Le verdict était dur mais Souad s’en doutait. Elle avait bien vu tous les soignants avec des airs graves et, quelques jours après son arrivée à l’hôpital, l’assistante sociale était venue lui faire remplir un formulaire de demande de carte d’invalidité. Inutile alors d’être grand clerc pour comprendre que les séquelles de l’accident étaient lourdes. Souad alors a 22 ans et sait qu’elle va devoir vivre assise plutôt que debout, apprendre à rouler faute de pouvoir marcher. Elle comprend qu’elle doit renoncer à devenir vulcanologue, car les volcans s’escaladent difficilement en fauteuil…

Commence alors une année d’hôpital. Après la réanimation, suivent la rééducation et les traitements. Puis les professionnels de la réadaptation lui conseillent de quitter Paris, ville considérée comme hostile aux citoyens en fauteuil roulant. On lui recommande vivement de recommencer sa vie à Grenoble, « beaucoup plus accessible ». Certes, Grenoble est une belle ville, mais Souad n’entend pas abandonner les siens ni recommencer une nouvelle vie à cause d’un fauteuil roulant ! Elle voudrait naturellement poursuivre sa vie ici, près des siens. Elle se cramponne à cette idée, et l’on sait combien tenir tête aux professionnels nécessite une importante force de caractère ! Elle reprend alors ses études.

Mais sous ses allures d’avoir parfaitement digéré sa blessure, Souad est complètement perdue. « Je ne me sentais plus une femme mais une espèce de sac sur un fauteuil ! » Forcée de quitter la Sorbonne, strictement inaccessible, elle rejoint les amphis de la fac de Jussieu. Elle est complètement obsédée par son fauteuil roulant, sent tous les regards penchés sur elle, n’assume pas sa nouvelle position, assise au milieu des autres, debout et marchants. Elle est beaucoup trop basse, si petite, elle se sent très anormale et son malaise intérieur attire une flopée de prêcheurs à la recherche de disciples fragiles, de proies faciles. Sa famille la soutient. Mais elle doit absolument trouver des ressources au fond d’elle- même pour réellement sortir de la galère. Alors elle prend un logement, achète une voiture, trouve un job dans une petite société, essaie de montrer qu’elle est « valable » malgré sa déficience. Elle se débat comme un beau diable pour donner satisfaction. Ses employeurs s’en sont- ils seulement rendu compte ?

Un matin sa voiture aménagée est dérobée et elle se retrouve subitement de nouveau en situation de handicap insurmontable : comme un deuxième accident la cantonnant chez elle, dans la stricte impossibilité de se déplacer, de prendre les transports publics, d’aller travailler. Son assurance « tous risques » s’avère très insuffisante pour couvrir les frais : les aménagements spécifiques ne sont pas couverts, une voiture de remplacement est prévue mais n’est pas aménagée. Sa courtière est pleine de sympathie, de compréhension, elle est désolée de ne pouvoir assurer un service plus complet et propose à Souad de lui confier une étude sur les besoins spécifiques des personnes handicapées dans le domaine de l’assurance. Souad mène cette étude avec passion. Elle poursuit par une étude marketing. Avec quelques amis efficaces, elles parviennent à convaincre AXA Courtage, Lloyd Continental et AIG de mettre en place des contrats d’assurance spécifiques. Le succès est immédiat, Souad est même embauchée dans le cabinet d’assurance CCA George V où elle investit ses fonds propres !

Aujourd’hui, elle répond à chaque personne handicapée en difficulté suite à un vol de véhicule ou d’autre bien, propose des assurances vie et assurances crédits bancaires aux personnes qui se voient envoyées promener par les grandes sociétés d’assurance. L’énergie retrouvée par cette activité, Souad déploie entrain et dynamisme pour militer dans bien d’autres secteurs : celui de la mode, des loisirs, de l’accessibilité. Elle nous réserve quelques surprises que nous attendons avec impatience ! Avec son charme et sa vivacité, en conjuguant douceur et efficacité, elle sera une parfaite ambassadrice des femmes handicapées.

Véronique Gaudeul, mars 2001.

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