De nombreux parents ont accueilli avec satisfaction la création d’un fonds de financement « permettant de mettre à la disposition des élèves handicapés le matériel pédagogique spécialisé dont ils ont besoin : ordinateurs portables, périphériques spécialisés, plages tactiles pour le Braille, boucles magnétiques pour les élèves sourds, etc. » (Lire cette Interview de Ségolène Royal, Ministre en charge des personnes handicapées). Trois mois après la rentrée scolaire, deux familles nous parlent de leurs difficultés à faire valoir ce droit…

Pas d’argent pour l’ordinateur.
 Lionel est en terminale scientifique dans un lycée du sud de la France. Infirme moteur cérébral et malvoyant, il a besoin d’un ordinateur portable afin d’y saisir ses notes de cours, rédiger ses devoirs, faire des calculs, en utilisant la loupe standard de Windows pour travailler en arial de 20, une police suffisante pour sa basse vision. Ses parents s’étaient inquiétés, avant la fin de la précédente année scolaire, de la prise en charge de ce matériel dont le coût, imprimante incluse, avoisine les 3.100 euros (20.000 francs). Ils saisissent la Commission Départementale de l’Éducation Spéciale (CDES) qui accorde la prise en charge. Puis ils formulent leur demande auprès de l’Éducation Nationale, et c’est là que ça se gâte : l’inspecteur d’académie chargé de l’intégration scolaire évalue mal les besoins par rapport aux crédits dont il dispose, multiplie les réunions avec la CDES et les parents, les dossiers s’emberlificotent dans les complexités administratives et la rentrée scolaire débute sans que Lionel dispose de son ordinateur.

Ses parents ont voulu que Lionel suive une scolarité en milieu ordinaire, déménageant à plusieurs reprises pour s’installer à proximité d’un établissement « conciliant ». Son père, aujourd’hui retraité, a fourni gratuitement à plusieurs reprises des ordinateurs, réformés par des entreprises privées, à ces établissements alors dotés de machines inadaptées (les fameux MO5 et TO7 de Thomson). Faire financer ce type de matériel était alors illusoire, c’était la seule solution pratique et rapide pour que son fils bénéficie d’une aide informatique. Aujourd’hui, c’est la complexité d’utilisation des fonds d’État que le père de Lionel met en cause : « la mesure est un progrès énorme mais dans les faits, ça se traduit par d’énormes difficultés du fait de la lourdeur de l’Éducation Nationale. Les crédits sont longs à débloquer, il faudrait simplifier les procédures pour que les parents n’aient qu’un seul interlocuteur, la CDES ». Depuis la rentrée, c’est un Auxiliaire d’intégration scolaire qui assure la prise de notes pour Lionel qui travaille ses cours le soir, et ses parents rédigent les devoirs faits à la maison. L’un des camarades de Lionel est dans une situation similaire à la différence que ses parents, salariés tous les deux, ne peuvent s’activer pour obtenir la prise en charge de l’ordinateur qui lui est nécessaire. Lionel, dont le père estime avoir consacré une cinquantaine d’heures à régler le problème, devrait recevoir le sien dans quelques jours, si tout va bien…

Pas de place pour l’ordinateur. Élisabeth n’a pas eu de chance: elle disposait d’un ordinateur mais qui n’a pas été installé à l’école. Cette fillette malvoyante, âgée de 9 ans et scolarisée en région parisienne, devait disposer d’un matériel adapté pour suivre une scolarité ordinaire: tel était l’avis de l’école dans laquelle elle était inscrite en 2000. Lors de la rentrée de septembre 2000, les parents achètent deux ordinateurs, des périphériques et des logiciels sur leurs deniers (pour 6.800 euros soit 45.000 francs), un financement sur fonds publics étant impossible à obtenir.

L’une des machines est destinée au domicile, l’autre à l’école : cette machine ne sera jamais installée, d’abord parce qu’il n’y avait pas la place dans la classe puis pour une question de prise de courant et enfin à cause de l’assurance ! Ces prétextes à répétition ont usé la bonne volonté des parents qui ont décidé de porter l’affaire en justice : ils ont porté plainte contre la CDES et l’Éducation Nationale pour « dysfonctionnements de l’école et incapacités de l’Inspecteur d’Académie et de la CDES ».

En cette rentrée 2001, Élisabeth, qui vivait très mal cette situation, a été accueillie dans une classe d’intégration scolaire. Cela va mieux, elle peut utiliser son ordinateur dans sa nouvelle école, elle renoue avec les bons résultats scolaires. Sa mère en tire une leçon : « on se heurte à la mauvaise volonté des intervenants, notamment des enseignants. Une institutrice a refusé un stage de sensibilisation à la malvoyance. Pourtant, c’est la machine administrative qui fonctionne mal, ce ne sont pas les instituteurs qui doivent payer pour cette carence ».

Inertie, mauvaise volonté, lourdeur administrative sont les mots qui reviennent le plus souvent de la part de ces parents qui ont rencontré des difficultés pour faire financer des équipements dont le coût devrait désormais être intégralement pris en charge. On nous dira que ces deux exemples sont des cas isolés, aussi publierons-nous volontiers les récits de parents pour lesquels ce genre de prise en charge aura été simple et rapide…

Laurent Lejard, décembre 2001.

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