale les détournent de leurs camarades handicapés ». Le rejet est l’affaire des grandes personnes…

La culpabilité n’est pas loin. « La fratrie est témoin des difficultés des parents, qu’elles soient administratives, sociales, financières » témoigne Chantal Bruno. « Souvent, les frères et soeurs trient leurs copains en fonction de l’attitude qu’ils ont avec leur propre soeur ou frère handicapé ». 20 ans est l’âge charnière, celui de la fin de la prise en charge institutionnelle pour beaucoup. C’est la solidarité familiale qui pallie les carences de l’Etat et des collectivités. Les parents, puis les frères et soeurs prennent en charge, « je ne peux pas envisager ma vie sans lui » disent- ils souvent, oscillant entre obligation, sens du devoir et manque de soutien social. De nombreux parents transmettent de manière plus ou moins consciente à leurs enfants cette obligation de s’occuper de celui d’entre eux qui est handicapé, comme cela se faisait jadis avec les parents âgés, comme un sacrifice plus ou moins librement consenti. Alors, ils prennent une résidence proche, ils accueillent le frère ou la soeur le week- end, voire habitent ensemble.

Marie Rivière décrit quant à elle à sa manière les parents qu’elle a croisés, évoquant des paroles dures : « mes enfants s’occuperont de leur frère handicapé, ce discours est une obligation sociale et quand les parents n’en peuvent plus, c’est la fratrie qui doit prendre le relais ». Marie Rivière a remarqué que de nombreux frères et soeurs jouaient avec celui qui est handicapé alors que dans les autres familles c’est avec leurs copains qu’ils s’amusent : « les frères et soeurs deviennent un second père ou mère, le handicap est un poids sur la fratrie. Leur relation est trop proche, ils se réfrènent sur beaucoup d’activités, des loisirs, de simples sorties et pas seulement à cause de l’inaccessibilité. Il y a trop de compassion, on renvoie les incapacités, pas les possibilités ». Aujourd’hui, les personnes âgées sont émancipées, pas les personnes handicapées…

Une parole nécessaire.
 Isabelle Réveillon l’affirme clairement : « il faut dire les choses, savoir annoncer les faits et la vérité pour que l’enfant ait une vie à lui, autonome ». Evoquer la naissance, l’origine du handicap, exprimer ce que l’enfant et le futur adulte pourra réaliser, « montrer les possibles » comme aiment à le dire les psychologues, « si on serine le handicap, on n’arrive pas à progresser. Quand les parents réussissent à parler et à écouter, il y a un processus et une parole qui fait avancer ». Isabelle Réveillon conclut qu’il est « important d’être soi- même, faire de l’ordre en soi par rapport au handicap. On a montré une route à nos enfants, à eux de faire un travail de frère et de soeur, le handicap n’est pas un obstacle à leur épanouissement ». Chantal Bruno va plus loin : « il faut savoir réserver des moments pour les frères et soeurs valides, parler avec eux ».

Ces trois mères témoignent de l’abandon social dans lequel sont laissées les familles : les trois quarts des enfants placés en institution sont issus de milieux modestes. La prise en charge par la solidarité nationale est nettement insuffisante et très compliquée à mettre en oeuvre. « Les familles attendent des solutions de l’Etat » ajoute Marie Rivière, « mais sans se faire d’illusions, et s’adressent aux associations. C’est d’elles que viennent les initiatives et il faut se battre contre l’Etat pour les faire aboutir ». Le discours est encore éloigné de la réalité et le regard des familles sur leur enfant handicap en est un excellent baromètre.

Jacques Vernes, octobre 2002


Silence et contre-chant. 15 euros. A demander à l’Association des Paralysés de France. 17 boulevard Auguste- Blanqui. 75013 Paris.

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